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La France EST la solution

Par Frédéric Salat-Baroux, ancien Secrétaire général de l’Elysée*

Pris dans le débat identitaire et sur le devenir de notre modèle de 1945, nous ne mesurons pas réellement que la révolution technologique balaye tout : le futur dévore le présent. En moins de dix ans un véritable changement de civilisation s’est engagé.

L’Occident ne domine plus. La Chine a dépassé les Etats-Unis en PIB, mesuré en parité de pouvoir d’achat. Les grands Empire d’hier, la Chine, l’Inde sont de retour. L’Afrique s’annonce. Nous avons pensé la mondialisation à travers le prisme des délocalisations. Plus encore, elle marque la revanche des damnés du XIXème siècle. Les chiffres témoignent de l’incroyable inversion des rapports de force : 3 millions de personnes travaillent dans l’industrie en France, 6 à 7 millions en Allemagne, 90 millions en Inde, 180 millions en Chine. En 2030, l’Occident - Japon compris - comptera 1 milliard d’habitants, la Chine, l’Inde et l’Afrique : 1,5 milliard chacune.

Internet, le numérique ressuscitent l’économie du partage, balayée par le mouvement des enclosures de la première révolution industrielle. C’est la seconde revanche des damnés. Le logiciel libre est plus efficace que Microsoft. Mais ce mouvement de fond peut déboucher sur le triomphe des "barbares" : l’ubérisation de l’économie le basculement dans un capitalisme violent, dominé par la flambée des inégalités et de la précarité, subie par des prétendus auto-entrepreneurs, en réalité, soumis à des donneurs d’ordres en situation de quasi monopole. Mais l’économie du partage peut tout aussi bien permettre de construire un système économique plus juste, plus sobre plus solidaire, qui réponde aux défis du réchauffement climatique et à l’épuisement des ressources naturelles. Rien n’est écrit.

Dans ce monde en ébullition, il n’y a pas de fatalité à la perdition de la France. L’histoire montre que nous avons toujours été en retard, lors des précédentes révolutions industrielles mais que nous nous sommes toujours repris. Une jeunesse française, qui n’a peur de rien, s’est lancée à l’assaut de ce nouveau monde et annonce le grand retour des Français.

Mais les défis à relever sont considérables.

Le temps joue contre nous. Nous sommes encore à devoir rattraper des retards pris au tournant du siècle : 35 heures, adaptation du droit du travail, fiscalité étouffante, multiplication ruineuse des échelons d’administration…alors que la nouvelle économie avance à une vitesse exponentielle.

Si nous mettons, par exemple, cinq ans à sortir des 35 heures, nous risquons de nous réveiller dans un monde du travail dominé par les plates-formes d’échanges, où des actifs, de plus en plus nombreux, n’auront ni la protection du salariat ni l’autonomie des travailleurs indépendants. Un monde du travail caractérisé par l’explosion de la frontière entre temps de travail et temps pour soi, sous l’effet des nouvelles technologies de la communication.

Il faut nous battre sur deux fronts : rattraper, sans attendre, ces retards pour avoir le temps de s’attaquer à l’essentiel : l’adaptation à la civilisation 3.0.

A l’heure où l’intelligence artificielle menace un emploi sur deux et où l’humanité peut parfaitement se fracturer entre les Seigneurs, qui commandent aux robots et la grande masse des hommes inutiles, l’enjeu éducatif est majeur. L’école doit se réinventer grâce au numérique. Sur le modèle de la Khan Academy ou des Mooc, il faut passer de l’école tayloriste à l’école sur mesure. L’Etat doit également se réinventer, non pas selon un modèle ultra libéral, mais pour intégrer dans son fonctionnement les logiques participatives. C’est la clé d’une efficacité retrouvée et de la réconciliation avec l’action publique. L’Europe ne sortira également de la crise qu’en passant de sa logique actuelle d’utopie punitive à l’instrument privilégié de projection des peuples européens dans ce nouveau monde. La ligne d’horizon de l’Europe, c’est de lancer, pour les cinquante prochaines années, un plan de transformation des 180 millions de bâtiments non plus en consommateurs d’énergie mais en producteurs d’électricité propre et décentralisée. C’est de travailler au lancement d’un Google européen. C’est de créer un espace permettant de fiscaliser l’or digital : le Big Data, confisqué par les GAFA et les nouveaux maîtres de l’économie numérique.

Plus encore, la nouvelle frontière de l’action publique est de favoriser l’émergence d’une économie du partage à la fois innovante et éthique.

Ce livre est un appel au débat. Il ne se limite pas à poser un diagnostic. Il met sur la table, dans les domaines de l’Etat, de l’Europe, de l’école, de la fiscalité, de l’emploi ou de la protection sociale, des propositions à la fois de rattrapage et de projection pour répondre aux défis qui sont devant nous.

Ces propositions sont ouvertes. Elles seront mises en ligne afin d’être débattues, modifier, améliorées, selon une logique d’Open Source, qui est la grande révolution de notre époque.

Dans ce siècle exaltant et effrayant, notre génération ne doit pas être celle qui aura laissé la France petite. 

* Auteur de "La France est la solution" chez Plon.