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Immigration et réfugiés : France, pays d'accueil ou pays en repli ?

Par Yves Bardon, Directeur du programme Flair, Ipsos Knowledge Center

La vague de juillet 2016 de l’étude mondiale Ipsos Global @dvisor (1) (réalisée avant les attentats islamistes de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray et en Allemagne) apporte des éléments de réponse à cette question.

Pour 87 % des Français, le nombre d’immigrés est en augmentation constante depuis cinq ans ; pour 11 % seulement, l’impact de l’immigration est positif ; 57 % jugent qu’il y a maintenant trop d’immigrés dans le pays ; pour 60 %, ils mettent sous pression les services publics.

C’est une attitude mondiale. 78 % des interviewés des vingt-deux pays étudiés considèrent qu’il y a de plus en plus d’immigrés dans leur pays, et ce quelle que soit la manière dont l’immigration y est régulée (quotas professionnels ou pas, regroupement familial ou non, etc.). Pour 49 %, les immigrés sont trop nombreux ; enfin, seulement 20 % des sondés considèrent que leur présence est positive pour leur pays.

Il faut rapprocher ces chiffres d’une autre étude réalisée par Ipsos en 2015, Perils of Perception : les Français estimant à 26 % le nombre d’immigrés, alors qu’ils représentent en fait 12 % de la population française.

Dans ce contexte, la question des réfugiés est particulièrement sensible.

À l’échelle mondiale, 61 % des sondés pensent que des terroristes vont se mêler aux réfugiés pour entrer dans leur pays, 51 % considèrent que la plupart des personnes se présentant comme des réfugiés n’en sont pas véritablement (ils viendraient pour des raisons économiques) ; pour 45 %, ils ne s’intégreront pas dans leur pays d’accueil. Enfin, 38 % déclarent même qu’il faut fermer les frontières de leur pays aux réfugiés (contre 49 % qui pensent le contraire).

Les Français font partie des plus inquiets sur ces questions :

• 45 % sont pour la fermeture des frontières (contre 42 % qui y sont opposés) ;

• 67 % pensent que des terroristes se mêlent aux migrants ;

• 54 % considèrent que la plupart des personnes se présentant comme des réfugiés n’en sont pas de véritables.

Quels enseignements retirer de ces résultats ?

Une triple menace, sur l’emploi, sur la sécurité, sur la culture et l’identité, voilà ce que représentent maintenant les immigrés et les réfugiés dans de nombreux pays.

Quand le chômage est à un niveau élevé, comme en France, en Espagne ou en Italie par exemple, les immigrés sont perçus comme un risque ou en tant que lumpenprolétariat au service du dumping social, ou en tant qu’élite en compétition avec les médecins, les ingénieurs, les chercheurs.

C’est une concurrence pour 41 % de Français (44 % à l’échelle mondiale) et, même limitée à des diplômés avec des emplois hautement qualifiés, l’immigration reste un problème : à l’échelle mondiale, 40 % seraient favorables à la mise en place d’une sélection de ce type, mais seulement 32 % des Français, 31 % des Espagnols ou 26 % des Italiens.

Les images de l’afflux de réfugiés sur les côtes méditerranéennes ou la « Jungle de Calais », entre autres, accentuent la crainte de phénomènes migratoires incontrôlables.

Si 63 % des Français pensent que la plupart des réfugiés ne pourront pas s’intégrer, c’est aussi parce qu’ils semblent porteurs de traditions, de valeurs et de croyances « étrangères » au sens premier du terme ; une altérité dangereuse, aux antipodes de la célèbre phrase de Saint-Exupéry, « si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis ».

L’absence de politique migratoire claire à l’égard des réfugiés n’aide pas non plus les Français à avoir l’impression que le gouvernement a une vision, centralise et organise l’accueil, l’éducation, l’employabilité, contrairement à l’Allemagne, par exemple, quitte à payer le prix de l’impopularité.

Séjour définitif ou transit ? Ce flou entretient les préjugés et les peurs. Dans la plupart des pays, une proportion non négligeable de l’opinion porte donc un regard de plus en plus méfiant à l’égard des migrants. L’idée s’installe qu’ils fragilisent les natifs (les premiers occupants), qu’ils développent une contre-culture, qu’il faut désormais limiter le plus possible l’immigration et protéger les identités nationales.

Cette vision a un nom : le « nativisme ».

Elle a des champions dans les élections présidentielles à venir, aux États-Unis avec Donald Trump, en France avec Marine Le Pen, en Autriche avec Norbert Hofer… 


1. Global @dvisor Immigration tracker 2011-2016. Étude réalisée par Ipsos dans 22 pays, du 24 juin au 8 juillet 2016, sur 16 040 individus constituant un échantillon représentatif de la population âgée de 16 à 64 ans, via l’Ipsos Online Panel system. Les pays interrogés sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie-Saoudite, Argentine, Australie, Belgique, Brésil, Canada, Corée du Sud, Espagne, États-Unis, France, Hongrie, Inde, Italie, Japon, Mexique, Pologne, Royaume-Uni, Russie, Suède et la Turquie.


Octobre 2015, 33 pays.

 

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