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“Nous menons une politique internationale sur le Moyen-Orient et sur une partie de l'Afrique qui peut donner l'impression que nos choix paraissent désordonnés”

Par Alain Marsaud, Député (LR, Français établis hors de France), Membre de la commission des affaires étrangères

Notre pays fait face à deux offensives reliées sans doute par une même idéologie, mais s’exprimant de manière différente. C’est la conjonction de deux types d’ennemis, l’un extérieur qui nous a clairement déclaré la guerre par communiqué et qui nécessite un engagement militaire, aussi pour protéger notre propre territoire et l’autre intérieur dont les derniers crimes ont endeuillé notre pays comme jamais dans l’histoire et qui exige un engagement et une prévention citoyenne.

L’ennemi extérieur :

On ne peut évoquer l’offensive terroriste menée depuis quelques années sur notre territoire ou à l’encontre de nos compatriotes vivant à l’étranger sans se poser la question de la responsabilité de notre politique étrangère.

En effet, nous menons une politique internationale sur le Moyen-Orient et sur une partie de l’Afrique qui peut donner l’impression que nos choix paraissent désordonnés. Nous luttons contre des islamistes de tout poil sur le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, nous bombardons l’Etat Islamique en Syrie et en Irak, nous conseillons et armons quelques groupes djihadistes en Syrie au motif qu’ils seraient plus modérés que les « très méchants », cela dans le but de chasser Bashar El Assad.

Nous agissons comme l’allié privilégier de l’Arabie Saoudite et des quelques Etats du Golfe qui au même moment soutiennent ou ont soutenu des groupes violents, nous les assistons même dans leurs offensives militaires au Yémen.

Tout cela peut paraitre comme peu concerté et mériterait sans doute d’être réellement expliqué d’une part aux représentants de la nation et d’autre part aussi aux citoyens français auxquels on dit que notre pays est en guerre et qui découvrent au petit matin que leurs forces spéciales ou le Service Action sont même envoyés en Lybie où ils trouvent la mort dans des conditions non-expliquées.

En qualité de membre de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, j’ai regretté que l’on n’aborde pas ces points, tant dans la mission que nous avons menée, que dans les propositions formulées. La politique étrangère de la France mériterait une direction plus assurée et ce dans la concertation.

Que l’on n’imagine pas un seul instant que ces choix ou ces non choix en matière de politique étrangère n’ont pas provoqué les actions terroristes menées au cours des dernières années. D’ailleurs certains auteurs de ces crimes l’ont précisé clairement dans leurs revendications.

Il en est ainsi de cet ennemi extérieur que l’on combat sur plusieurs fronts avec différents moyens aériens, pour la plupart, mais aussi au sol. Il est à noter que nos alliés européens se font bien discrets et que l’on a l’impression que cette offensive est réalisée principalement par américains et russes, alliés sur ce théâtre d’opérations.

Il n’en est pas moins vrai que nous sommes considérés par ces groupes comme l’ennemi principal haïssable, objet de leurs représailles.

L’ennemi intérieur :

Il existe sur le territoire métropolitain nombre d’individus qui par rejet de notre modèle politique, économique et social ou pour des raisons qui leurs sont parfois personnelles, décident de passer à l’action criminelle contre des cibles et victimes françaises, soit collectives soit individuelles.

On trouve différentes catégories parmi ces ennemis de l’intérieur. En premier lieu, ceux qui de retour de Syrie ou d’Irak, après un semblant de radicalisation reviennent forts d’expériences violentes pour régler son compte à la France. Face de ces retours nous sommes relativement désemparés car il n’existe pas réellement de politique de riposte. S’il est établi que certains d’entre eux ont porté les armes ou ont commis des exactions, ils peuvent faire l’objet, très difficilement d’ailleurs, de poursuites pénales du chef d’association de malfaiteur terroriste et être détenus préventivement.

