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Les effets du CICE en débats

Par Yannick L’Horty, Professeur à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, directeur de TEPP-CNRS

Avec la publication du rapport du comité de suivi (1), une étape de plus a été franchie dans l’évaluation du CICE. Jusqu’ici, on ne pouvait que s’appuyer sur des travaux d’évaluations ex ante qui reposaient sur un échafaudage d’hypothèses plus ou moins réalistes sur le fonctionnement de l’économie. Désormais, on dispose des résultats de plusieurs évaluations d’impact, qui s’appuient sur les données fiscales et comptables des entreprises pour les années 2013 et 2014 et qui sont par nature beaucoup plus économes en hypothèses. Il est intéressant de comparer leurs résultats.

Les évaluations ex ante du CICE s’appuient sur des outils de simulation et conduisent à des résultats sur l’emploi très contrastés (2) qui vont du simple au double. Le premier chiffrage a été publié dès 2012 par l’OFCE, avant même que la mesure soit mise en œuvre. Il a été établi avec le macroéconomique e-mode.fr et prévoit la création de 150 000 emplois à l’horizon 2018. D’autres simulations ont été réalisées par l’INSEE et la DG Trésor, à l’aide du modèle Mésange, qui conduisent à 210 000 emplois. L’OFCE a publié un deuxième chiffrage à partir de simulations sur 16 branches d’activité, qui conduit à un effet de 120 000 emplois créés ou sauvegardés. A ces évaluations macro et méso-économiques, s’ajoute une simulation microéconomique sur des données individuelles d’entreprises réalisée par l’ACOSS qui conduit quant à elles à la création ou la sauvegarde de 260 000 emplois. En moyenne, l’ensemble de ces évaluations considèrent que le CICE est susceptible de créer un peu moins de 200 000 emplois. Le coût par emploi créé ou sauvegardé serait compris entre 65 000 et plus de 140 000 euros.

Un processus d’évaluation sans précédent en France

Trois évaluations ex post ont été commandées par France Stratégie pour le compte du comité de suivi du CICE. Elles ont été réalisées par des équipes de recherche indépendantes de l’administration économique, du parlement et du gouvernement. Ces équipes ont été sélectionnées par un jury à la suite d’un appel à projet ouvert. L’une de ces évaluations d’impact a été réalisée par une autre équipe de l’OFCE et s’intéresse uniquement aux effets sur les exportations. Les deux autres ont été effectuées par des équipes issues du LIEPP de Science Po et de la fédération Travail, Emploi et Politiques Publiques du CNRS. Ces deux équipes ont travaillé de façon totalement séparée et elles n’ont été informées de leurs résultats respectifs qu’en fin de parcours. Il s’agit d’une organisation qui n’a pas de précédent dans le domaine des évaluations de politiques publiques en lien avec le domaine de l’emploi.

Les deux études ont en commun de mesurer des effets sur l’emploi et les salaires en partant des déclarations fiscales de l’ensemble des entreprises, mises à disposition auprès des chercheurs par la Direction Générale des Finances Publiques. Le fait mérite d’être souligné car c’est ici aussi une première dans le domaine de l’évaluation des politiques de l’emploi : les chercheurs ont eu accès directement aux montants de créance du CICE calculés par l’administration fiscale. Ils n’ont pas eu à le reconstituer par imputation ce qui permet d’éviter de nombreuses erreurs. Les chercheurs ont eu également accès à des données des Urssaf, issues de l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale, qu’ils ont pu croiser avec des indicateurs de gestion tirés de sources Insee, à un niveau individuel et de façon exhaustive, pour toutes les entreprises. Les échantillons de données utilisés pour l’évaluation contiennent plusieurs centaines de milliers d’entreprises et plusieurs millions d’indicateurs comptables et financiers. Ils ont été mis à disposition des chercheurs par les services producteurs de données en un temps record.

