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Ma boîte à outils pour la reprise

Reconnaissable à sa chemise jaune, Jean-Claude Bourrelier, quatrième enfant d'une famille pauvre de la Sarthe est un autodidacte. Il a exercé de multiples petits boulots avant de devenir le fondateur de la chaîne de bricolage Bricorama. Dans un ouvrage incisif, Jean-Claude Bourrelier revient sur son parcours personnel et professionnel. Faussement modeste, il raconte comment, en quarante ans, à force de volonté et d'intuition commerciale, il a pu bâtir un empire du bricolage qui emploie près de 5000 personnes au chiffre d'affaires de 945 millions d'euros. Jean-Claude Bourrelier s'est fait connaître des médias et du grand public pour son franc-parler et un certain bon sens qui lui ont fait prendre la tête d'un combat en faveur de l'égalité face à la législation sur l'ouverture de magasins le dimanche. Face à la crise, il préfère aux discours défaitistes, l'action et l'engagement. Et justement, dans son livre, il nous ouvre sa boîte à outils pour la reprise parce que « nous sommes parvenus à un stade où des décisions doivent être prises » écrit-il.

Jean-Claude Bourrelier*

*Jean-Claude Bourrelier est le P-DG de la chaîne de bricolage Bricorama.

|…] L'enfance est déterminante. Cette énergie folle qui m'habitait, canalisée par ma surdité, a débouché sur une rage de gagner, une volonté de réussir en dépit de cette éducation que je n'ai pas eue. Une conviction que je pouvais aller aussi loin que les autres, ne jamais baisser les bras ni avoir peur, et toujours essayer. Cela grâce à mon optimisme, à ma faculté de voir toujours le verre à moitié plein, et à l'envie d'entreprendre qui m'animait ; sachant qu'un travail acharné paie toujours, à condition de s'y dévouer corps et âme. Sans optimisme, impossible d'entreprendre. À la campagne, on dit qu'il y a « les diseux, les taiseux et les faiseux ». Moi, je suis un faiseux.

Le « do it myself ! »

Je ne supportais plus les chefs qui décidaient de ma vie sans prendre en compte mes aspirations, je m'estimais capable de faire des choix et de les assumer. J'ai donc finalement pris la décision capitale : me mettre à mon compte et créer mon entreprise. En d'autres termes, acquérir mon indépendance dans les affaires, devenir pleinement responsable de mes succès comme de mes échecs. […] Créer son affaire et parvenir à la pérenniser représentait un risque financier réel, mais je pensais que je pouvais me le permettre, car ma femme était fonctionnaire. […]

[…] Le bricolage était à l'origine une affaire d'hommes, une nécessité pour toutes les classes sociales, en premier lieu la classe ouvrière, avant que cette nécessité ne devienne un plaisir grâce aux femmes qui s'y sont mises. À cette époque, beaucoup de grandes surfaces, parmi lesquelles Castorama, Leroy-Merlin et d'autres maintenant disparues, voyaient le jour en très grand nombre. C'est donc logiquement que j'ai décidé d'ouvrir mon propre magasin de bricolage. À force de visiter toutes sortes de magasins, cela ne me semblait pas si compliqué, ou du moins cela m'était devenu familier. Il suffisait de bien choisir son emplacement, ses produits, de les présenter correctement, de satisfaire la clientèle et ses besoins. En bref, de faire appel au bon sens. […]

J'ai ouvert mon premier magasin le 22 octobre 1975. Mon enseigne n'avait pas vocation à faire des petits puisqu'elle s'appelait « La Maison du XIIIème » !

La consolidation

[…] 1983, année folle. La peur du rouge a beaucoup servi aux entrepreneurs qui n'avaient pas froid aux yeux ! Il suffisait de se baisser pour cueillir les opportunités. C'est au cours de cette même année que j'ai acheté ma maison de Nogent à un prix incroyable, auprès d'un héritier terrorisé par la crainte que des squatters prennent possession de son bien et qu'il ne puisse jamais plus les déloger, lois de gauche obligent… Cette même année, j'ai acquis ma maison à la montagne. Beaucoup de grandes fortunes françaises se sont bâties pendant cette période de crise, si fructueuse pour ceux qui se trouvaient au coeur du pouvoir et savaient activer leurs appuis et réseaux politiques. L'ascension des Pinault, Arnaud ou Tapie date d'ailleurs de cette période, non sans le concours du Crédit Lyonnais et de ses filiales. Pour Tapie, cela s'est mal terminé, car il avait oublié qu'il vaut mieux ne pas mélanger les affaires et la politique.

