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L'enjeu premier de la loi travail : plus de contrat et moins de loi

Par Jacques Barthelemy, Avocat – Conseil en droit social, Ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier, Fondateur en 1965 du Cabinet éponyme

On peut être contre les modifications envisagées par la loi travail concernant les normes. Mais la présentation qui en est faite sur ce point est fausse.

Soutenir que désormais le taux des heures supplémentaires sera réduit à 10 % est une contrevérité pour deux raisons :

D’abord, cette faculté existe déjà depuis la loi Fillon du 17 janvier 2003.

Ensuite, il ne s’agit que d’une faculté ne pouvant naître que d’un accord collectif ; la novation vient seulement de ce qu’il s’agit actuellement d’une dérogation au droit commun, tandis que la loi travail prévoit qu’un accord d’entreprise fixe le taux sans pouvoir être inférieur à 10 %, la convention de branche ne s’appliquant qu’à défaut, donc la réglementation en l’absence de tissu conventionnel (supplétivité). Et le taux minimal d’audience des syndicats signataires pour valablement conclure est porté de 30 % à 50 %. Enfin, un accord collectif étant un contrat, une telle règle est la contrepartie d’autres dispositions dans le cadre d’un compromis ; le caractère plus favorable s’apprécie alors globalement sur l’ensemble de l’accord et pas avantage par avantage car on voit mal un syndicat signer un accord ayant comme seul objet de réduire le taux (légal) de majoration des heures supplémentaires.

La critique d’autonomisation de l’accord d’entreprise par rapport à la convention de branche est encore plus infondée. Cette faculté existe depuis la loi du 4 mai 2004, laquelle, de surcroît, est inspirée d’une déclaration commune des syndicats de juillet 2001. Certes la convention de branche peut actuellement interdire la dérogation, mais cela ne change rien au fond, d’autant que l’article L2253.3 du code du travail a fixé un domaine d’indérogabilité matérialisant ce qu’on peut appeler « ordre public professionnel » inspiré de ce qui contribue à l’identification de la branche au plan économique (exemple les classifications) et à la consolidation de la collectivité de travail (exemple : les règles de mutualisation, au service de la solidarité, des contributions alimentant les droits à la formation et à la prévoyance). Est une protection des travailleurs l’exigence d’un accord de méthode permettant équilibre des pouvoirs, comportement loyal des négociateurs, exécution de bonne foi. Enfin, permettre à l’accord d’entreprise de fixer des normes, la convention de branche n’intervenant qu’à défaut, existe aussi depuis la loi du 20 août 2008 s’agissant de la répartition et de l’aménagement des horaires.

L’enjeu fondamental de cette réforme c’est de savoir si est préférable un volume de dispositions légales important permettant un champ vaste pour la décision unilatérale de l’employeur ou un droit légal impératif seulement s’agissant des principes de la compétence exclusive du législateur, le supplément ne pouvant naître que de contrats collectifs signés d’organisations syndicales majoritaires et de ce fait réduisant le champ de la décision unilatérale. Substituer à des normes légales banalisées des normes adaptées au contexte grâce au contrat contribue à la compétitivité donc à l’emploi. Cette seconde voie est sans doute plus protectrice des salariés dans la mesure où l’abondance et la complexité du droit légal (du code donc) induit son ineffectivité, l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » devenant surréaliste. Ceci ne peut qu’induire insécurité juridique et judiciarisation excessive.

Vouloir conserver un droit légal abondant, c’est nuire au rôle des syndicats en réduisant le champ du droit de la négociation collective qui est pourtant un droit fondamental (cf. alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne). Un droit plus contractuel au-delà des principes est sans nul doute plus efficace qu’un droit essentiellement réglementaire, d’autant que pour Montesquieu « le signe le plus avéré de la décadence d’une société est la prolifération des lois ». Il faut méditer ce que disait Portalis, concepteur du Code civil, pour lequel il ne faut que des lois nécessaires, les lois inutiles portant atteinte à la majesté de la législation.