En outre, la démarche générale est par ailleurs assez proche dans les deux études : pour évaluer les effets du crédit d’impôt, on compare les entreprises qui ont le plus bénéficié du CICE à celles qui en ont le moins bénéficié. Il n’y a pas d’autre façon de procéder, s’agissant d’une mesure générale qui a touché simultanément l’ensemble des entreprises. Du coup, les études se distinguent essentiellement par le fait qu’elles ont mis en œuvre des stratégies différentes pour évaluer les effets du CICE. Ces stratégies ont été jugées l’une et l’autre solides et pertinentes par quatre rapporteurs externes (pour chaque étude), sélectionnés parmi les meilleurs experts de l’évaluation des politiques publiques. D’ailleurs, de façon plus générale, la qualité de l’accompagnement dont ont bénéficié les équipes de recherche a été exemplaire.

Convergences et divergences

Entre ces deux évaluations ex post, il nous semble que les points de convergence l’emportent très largement sur les points de divergence. Les deux études trouvent l’une et l’autre des effets faibles du CICE sur l’ensemble des variables de résultats qui ont pu être mesurées à l’aide des données disponibles dans les différents fichiers administratifs utilisés par les chercheurs. On relève toutefois quelques points de divergence qui s’expliquent assez bien par les différences dans les choix de modélisation (qui ont pu être répliqués de façon croisée par les équipes). Pour les chercheurs de TEPP, l’effet du CICE sur l’emploi est faiblement positif, avec 80 000 emplois créés les deux premières années de mise en œuvre du dispositif. Il se concentre sur le quartile des entreprises les plus bénéficiaires. L’équipe du LIEPP ne trouve quant à elle aucun effet significatif, voire même un effet négatif dans certaines spécifications. Cette dernière trouve un effet positif sur les salaires horaires tandis que l’équipe de TEPP trouve plutôt un impact négatif, mais elle observe les salaires par tête qui sont sensibles aux effets de composition. Les deux équipes trouvent des effets limités sur l’ensemble des ratios de gestion des entreprises.

Les effets sur l’emploi ainsi mis en évidence peuvent paraître faibles au regard des résultats des évaluations ex ante, même si les approches ne sont pas directement comparables, tant les méthodes sont différentes. Certes, il s’agit d’un effet de court terme, mesuré en 2013 et 2014, en période montée en charge du dispositif. Cet effet est mesuré sur des échantillons d’entreprises pérennes et ne prend donc pas en compte les effets positifs sur l’emploi qui auraient pu transiter par les créations-destructions d’entreprises. De plus, il est établi sur la base des écarts de comportement entre les entreprises et ne prend donc pas en compte les effets qui auraient été les mêmes pour toutes les entreprises. Mais même en prenant en compte toutes ces réserves, il semble bien qu’il y ait une divergence entre les évaluations ex ante et ces premières évaluations ex post. Si l’on compare les effets du CICE à ceux des exonérations générales , calculés avec le même type de technologie statistiques et donc sujet aux mêmes limites, on trouve une différence d’effets du simple au double. L’impact sur l’emploi du CICE, ainsi évalué, ne peut donc pas constituer un motif de satisfaction.

Mais on ne sait pas encore tout sur les effets du CICE, loin de là. Ces résultats sont encore provisoires, d’autant qu’ils sont établis sur des bases de données qui vont être enrichies d’ici la fin de l’année. Mais on pourra retenir qu’un processus d’évaluation exceptionnel a été mis en œuvre pour mesurer les effets de ce dispositif. Ce processus combine plusieurs innovations radicales : un accès rapide à des données fiscales d’entreprises, une mise en concurrence d’équipes de recherche tout au long de l’évaluation, un accompagnement par un ensemble d’experts de haut niveau, une publication parfaitement transparente de l’ensemble des résultats des évaluations (sur le site de France Stratégie). Cette configuration est unique en son genre en France, hélas. 

(1) Comité de suivi du CICE, Rapport 2016, France Stratégie, 122 pages
(2) Plane M. (2012). « Évaluation de l’impact économique du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ». Revue de l’OFCE, (7), n°126 ; Ducoudré, B., Heyer, E. et Plane, M. (2015). Que nous apprennent les données macro-sectorielles sur les premiers effets du CICE ? Evaluation pour la période 2014-2015 T2 (No. 2015-29). Document de travail, Sciences Po ; Hagneré C. et F. Legendre (2016). « Une évaluation ex ante des conséquences du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) », Revue économique, vol. 67(4).