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Stockage des déchets hautement radioactifs : ne pas se tromper de débat

Par Christophe Bouillon, Député (SER, Seine-Maritime), Vice-président de la Commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire

Ce sont des gestes du quotidien : appuyer sur l’interrupteur, recharger son téléphone portable, passer un examen à l’hôpital. Sans y penser ou parfois même le savoir, ces gestes contribuent à produire des déchets radioactifs. Certains d’entre eux sont issus du retraitement des combustibles usés des centrales nucléaires françaises ; ils sont très dangereux et vont le rester pour des durées vertigineuses : plus d’une centaine de milliers d’années.

La France travaille depuis plus de 25 ans sur un projet appelé Cigéo. Ce projet, mené par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), consiste à stocker ces déchets en grande profondeur à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne. Son objectif : protéger l’homme et l’environnement de la dangerosité de ces déchets sur le très long terme. C’est la seule mission de l’ANDRA, établissement public indépendant des producteurs de déchets. Le Parlement a retenu il y a 10 ans le principe du stockage à grande profondeur comme la solution la plus sûre pour ces déchets, suivant l’avis de l’Autorité de Sûreté nucléaire. Sur 100 000 ans, les aléas de la civilisation (guerres…) comme les éléments naturels (glaciations…) seront tels que ce serait un pari fou que d’imaginer qu’ils seront toujours en sécurité dans des entrepôts de surface. La couche d’argile sélectionnée pour accueillir ces déchets est vieille de 160 millions d’années. Elle est reconnue pour sa stabilité, son imperméabilité et sa capacité à confiner la radioactivité sur le très long terme. Cette argile est étudiée depuis 15 ans dans le laboratoire de l’Andra situé à moins 500 mètres.

Le choix du stockage profond, la France n’est pas la seule à l’avoir fait : c’est l’option retenue au niveau européen, et même mondial. L’autorité de sûreté suédoise a validé au mois de juin dernier le projet national tandis que la Finlande s’apprête à stocker les premiers colis de déchets en 2020. La Belgique, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse, la Chine ont également des projets en cours, à différents stades d’avancement. L’Allemagne, malgré sa position de pionnière dans l’arrêt de la production d’électricité nucléaire, s’oriente elle aussi vers le stockage profond même si elle est bien moins avancée dans le processus que ses voisins.

Qu’est-ce que cela prouve ? Que la question des déchets nucléaires se pose quel que soit le choix ou l’opinion que l’on peut avoir sur le nucléaire. Car ces déchets sont bel et bien là, et pour longtemps, et c’est notre responsabilité que de nous en occuper. Ne rien faire, cela reviendrait à transmettre aux générations qui nous succèderont la charge de ces déchets que nos grands-parents, nos parents et nous-mêmes avons contribué à produire.

Certains dans leur lutte contre le nucléaire ont intérêt à tout faire pour que ce projet ne voie pas le jour et ce faisant, voudraient que perdure le statu quo en prônant une hypothétique « vraie solution » que les scientifiques du futur ne manqueraient pas de trouver. Mais faire disparaître les déchets par magie, ça n’existe pas ! La séparation-transmutation, procédé sur lequel travaille le Commissariat à l’énergie atomique qui vise à réduire la toxicité et la durée de vie de certains déchets de haute activité, n’est d’une part pas opérationnelle sur le plan industriel à l’heure actuelle, mais surtout, ne serait possible que dans le cadre d’un nouveau parc nucléaire. Il n’existe pas aujourd’hui d’alternative technique au stockage profond ; pas un autre pays dans le monde ne s’oriente vers une autre voie. On peut certes décider d’attendre : c’est prendre le risque de ne pas trouver de meilleure solution. En outre, pourquoi serait-ce à nos arrière-petits-enfants de trouver une solution pour des déchets qu’ils n’ont pas produits ? N’est-ce pas de notre responsabilité que d’assumer et de prendre aujourd’hui des décisions ? Prôner l’entreposage à des profondeurs moins grandes voire au pied des centrales nucléaires comme le font parfois les détracteurs du projet ne sont pas des alternatives sérieuses sur le plan de la sûreté. Les risques liés à ce projet comme par exemple le risque d’incendie ou la chute d’un colis de déchets sont en revanche de vraies questions qu’il est légitime de se poser et sur lesquelles travaillent les ingénieurs de l’Andra comme ses évaluateurs. Mais on oublie de dire que ces risques existent également, voire davantage, si on laisse ces déchets ad vitam dans des entrepôts de surface !

Après deux lois, en 1991 et en 2006, le projet Cigéo était de nouveau à l’agenda de l’Assemblée nationale le 11 juillet dernier, pour débattre des conditions de sa réversibilité, c’est-à-dire en substance la capacité des générations futures à adapter le projet, le modifier ou revenir en arrière. Ce n’est pas seulement la récupérabilité, c’est-à-dire la capacité de reprendre les colis de déchets. La définition de la réversibilité appliquée à ce projet va plus loin : c’est la capacité de nos descendants à pouvoir prendre des décisions, quelles qu’elles soient, notamment en prévoyant d’autres rendez-vous devant le Parlement. C’est une étape importante pour le projet car elle intègre des exigences fortes exprimées par les élus et la société civile. Mais ce n’est en aucun cas son autorisation définitive, qui n’interviendra pas avant plusieurs années.

Cette nouvelle loi inscrit durablement le dialogue et l’implication des parties prenantes et du public dans la gouvernance du projet. Ils sont fondamentaux dans la conduite d’un projet qui ne relève pas seulement d’une dimension technique et scientifique mais également d’un questionnement éthique et sociétal. Ainsi, tous les 5 ans, le plan directeur d’exploitation du projet Cigéo ainsi que la mise en œuvre de la réversibilité seront remis sur la table pour être discutés, questionnés et adaptés en fonction de l’évolution du contexte.

Par le vote du 11 juillet à l’Assemblée Nationale et du 17 mai au Sénat, la Représentation nationale a montré qu’elle pouvait dépasser les débats partisans. Elle a montré qu’elle pouvait prendre des décisions engageantes sur le long terme, des décisions difficiles, mais des décisions qui montreront aux générations futures que nous avons su prendre nos responsabilités à temps.