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Territoires et relocalisations : vulnérabilité et performances dans la mondialisation

Par E. M. Mouhoud Professeur d’Economie à l’Université Paris Dauphine (D2)

Les mouvements des activités industrielles affectent profondément les territoires concernés et les populations qui y habitent. Une action publique sur le phénomène des délocalisations/relocalisations (1) ne doit pas se limiter aux entreprises. Les zones d’emploi dépendant d’industries exposées à la mondialisation sont particulièrement vulnérables. Il est donc essentiel d’être capable de renforcer les avantages des territoires pour fixer durablement des segments stratégiques des chaînes de valeur et éviter de simplement attirer des productions volatiles. Pour identifier les zones fragiles et les zones dynamiques, une analyse novatrice de leurs caractéristiques productives a été développée (2).

Une analyse des situations et des dynamiques territoriales a été menée afin d’identifier des facteurs de « délocalisabilité » ou de « relocalisabilité », et de les rapporter aux caractéristiques propres des territoires, en termes de spécialisation sectorielle et de caractéristiques des emplois qu’ils accueillent. Quatre types de spécialisations sectorielles peuvent s’observer sur les territoires (sur les 321 zones d’emplois selon le découpage de l’INSEE) : secteurs domestiques peu délocalisables mais en régression du point de vue de la compétitivité international ; secteurs peu délocalisables mais performants à l’exportation ; secteurs délocalisables marquées par la compétitivité coût très vulnérables ; secteurs délocalisables de performances extrieures. La typologie établie, no les comportements de délocalisation de ces groupes de secteurs ont été identifiés (3) : il existe une présomption de délocalisation lorsqu’une forte réduction des effectifs (au moins 25 % des effectifs initiaux) est accompagnée par une augmentation des importations proportionnée à la production arrêtée en France. Ceci permet de construire un indice de vulnérabilité des territoires face aux risques de délocalisation mais aussi d’évaluer le potentiel de performances.

La spécialisation des territoires : fragilité et attractivité

La mesure de la spécialisation des territoires dans des activités de chacune de ces quatre classes permet de caractériser les risques de fragilité ou les potentiels d’attractivité et de relocalisation des activités territoriales. D’autres variables renseignent sur la fragilité des zones d’emploi : la part des fonctions concrètes, la part des tâches routinières et la part des emplois dans les secteurs jugés délocalisables (secteurs industriels de délocalisations défensives, de délocalisations offensives, de services associés à des fonctions support). Enfin, des variables indiquent les opportunités existant pour les territoires. Celles-ci ont trait à la présence, soit de l’action publique sur le territoire au travers des pôles de compétitivité ou de services collectifs, soit d’activités innovantes au travers des services cognitifs ou des fonctions d’innovation contenues dans les activités économiques.

La combinaison de l’ensemble des informations permet (par une analyse en composantes principales) d’identifier six catégories de territoires (un territoire étant une zone d’emploi, au sens de l’Insee). Trois catégories de territoires sont spécialisées principalement dans les secteurs industriels et trois autres catégories sont spécialisées principalement dans des activités de services :

Trois types de zones ou territoires industriels : de performance extérieure ; en territoire rural ; mono-spécialisés. Trois types de zones de services : rurales de services collectifs ; touristiques et de proximité ; urbaines.

La répartition du nombre de zones d’emplois et du nombre d’emplois dans chaque type d’emplois laissent entrevoir des résultats relativement optimistes : seules 31 Zones d’emplois sur 321 représentant un peu plus d’un million d’emplois soit environ 4 % de l’emploi total sont des zones industrielles mon spécialisées et vulnérables. A contrario, la plupart des emplois (plus de 16 millions) se trouvent dans les zones urbaines de services de la connaissance qui sont au nombre de 79 et des zones industrielles en territoire rural, les plus nombreuses (95) accueillant plus 3,7 millions d’emplois. Les zones industrielles de performances extérieures sont aussi plus nombreuses (39) que les zones industrielles monospécialisées et abritent presque 4 millions d’emplois. Ce constat est plutôt rassurant. Cependant, si les zones d’emplois qui abritent des secteurs vulnérables sont moins nombreuses et représentent une part d’emplois plus faibles, c’est aussi parce que ce sont celles qui ont subi les pertes les plus importantes durant les quinze dernières années.