En 1983, le pouvoir a ouvert en grand les robinets du crédit pour redresser les entreprises mises en difficultés par de très mauvaises décisions économiques.

Les nationalisations avec la déstabilisation qui s'est ensuivie ont eu des conséquences catastrophiques, exception faite de la Banque Rothschild, qui a ainsi été tirée de grosses difficultés. Comme chef d'entreprise, j'aurais voulu être écouté, que mes conseils et mes recommandations soient entendues. Nous n'étions pas nombreux à gauche à comprendre le fonctionnement des entreprises.

C'est devenu pire ! Les nouveaux détenteurs du pouvoir étaient devenus sourds. J'ai participé à des commissions à l'Assemblée nationale pour faire des lois plus favorables aux entreprises. Mais ils étaient comme ivres de leurs certitudes erronées. Ces fonctionnaires ne voyaient qu'un seul moyen de réussir : s'appuyer sur la fonction publique, en utilisant les impôts comme facteur de progrès ! Je n'ai pas su ni pu être audible. […]

L'équilibre

[…] Le dirigeant d'une entreprise a pour mission de répartir entre de nombreux ayants droit la valeur produite. Sa contribution à la création de cette valeur est essentielle, mais elle n'est pas seule : s'y ajoute la contribution des salariés. Et ce n'est pas tout ! Nombreux sont les prélèvements que divers organismes réclament. Le dirigeant ne peut pas s'y soustraire, et de fait il ne peut donner à ses collaborateurs moins de la moitié directement en salaire net. Le reste va aux assurances sociales, la retraite, etc.

Trente-trois lignes de prélèvements pour un cadre ! Et ce n'est pas fini. Le prélèvement des impôts à la source va engendrer des nouvelles complications lourdes et inutiles pour l'État et les entreprises. Le chef d'entreprise est un excellent percepteur, efficace et au plus près pour prélever. Mais pour faire ce travail, il n'est pas rétribué. En d'autres termes, je dois dire qu'en tant que chef d'entreprise, ce rôle de percepteur qui nous incombe m'a toujours gêné. […]

[…] Je suis convaincu que l'éducation, les connaissances théoriques sont très importantes, que sans elles on est incomplet, handicapé. Mais la réciprocité est vraie : sans pratique, la théorie est insuffisante, incomplète, les deux formant le yin et le yang pour une formation idéale ! N'apprendre que les concepts sans connaître les hommes et le terrain crée des responsables ignorants des réalités. L'apprentissage doit marier les enseignements pratique et théorique. Ce que je déteste, c'est cette ségrégation entre les deux formes de connaissance, elles sont toutes deux essentielles, complémentaires et tout aussi estimables l'une que l'autre. […] L'apprentissage ne doit pas être un second choix, considéré comme une voie de garage, il devrait être synonyme d'excellence. Un apprentissage ou un contrat d'alternance valent mieux que des stages. Les entreprises y trouvent aussi leur compte. Il faut à présent aller plus loin et passer à la vitesse supérieure ! Obliger nos technocrates à intégrer les lieux de production au sens large, commerces, services, les enrichirait humainement. Ce serait une excellente idée, car non seulement ils apprendraient une foule de choses, mais cela revaloriserait l'apprentissage et l'alternance.

Cette idée a été exploitée dans une émission de LCP, La Chaîne parlementaire, intitulée « J'aimerais vous y voir », où des élus enfilent le costume de travail de leurs administrés… Il va sans dire que bien souvent leurs idées préconçues ne résistent pas à l'épreuve du terrain.