Ces enquêtes sont forcément compliquées et les preuves mal-aimées à réunir. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé vainement jusqu’ici d’ériger en délit distinct : fortement réprimer le fait de porter les armes à l’étranger sans autorisation préalable de la France. Le Garde des Sceaux, pour rejeter cette proposition, a estimé que je créais une sorte de séjour irrégulier à l’étranger, difficile à mettre en œuvre. Je conteste évidemment cette appréciation et aurai l’occasion de renouveler cette proposition qui, d’ailleurs, a été retenue dans les amendements de l’opposition lors du vote sur la prolongation de l’état d’urgence. Le gouvernement a encore une fois rejeté ce dispositif.

Il faut se poser la question du retour hélas prévisible et inévitable des 2 000 Françaises et Français partis en Syrie, en Irak ou en Libye, accompagnés de 400 mineurs conçus sur place ou amenés dans leurs bagages. Dans la mesure, très prévisible, où l’Etat Islamique avant d’être vaincu sera réduit territorialement, tous ces gens-là ainsi d’ailleurs que nombre de francophones vont vouloir réintégrer le territoire français. Il est peu vraisemblable qu’ils aillent pointer à Pôle Emploi.

Si même seulement 1 centième d’entre eux sont susceptibles de conduire des opérations d’assassinat, nous devons dès-lors imaginer, toujours lors d’un débat public, la capacité que nous avons de les neutraliser.

Comment la France a-t-elle pu laisser s’installer une telle situation où une partie de la population, certes encore minoritaire, se manifeste dans le rejet de la nation, utilisant les armes dans la plus extrême violence à l’égard des citoyens ? Les responsables politiques quel que soit leur niveau, ne doivent pas faire l’économie de la recherche de leurs propres responsabilités, cela serait trop facile.

Depuis 30 ans, nous fermons les yeux face aux manifestations et au développement du communautarisme d’inspiration islamiste, salafiste, wahhabiste et autres… Les lâchetés ont succédé aux compromissions et au manque d’imagination. Il est sans doute bien difficile de faire marche arrière, de prôner le rétablissement de l’ordre républicain tant les différentes situations se sont aggravées. Je souhaiterais tout comme je le fais régulièrement que les élus prennent leur part de responsabilité dans cette offensive terroriste sans précédent.

En second lieu, il est nécessaire d’éviter une erreur communément commise par une mauvaise interprétation de ces actes de violence. Il existe bien sûr un islam politique ayant pour mission de prendre le pouvoir par différents moyens, mais nous sommes surtout en présence d’individus aux motivations très différentes. On nous dit généralement que les auteurs d’attentats ou les djihadistes de tout poil sont des islamistes qui se seraient radicalisés, c’est-à-dire des religieux qui auraient choisi la violence comme mode de contestation. Aussi faut-il les traiter dans des centres de déradicalisation pour leur apprendre « les bonnes manières ». Ce sont des expériences qui sont tentées, ils rencontrent dans ces centres quelques « psys » quelques imams qui ne parlent pas français et se défoulent en s’entrainant à la boxe française et en faisant des promesses de réinsertion. La réalité de ces personnalités m’apparait bien différente au regard des auteurs liés aux derniers attentats. Il s’agit d’individus d’abord radicaux, adepte de la violence la plus extrême, notamment par rejet de notre modèle, qui utilisent l’islam sous toutes ses formes d’interprétation comme alibi ou justification de leurs crimes. Nous avons connu cette situation exactement identique dans des conditions certes différentes avec les attentats d’action directe de la Rote Armee Fraktion (RAF) et les Brigades Rouges dans les années 80 en Europe.

Il s’agit donc de lutter contre un phénomène d’évolution de la violence à son paroxysme et non pas d’entamer une éventuelle conversion ou déconversion religieuse.

En face de ce phénomène, qui n’est pas nouveau mais dont l’amplitude s’accroît, il nous faut avoir une imagination politique et opérationnelle nouvelle. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé la mise en place d’une vigilance citoyenne réciproque, c’est-à-dire l’implication personnelle de tous les citoyens concernés par ces crimes. L’Etat, quelle que soit sa mobilisation ne pourra jamais éviter l’inévitable ; Il nous faut réfléchir à un nouveau modèle de société impliquant directement les citoyens, sans doute à l’image de ce que font les Israéliens en situation de guerre intérieure depuis tant d’année.