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Les institutions entre manipulation et reconstruction de la démocratie

Par André Bellon, Ancien Président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Président de l’Association pour une Constituante*

En janvier 2015, je m’interrogeais dans ces mêmes colonnes sur l’intérêt aussi soudain que prétentieux que manifestaient les responsables politiques pour les institutions. Mieux valait tard que jamais, mais quel était l’objectif réel de ces nouveaux convertis ?

Nous traversons une profonde crise de régime. La solution ne saurait se trouver dans des modifications marginales imaginées et contrôlées par ceux-là même qui sont comptables de la dérive de nos institutions.

Après le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, éphémère capitaine d’une hypothétique réforme institutionnelle, après Jean-Luc Mélenchon, auto-proclamé conscience du peuple, après la députée LR Nathalie Kosciusko-Morizet qui découvre miraculeusement les vertus d’une Constituante, il semble que le Président de la République lui-même entende s’ériger en grand réformateur d’un système qu’il utilise pourtant sans vergogne à son profit depuis plus de 4 ans.

De tels signes montrent à quel point la question des institutions et, au-delà, de la démocratie, s’impose enfin dans le débat public. Lorsque nous l’évoquions comme un problème majeur il y a dix ans, nous suscitions au mieux un intérêt poli, au pire un rejet méprisant. Félicitons-nous donc que le débat émerge enfin. Mais le risque est grand de le voir clos par ceux-là même qui ont tout intérêt à donner l’impression d’agir pour mieux empêcher tout changement réel. Il importe donc de faire l’inventaire des causes du mal qui ronge notre démocratie et des propositions avancées par les uns et les autres.

Les remous créés par la loi El Khomri ont mis en lumière le fonctionnement même du système politique. Notre objet ici n’est pas de juger du fond de cette loi, mais d’analyser la légitimité du processus qui préside à son élaboration, puis à son vote. On a, grâce à cette loi, braqué les projecteurs sur l’œuf de Colomb, à savoir que le Président de la République peut imposer sa volonté, y compris lorsqu’elle revient à faire le contraire des engagements pris devant les électeurs durant sa campagne électorale. On a vu de façon éclatante que le fameux 49-3 n’était pas seulement destiné à engager la responsabilité du gouvernement ; il révélait que les députés n’étaient pas les élus du peuple, mais les commis de leur parti. On a constaté une fois de plus que les projets du gouvernement étaient plus la traduction des directives de Bruxelles que l’émanation d’une volonté nationale et populaire.

Jusqu’alors, les thuriféraires des institutions de la Vème République les justifiaient par la stabilité politique qu’elles produisaient. C’était oublier un peu vite que cette apparente stabilité se faisait au détriment de la cohésion sociale et que les tensions politiques ainsi évitées se transféraient dans les tréfonds de la société. Le fossé entre les « élites » et la société est la conséquence de ces aveuglements volontaires. La chose est d’autant plus dramatique que l’extrême droite semble le gagnant réel d’une telle situation. Justifiant un système institutionnel quasi monarchique et se présentant, dans le même temps, comme porte-parole des victimes du système économique, l’extrême droite tente une synthèse improbable qui permettrait de mettre en place un système officiellement autoritaire sans coup d’Etat visible.

C’est dans ce cadre que se situent les propositions de réformes faites par les bénéficiaires du jeu institutionnel. Tout n’est pas à rejeter par principe dans les réformes qui, paraît-il, pourraient émaner de l’Elysée. Certains peuvent être tentés par la disparition du Premier ministre au nom de l’incongruité d’un bicéphalisme de l’exécutif. Le contraire peut également être évoqué au nom du retour à un vrai parlementarisme, le Président retrouvant un rôle plus arbitral. Certains peuvent vouloir réformer un Sénat retrouvant un rôle plus représentatif des collectivités. L’inverse peut également être avancé en fustigeant ceux qui veulent faire représenter les collectivités alors qu’ils détruisent les communes…

Mais la question principale est-elle là ? Le point commun de toutes les réformes proposées est qu’elles ne répondent pas au problème majeur : le peuple est progressivement dépossédé de son pouvoir souverain par toutes sortes de mécanismes (expertocratie, construction européenne, sondagocratie, dictature des marchés, etc.). Des réformes « participatives » ou « citoyennes » qui ne rétabliraient pas l’ordre normal des choses en démocratie, à savoir que le peuple est le souverain, ne seraient que cosmétiques. Générant des illusions, elles ne serviraient qu’à faire avaler une dépossession politique fondamentale.