Envoyer nos très chères élites en stage chez des ouvriers comblerait le fossé qui se creuse de plus en plus entre travailleurs manuels et intellectuels. {…]

La France et l'entreprise, vécu et solutions d'un entrepreneur

En France, le manque d'implication se généralise. L'exemple de la fonction publique en est pour partie la cause. Elle est paralysée par la situation des avantages acquis. Elle a besoin d'adaptations, de réformes qui devront se faire de façon coordonnée, sinon elles finiront par se produire, mais brutalement. Nous sommes parvenus à un stade où des décisions doivent être prises. Malheureusement, ceux qui sont au pouvoir ont surtout les yeux tournés vers les élections de 2017 et se gardent bien de provoquer des mécontentements.

Conserver un esprit d'entrepreneur est un défi dans notre pays où tous ceux qui veulent créer et travailler, et ils sont nombreux, rencontrent trop d'obstacles. Il faut nombre de réformes. Les réformes sont toujours plus difficiles à faire en France que les révolutions ! Ne nous montrons pas aussi obtus que le roi Louis XVI, dont le refus de changement a provoqué sa perte.

La liste des freins à l'entrepreneuriat est longue, mais quelques-uns crèvent tant les yeux que le simple bon sens devrait permettre de les lever. À commencer par le code du travail et les charges sociales. […]

Le chômage est un fléau qu'il faut combattre de toutes les façons possibles. Par exemple, en ne laissant pas les chômeurs s'enfoncer dans la spirale de l'inactivité. Lorsque l'on perd l'habitude de se lever le matin, de se raser, de s'habiller, d'exister aux yeux des autres, très vite on ne devient plus personne. On peut finir avec une couverture sur le trottoir, et remonter la pente est pratiquement impossible.

La mesure qui s'impose, et d'urgence : la suppression de toutes les charges qui pèsent sur le travail. J'ai bien dit suppression et non pas réduction ! Car ces charges, contrairement aux idées reçues, sont en réalité payées intégralement par le salarié. C'est lui, la victime des salaires réduits au minimum par le poids des charges, et non pas l'employeur. Les charges patronales sont en réalité payées par le salarié, puisque l'employeur les répercute sur des salaires maintenus ainsi bien trop bas.

Il faut aussi revenir sur les trente-cinq heures, qui ont été plus qu'une erreur : une catastrophe. Je m'y étais opposé à l'époque, et j'avais proposé, au lieu de réduire de 10 % le temps de travail, en le faisant passer de trente-neuf à trente-cinq heures, d'augmenter de 10 % les salaires en deux fois, sans toucher aux bases qui servent à calculer les cotisations sociales. […]

Vivement dimanche !

[…] Dans le cas du travail le dimanche, le gouvernement aurait largement pu régler le problème plus tôt, je n'ai dû partir en guerre que parce qu'il ne l'avait pas fait et avait jugé ce sujet mineur. Pire, le refus de signer le décret du dimanche, par le gouvernement de M. Sarkozy, à la veille de sa défaite annoncée, a été pour les syndicats une chance inespérée de toucher le gros lot. Pour le nouveau gouvernement de M. Hollande, qui est un gouvernement de fonctionnaires qui pensent et travaillent comme des fonctionnaires, prendre des décisions contrariantes pour les syndicats n'a été possible que lorsque la situation est devenue intenable.

Le débat sur l'ouverture des magasins le dimanche que voulait Force ouvrière a eu lieu, et les résultats ont été à l'opposé de ceux escomptés par les syndicats. Il a fait découvrir à l'opinion publique des situations iniques et incompréhensibles, et préparé les esprits à l'idée que mieux valait laisser les magasins ouvrir le dimanche que faire face aux conséquences de privilèges accordés par autorisation confidentielle nébuleuse et passe-droit. Reste que j'ai subi au passage des décisions et un préjudice financier injustes. L'année 2014 a été économiquement difficile. Depuis que mes magasins ont rouvert le dimanche, en janvier 2015, nous avons multiplié les opérations spéciales pour faire revenir nos clients de la semaine, en recourant notamment à des bons d'achat valables uniquement le dimanche. Les résultats sont là, mais le retour à la situation antérieure sera long… 

Ma boîte à outils pour la reprise – Jean-Claude Bourrelier – Editions Michel Lafon – 234 pages

© Avec l'aimable autorisation des Editions Michel Lafon

 

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