Les potentiels de relocalisation des territoires français résident prioritairement dans les zones dites « de performances extérieures » et les « zones urbaines de services de la connaissance ». La carte suivante présente la répartition des territoires (les zones d’emploi) entre les six catégories identifiées (figure 2). Il est intéressant d’examiner, et la carte le montre également, comment les 107 cas de relocalisation identifiés jusqu’à présent se répartissent entres ces territoires.

Conclusion

De cette analyse territoriale a permis de tirer trois leçons susceptibles d’éclairer une nouvelle politique de relocalisation.

La présence en France des territoires dynamiques qui innovent, exportent et importent ; ils sont positivement immergés dans la mondialisation ; les relocalisations sont proches des zones intenses en services cognitifs (recherche mais aussi design, publicité, etc.) ; qu’elles s’y opèrent, ou qu’elles prennent lieu dans un territoire qui leur est connecté. L’attractivité (ou la compétitivité) des territoires ne peut plus être analysée de manière isolée : elle est nourrie par les performances des territoires de performances extérieures qui mobilisent autour d’eux les atouts des territoires industriels et de services dynamiques. Il faut penser ces territoires comme offreurs d’écosystèmes créatifs et productifs, propices à l’innovation, à l’excellence productive, et à une agilité dans les repositionnements en gamme des produits.

Cette analyse enseigne également sur le sens à donner aux politiques de soutien aux territoires (du plus défensif au plus offensif). Il convient tout d’abord de se doter d’instruments pour surveiller les zones industrielles mono-spécialisées et y construire une anticipation des mutations et reconversions qui s’y annoncent (politiques de formation, orientation, reconversion des salariés). Ensuite il ne faut pas se contenter de soutenir des relocalisations de retour (primes à la relocalisation) motivées par l’inversion des différences de coûts de production par rapport aux pays à bas salaires car elles sont intrinsèquement volatiles. En troisième lieu il convient de favoriser la transition des zones industrielles en territoires ruraux en zones industrielles de performances d’exportation, en œuvrant en faveur de leur connexion active avec les zones servicielles urbaines. Enfin il est souhaitable de favoriser les relocalisations de développement compétitif dans les zones industrielles de performances d’exportations et dans les zones servicielles urbaines.

Au-delà de leur exposition passive aux conséquences de la mondialisation, les territoires ont un rôle actif à jouer, dans la construction d’avantages compétitifs collectifs, au service de leur industrie, et dans leur mise en tension. Mais cette construction doit s’opérer en logique de connexion avec les territoires mieux dotés qu’eux, soit en services cognitifs et fonctions créatives (pour les territoires productifs) , soit en capacités et savoir-faire productifs (pour les territoires de services cognitifs). Ainsi, les territoires seront plus nombreux à pouvoir se développer en écosystèmes intégrés, performants et solidaires.

De manière générale, il faut questionner davantage le maillage entre les services et l’industrie en France, et s’appuyer sur ce maillage pour relativiser la désindustrialisation de la France. Une partie de l’industrie française se trouve en effet dans les services, et des articulations entre ces deux secteurs sont à l’œuvre en permanence dans les territoires.

Il est donc essentiel de favoriser la création d’écosystèmes rassemblant les zones de services et les zones industrielles de performance extérieure, et de conduire une politique d’anticipation des chocs économiques. 

(1) Voir notre papier dans cette revue E. M. Mouhoud « délocalisations et relocalisations à l’ère de la post mondialisation », La Revue Parlementaire, octobre 2013.
(2) Mouhoud E. M. , Jennequin H. , Dupuch S. , et Miotti L. (2013) La dimension territoriale des délocalisations et relocalisation d’activités en France, Partie III de l’étude pour la DGCIS et la DATAR, Relocalisations d’activités en France 2013.
(3) A été adoptée démarche très similaire à celle appliquée au niveau des établissements par Aubert et Sillard (2005) pour construire une variable de présomption de délocalisation effective. Aubert P. et Sillard P. (2005) « Délocalisations et réductions d’effectifs dans l’industrie française », in Insee, L’économie française : comptes et dossiers, Insee - Référence, Edition 2005-2006, pp. 57-89