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L’Etat doit-il affaiblir nos AOP ? La preuve par le camembert !

Par Richard Ramos, Député du Loiret

En théorie, la France défend ses AOP, mais dans les faits, elle ne fait que les enterrer. Notre pays si envié pour ses grands fromages, tous des appellations d’origine dont nous sommes fiers de vanter les mérites et la supériorité gustative dans les banquets internationaux ou lors des négociations des accords de libre-échange, avec en arrière-plan l’arme juridique pour décourager ceux qui voudrait copier nos recettes originales, risque bien de se ridiculiser lorsque notre « fleuron » ne sera pas plus intéressant qu’un camembert générique plâtreux et pasteurisé fabriqué au Canada ou aux États-Unis.

Il sera bien temps de pérorer du haut de notre clocher, l’AOP ne vaudra plus un copeck et personne n’y pourra rien, même pas les vaches normandes dont la région Normandie veut grossir le cheptel pour entrer dans la compétition laitière comme sa voisine la Bretagne, alléchée par le marché de la poudre de lait, le nouvel or blanc.

Au prétexte de régler un problème juridique autour de la dénomination géographique « Normandie » que Lactalis et consorts utilisaient depuis plus de 20 ans sans que l’Inao ne durcisse le ton, le syndicat normand a décidé de construire une grande AOP pour tous en ouvrant à la pasteurisation, donc en d’autres termes, la porte au 60 000 tonnes de camemberts industriels sous les marques Président, Coeur de Lion, Rustique,

Lanquetot, Lepetit... fabriqués à la chaîne par centaines de millions. Pléthore de communications à l’appui et bourse déliée du côté de la région, on nous vend la chose sous un jour avantageux, voyez plutôt. On peut lire dans un communiqué officiel de la région Normandie que : « ce changement de dimension de l’AOP Camembert de Normandie est en parfaite adéquation avec la politique agricole de la Région. À ce titre, via le dispositif d’aide à la structuration des filières, elle soutient le programme d’actions 2018-2019 de l’ODG Laitiers Normands à hauteur de 389 152 euros. (…) Ce compromis passe par la construction et la mise en oeuvre d’un nouveau cahier des charges, gage de la qualité de l’emblématique fromage. Cet accord sur l’ensemble de la filière lait en Normandie est une réponse évidente pour sécuriser un modèle de production correspondant à l’identité du territoire normand où se situe le premier bassin laitier français. Ce nouveau cahier des charges permet la montée en gamme du fromage » ! Il fallait oser.

On nous présente un « coeur de gamme » fabriqué avec un lait issu de 30 % de normandes, un peu de pâturage pour la carte postale, mais pasteurisé et moulé en une fois par un robot. Ce sera un océan de fromages plâtreux dans lequel le « véritable camembert de Normandie » devra survivre tant bien que mal – il est produit à 5 000 tonnes aujourd’hui – pour peu que les consommateurs auxquels on confie désormais la mission de décrypter les étiquettes pour distinguer dans l’AOP l’original de la copie, puissent encore le trouver en grande distribution, à un prix abordable entre 2 et 3 euros.

D’aucuns savent qu’à partir de 2021 seront référencés les versions les moins chères, ce qui est le cas déjà pour 100 % des fromages AOP qui autorisent la pasteurisation. Les amateurs de camembert au lait cru n’auront pas d’autre choix que d’aller chez leur fromager où la version traditionnelle sera vendue 6 à 7 euros.

Nul besoin d’être Normand pour comprendre que la pasteurisation dans un AOP du camembert est un lent poison qui se distillera dans d’autres AOP de fromages français ! 

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