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Fret ferroviaire : que peut-on espérer ?

Par Yves Crozet, Professeur à l’Université de Lyon (IEP), Laboratoire Aménagement Economie Transports

Le trafic de fret ferroviaire, après avoir touché le fond, est-il en train de rebondir ? En France, la question mérite d’être posée. Après douze années consécutives d’un repli sévère (55 milliards de tonnes-kilomètres en 2001, 30 milliards en 2010, soit -45 %), une reprise a été observée (34,3 milliards de TK en 2015). Des parts de marché ont même été reprises à la route dont les trafics ont baissé de 17,6 % de 2007 à 2015. Dans le même temps, les voies navigables ont conservé la même part de marché (2,3 %).

Il semblerait donc que les efforts de la « Conférence Fret » mise en place par F. Cuvillier en 2013, et poursuivie par son successeur, aient porté leurs fruits. En substituant aux objectifs chiffrés (En 1999, J.C. Gayssot visait 100 mds de TK !) une méthode pragmatique, le ministère a permis d’aborder de fronts quelques questions clés : l’accès aux sillons, leur qualité et surtout les multiples contraintes conduisant les trains de fret, non prioritaires, à souffrir de très faibles vitesses commerciales et de retards chroniques. Autre fait nouveau dans ce secteur, les nouveaux concurrents représentent désormais un tiers du marché. Ils ont très vite développé leur activité, reprenant une partie des trafics abandonnés par Fret-SNCF. Rappelons que le repli de l’opérateur historique a commencé bien avant l’arrivée de la concurrence afin de supprimer les foyers de perte. Fret SNCF, bien que toujours déficitaire, peut désormais envisager une stabilisation, voire une reprise de son activité. Si Fret-SNCF va mieux et que les concurrents sont dynamiques peut-on espérer un rebond durable, en ligne avec les objectifs du livre blanc de l’Union européenne ?

A cette question, la réponse doit être prudente pour des raisons qui tiennent à la nature même du transport de marchandises d’une part et aux limites internes qui subsistent au sein de la SNCF d’autre part.

• L’Allemagne est le pays européen qui a connu la plus forte progression du fret ferroviaire : +40 % de 2000 à 2015. Mais cela n’a pas diminué d’un iota la part de marché du transport routier (65 %), et cela alors même qu’un péage poids lourd, qui rapporte aujourd’hui 5 milliards d’euros par an (5 fois notre défunte écotaxe !) a été instauré sur les autoroutes allemandes en 2005. Les gains du ferroviaire proviennent intégralement des pertes de la voie d’eau. Ce résultat inattendu nous apprend que ces deux modes de transport sont en concurrence pour transporter certains types de marchandises : des produits pondéreux avec une faible valeur ajoutée à la tonne (acier, produits chimiques, hydrocarbures, charbon, céréales…). Mais pour les produits qui sont aujourd’hui au cœur du commerce mondial, le ferroviaire ne peut concurrencer la route que sur certaines franges de son activité : quand il s’agit de transporter de grandes quantités sur de grandes distances (500km ou plus). Or dans l’organisation logistique moderne, les marchandises font des sauts de puce d’un entrepôt à l’autre avant d’arriver à destination. La plupart des conteneurs déchargés dans les ports sont rapidement dépotés et le contenu est réexpédié en lots de petite taille vers des entrepôts de stockage temporaire. De façon générale, la tendance est à la réduction de la taille des lots, laquelle explique aussi la substitution de véhicules utilitaires légers aux poids lourds.

•  Du côté de l’opérateur historique, les lourdeurs restent de mise. Pour les contourner, la SNCF a créé une filiale de statut privé (VFLI) qui capte désormais près de 5 % du marché. VFLI est profitable là où Fret-SNCF ne le peut du fait de coûts structurellement plus élevés. Or cette différence avec le privé a été confortée au printemps dernier lors des négociations internes à la SNCF. Le ministre ayant imposé à la direction la reconduction des anciennes règles du jeu (RH077), la SNCF se trouve de fait handicapée face aux concurrents qui appliquent eux la convention collective signée entre les syndicats et l’UTP. Pour illustrer ce différentiel de compétitivité, observons les trafics (en trains-kilomètres) des trains de marchandises en France au premier semestre 2016. Alors que les opérateurs privés ont augmenté les leurs de 2,5 %, Fret-SNCF a vu les siens diminué de 12,1 %. Même redressés du fait d’événements spécifiques (grèves, intempéries…) les chiffres sont significatifs, +1,9 % d’un côté,  -6,5 % de l’autre. Les gains des uns ne compensent pas les pertes de l’autre.

Les faits sont donc là pour nous rappeler que le fret ferroviaire est confronté à des limites structurelles. Il sera de plus en plus une activité de niche. Autant donc ne pas trop rêver sur ses parts de marché futures. 

 

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