D’ailleurs, le chef de l’Etat est-il le mieux placé pour mener des réformes institutionnelles ? A-t-il la légitimité pour le faire ? C’est cette interrogation qui déterminera tout le reste. Si nous répondons non de façon définitive, ce n’est pas par positionnement politique, c’est au nom des principes qui sont, à notre avis, fondamentaux dans la reconstruction de la vie publique.

La souveraineté, selon l’article 3 de la Constitution, appartient au peuple. Particulièrement sur de tels sujets, l’appel au peuple doit précéder les propositions institutionnelles. C’est ce qu’on appelle une Constituante.

Devant la fracture qui s’est créée entre le pouvoir politique et les citoyens, l’élection d’une Constituante est la seule solution pacifique et démocratique qui permet de reconstituer le peuple français. Car les institutions sont, avant tout, un bien public.

La croyance en l’idée que le Président de la République doit être maître du jeu et, de plus, maître de changer le jeu, doit être combattue. Elle a pris un coup lorsque Nicolas Sarkozy a bafoué le vote exprimé par les Français le 29 mai 2005 à propos du traité constitutionnel européen. Mais ce déni officiel de démocratie n’est que la partie émergée de l’iceberg antidémocratique. Le non-respect des électeurs est de plus en plus affiché : les gouvernements, quelle que soit leur étiquette, peuvent perdre toutes les élections intermédiaires, aucune conséquence n’en est tirée. Les dirigeants, président de la République en tête, maintiennent leur cap comme s’ils tenaient leur mandat d’un autre corps que le corps électoral. Ils se permettent même de juger les électeurs, de leur donner des leçons, de prétendre qu’ils se sont mal expliqués, qu’ils ont mal communiqué… Peut-on mieux dire qu’on est en quelque sorte au-dessus des citoyens et qu’on n’a de comptes à rendre à personne qu’à soi-même, aux marchés, à Bruxelles ?

Cette logique mortifère ne saurait être tolérée sauf si on accepte l’officialisation du caractère fort peu démocratique du régime. Il ne faudra pas alors se plaindre que des forces visiblement autoritaires prennent le pouvoir.

La présidentielle aura lieu dans moins d’un an maintenant. Les remous qui agitent déjà cette échéance indiquent le trouble des citoyens. De toutes parts émergent des candidats plus ou moins crédibles, des primaires plus ou moins « citoyennes ». Les contradictions s’accumulent, par exemple le fait que les primaires renforcent le poids des partis, sans que cela ne semble choquer, y compris les Gaullistes. Les citoyens sont de plus en plus désorientés, chose bien logique puisque les vraies questions ne sont pas posées. Et tout d’abord la principale : n’est-il pas temps de s’interroger sur l’existence même de l’élection présidentielle (1) ?

On connaît le refrain : les Français seraient attachés à cette élection. Est-ce si sûr ? Et quelle est la nature de leur attachement ? Ne prend-on pas l’effet pour la cause ? Au travers du poids médiatique plus ou moins malsain qui entoure cette élection, on ressent plutôt un relent d’« amour vache » qu’un attachement au débat raisonné. N’est-il pas urgent de se libérer de l’obsession présidentielle pour reconstruire le citoyen, le peuple et la démocratie ? L’écho qu’a eu la pétition appelant à remplacer la Présidentielle par l’élection d’une Assemblée Constituante en France (2) est signe que la question est maintenant posée. 

* www.pouruneconstituante.fr@ART-texte :

1. Voir Changer de Président ou changer de Constitution, Le Monde diplomatique, Mars 2007@ART-texte :
2. https ://www.change.org/p/citoyennes-et-citoyens-de-france-pr %C3 %A9sidentielle-non-constituante-oui