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L'administration pénitentiaire française face au défi de la prévention et de la lutte contre le terrorisme

En prison, le phénomène de prosélytisme et de radicalisation n’est pas nouveau. Mais les attentats de janvier et novembre 2015, ont remis le sujet sur le devant de la scène. Certains de leurs auteurs, comme Amédy Coulibaly, le tueur de l’Hyper Cacher, se seraient radicalisés en prison. Si la prison est loin d’être le seul lieu de radicalisation, on estime que 15 % des personnes radicalisées en France l’ont été en prison. A lendemain des attentats de janvier 2015, le Premier ministre annonçait une série de mesures anti-radicalisation. Un plan confirmé et renforcé le 9 mai dernier.

Géraldine Blin, Directrice de projet Lutte contre la radicalisation à la Direction de l’Administration Pénitentiaire nous présente les grandes lignes de la prise en charge des personnes radicalisées en prison.

L’administration pénitentiaire gère depuis plusieurs années des personnes détenues pour des faits de terrorisme. Elle fait face également depuis plus de dix ans à des phénomènes de prosélytisme islamiste et de radicalisation violente.

Après les événements qui ont marqué la France en 2015, l’ensemble des services de la Direction de l’Administration Pénitentiaire se sont mobilisés, à tous les échelons, pour la mise en œuvre du plan de lutte anti-terrorisme (PLAT) annoncé par le Premier Ministre le 21 janvier 2015 couvrant des champs divers (programmes expérimentaux de prise en charge, moyens humains et matériels, formation des personnels, etc.).

Phénomène évolutif et multifactoriel, la radicalisation encourage l’administration pénitentiaire à renforcer, quantitativement et qualitativement, son réseau de renseignement, tout en consolidant la démarche pluridisciplinaire dans lequel elle s’inscrit depuis plusieurs années. La prise en charge des personnes confiées à l’administration pénitentiaire, radicalisées, susceptibles ou en voie de l’être, est devenue la priorité de chacun, la détection ne pouvant désormais plus être une fin en soi.

Mieux connaître le public concerné

Par un réseau du renseignement pénitentiaire renforcé

La création du bureau du renseignement pénitentiaire au sein de l’administration pénitentiaire en 2003 a eu pour principale finalité de professionnaliser des techniques et des méthodes. C’est donc en toute logique que le renforcement, à la fois sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif de ce secteur, est un axe fort du PLAT dans son volet pénitentiaire avec le développement de la pluridisciplinarité (avec l’arrivée de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, d’analystes veilleurs ou d’experts en investigation numérique dans les cellules interrégionales du renseignement).

Par des outils et une méthode de détection adaptés

Plusieurs outils de détection de la radicalisation ont été conçus et utilisés dans les établissements depuis 2010. Très orienté vers le repérage de pratiques fondamentalistes plutôt que de risque de radicalisation violente, l’administration pénitentiaire a continué de travailler sur le sujet et expérimente désormais des grilles de détection et une méthode pluridisciplinaire dans 30 établissements pénitentiaires. Chacune des grilles s’appuie sur ce que chaque catégorie de personnels est amenée à repérer par l’usage de gestes professionnels du quotidien (vie en détention et relations avec les autres détenus pour le surveillant par exemple, antécédents de violence agie ou subie et relations avec l’extérieur pour le SPIP).

Cette démarche de détection s’appuie également sur les psychologues et éducateurs composant les binômes de soutien et recrutés par l’administration pénitentiaire dans le cadre du PLAT.

La méthode retenue repose ainsi sur le croisement des regards en commission pluridisciplinaire afin d’objectiver au mieux une radicalisation supposée ou avérée. L’objectif est de repérer le plus précocement possible pour décider ensuite des modalités de la prise en charge pluridisciplinaire.

Pour mieux prendre en charge

Par une politique généraliste de prévention

Convaincue que la prévention et la lutte contre la radicalisation ne se limitent pas à la seule prise en charge des personnes détenues identifiées comme radicalisées ou en voie de basculement, l’administration pénitentiaire a renforcé ses actions en matière de prévention et d’accompagnement de l’ensemble de la population pénale.

Des programmes arrivants sont ainsi mis en œuvre dès l’arrivée des personnes en détention et durant les premiers mois de détention par le biais notamment de modules de sensibilisation à la citoyenneté et au vivre ensemble. L’accroissement des activités, des aménagements de peine ainsi que le développement de nouveaux programmes d’insertion concourent à cette idée de prévention généraliste.

Par ailleurs, bien qu’elle n’ait pas prioritairement mis l’accent sur la dimension religieuse de la radicalisation, l’administration pénitentiaire s’est engagée dans une politique volontariste de recrutement d’aumôniers musulmans. Au 1er janvier 2016, 196 aumôniers musulmans étaient agréés auprès des établissements pénitentiaires, contre 150 en 2012.

Par des programmes spécifiques de prévention de la radicalisation

Jusqu’en 2015, et cela demeurait la grande faiblesse du système, il n’existait aucune modalité de prise en charge spécifique des détenus radicalisés ou susceptibles de l’être. Contrairement à ce que l’administration pénitentiaire propose pour certains types de délinquants, il n’existait aucun programme adapté aux personnes radicalisées.

L’AfVT et l’Association Dialogue Citoyen (ADC) ont été missionnées par la DAP pour une recherche-action d’une durée d’un an à compter de janvier 2015 afin de mettre en place au sein des maisons d’arrêt d’Osny et de Fleury-Mérogis des programmes de prise en charge à destination de détenus radicalisés ou en voie de l’être.

C’est grâce à cette expérience d’accompagnement resserré qu’il a pu être dégagé les pistes suivantes pour l’avenir :

• évaluer, d’une manière plus systématique, les trajectoires délinquantes, le niveau d’imprégnation religieuse et le niveau de risque que la personne représente en termes de passage à l’acte violent fondé sur un motif extrémiste.

• former des professionnels (surveillants, encadrement de la détention, éducateurs, psychologues, CPIP) pour qu’ils aient une bonne connaissance du public et qu’ils adoptent des postures professionnelles non jugeantes.-développer des groupes de parole qui encouragent la remise en question, la réflexion critique et l’analyse.

• développer les compétences cognitives et les comportements prosociaux, en aidant les détenus à cerner les problèmes qui les ont poussés vers des opinions extrémistes, travailler l’estime de soi, l’amour propre, la confiance en soi. Les activités pédagogiques, culturelles ou sportives constituent autant de médias utiles au processus de socialisation positive.

• travailler le lien avec les proches, la parentalité, permettre au détenu de retrouver une place dans la famille.

• mener des programmes de prise en charge mêlant les entretiens individuels et les séances collectives avec différents professionnels et partenaires afin de favoriser une pluridisciplinarité, sur une durée de 6 mois au minimum.

L’ensemble de ces pistes est désormais exploité dans la construction des programmes qui ont pu être déployés dans les unités dédiées ou dans d’autres établissements pénitentiaires de l’Ile-de-France.

Le regroupement en question

Début 2014, 90 personnes relevant de la qualification pénale « association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste » liée à l’Islam radical étaient incarcérées. Ils sont 270 aujourd’hui. Pour des raisons inhérentes à l’organisation judiciaire, les affaires sont regroupées au sein de la section anti-terroriste du parquet de Paris et 200 d’entre elles sont donc incarcérées dans des établissements pénitentiaires de la région parisienne.

L’idée du regroupement avait jusqu’alors été écartée, mais la hausse massive des effectifs et les risques de développement d’un prosélytisme fort sur toute la détention en cas de dispersion ont amorcé un changement.

Les attentats de janvier 2015 ont accéléré les premières réflexions sur cette question, et ont conduit notamment la création de cinq unités dites dédiées à la gestion des personnes détenues radicalisées ou en voie de radicalisation. Elles ont ouvert en janvier 2016 et accueillent sur une période de temps des détenus prévenus ou condamnés pour des faits de terrorisme.

Parmi ces cinq unités, deux sont consacrées à l’évaluation des personnes détenues radicalisées ou en voie de radicalisation. Les outils d’évaluation créés visent à mesurer le niveau de la radicalité, de l’imprégnation religieuse, et le risque de passage à l’acte violent fondé sur un motif religieux.

Les programmes développés dans les 3 autres unités dédiées intègrent trois dimensions :

• La dimension psychologique : avec un travail sur les antécédents de vie, sur le parcours, sur les problèmes de gestion de la colère…

• La dimension sociale, familiale et professionnelle

• La dimension politique et religieuse

• Chaque unité propose des modes de prise en charge différents liés au profil des personnes.

Mais la prise en charge des personnes détenues radicalisées ou en voie de radicalisation ne saurait donc être assurée exclusivement en unités dédiées, qui restent, à ce jour, un dispositif expérimental. Aussi la direction de l’administration pénitentiaire s’attache à formaliser un cadre commun d’organisation de leur gestion dans tout établissement pénitentiaire.

Comme l’ensemble de l’Europe, la France est à la recherche des solutions les plus efficaces pour lutter contre un phénomène qui dépasse de loin la simple cadre de la prison. L’ambition de prévenir et de lutter contre la radicalisation doit être l’affaire de tous au sein de l’institution pénitentiaire, comme dans toutes les composantes de la société civile. 

 

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