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Brexit or not Brexit ? Le grand malentendu

Par Fabienne Keller, Sénatrice du Bas-Rhin

Les 18 et 19 février prochains, le Conseil européen décidera de la réponse qu'il entend donner aux demandes britanniques. Sur la base de ce résultat, un référendum à l'issue très incertaine sera organisé au Royaume-Uni, sans doute le 23 juin prochain. Or la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne serait un choc historique, fruit d'une opposition irréconciliable entre une vision pragmatique du projet européen et une vision plus idéaliste. Ce serait aussi la fin d'un grand malentendu. Aujourd'hui le Royaume-Uni semble demander ni plus ni moins qu'un renforcement de son statut particulier parce qu'il souhaite recouvrer l'essentiel de sa souveraineté et que cela passe, selon lui, par le contrôle de ses frontières et de l'immigration – fut elle intra-européenne – et l'autonomie de décision de son Parlement, source première de toute souveraineté.

Pour les Britanniques, l'appartenance à l'Union est un contrat au sein duquel chacun défend ses intérêts et c'est ainsi qu'on atteint une forme d'équilibre satisfaisant pour les deux parties. Le malentendu vient que Bruxelles continue à se draper dans les grands principes et pare la construction européenne d'une portée métaphysique qui prête à sourire Outre-Manche.

Pour comprendre la position britannique, il faut savoir que le Premier ministre est parti d'une double constatation. Premièrement, l'Union a besoin d'une réforme drastique afin de relever le défi de la mondialisation. Deuxièmement, l'Union européenne a besoin de retrouver une légitimité, car elle a perdu le contact avec ses administrés et l'adhésion au projet européen s'en est trouvée affaiblie. En outre, selon l'analyse britannique, l'action des instances européennes échappe à un vrai contrôle démocratique et les parlements nationaux se trouvent dépourvus de leurs prérogatives.

Le Royaume-Uni a posé quatre demandes de réforme de l'Union qui devront être satisfaites s'il doit rester dans l'Union.

La non-discrimination entre les membres de la zone euro et les non membres

La zone euro doit disposer des instruments de son intégration, mais les intérêts de ceux qui n'ont pas adopté l'euro ne doivent pas être menacés par le renforcement inéluctable de la zone euro, ce qui ne manquerait pas de se produire si les règles européennes étaient élaborées seulement par et pour le bloc de la zone euro qui est majoritaire.

Il en découle que le Royaume-Uni souhaite qu'il soit précisé que l'euro n'est pas la seule devise de l'Union européenne. La participation des États membres n'ayant pas adopté l'euro à toute action monétaire ou bancaire doit rester facultative. Enfin, le budget de l'Union ne doit jamais servir à la politique monétaire sans qu'il y ait compensation pour les pays hors de l'euro.

Sur cette demande, nous émettons dans notre rapport les plus grandes réserves dans la mesure où prendre acte du fait que plusieurs monnaies circulent au sein de l'Union et le déclarer officiellement est une façon de s'opposer au projet européen vers lequel tendent les traités puisque l'euro a vocation à devenir la monnaie de tous les États membres.

L'achèvement du marché unique et une plus grande compétitivité

Le Royaume-Uni souhaite un marché unique des capitaux, un marché unique du numérique et un allègement des charges sur les entreprises afin d'assurer la compétitivité et le retour à la croissance. Sur ce chapitre, nous pouvons leur donner acte et la grande majorité des États membres sont prêts à leur emboîter le pas.

En effet, la demande britannique sera aisément acceptée en combinant le programme d'approfondissement du marché unique pour les capitaux, le numérique, l'énergie et les services, avec le projet d'intégration renforcée de la zone euro. Ce compromis prendrait acte de l'existant en l'améliorant : un vaste marché intérieur approfondi au sein duquel on trouverait un sous-ensemble constitué d'une zone économique et monétaire enfin réalisée.

La défense de la souveraineté, la réaffirmation du principe de subsidiarité et le renforcement du rôle des parlements nationaux

Le Royaume-Uni propose de mettre un terme à la désaffection qui entoure l'Union européenne en rétablissant la souveraineté des États membres et en renonçant à une « union toujours plus étroite » qui conduirait au fédéralisme dont certains États ne veulent pas. Ce principe étant un des principes fondateurs du projet européen, il semble inenvisageable que l'on puisse y renoncer, mais en l'état, ce principe ne se traduit pas en obligations juridiques.

Le projet britannique consiste à refonder la légitimité de l'action européenne en renforçant le rôle des parlements nationaux. Il préconise de permettre à une majorité qualifiée de parlements nationaux de repousser les projets législatifs émanant du Conseil ou de la Commission. Il s'agirait d'un véritable « carton rouge » pour lequel aucune majorité qualifiée n'a été étudiée pour l'instant.

Sur ce point, force est de constater que les traités précisent que l'action des parlements nationaux se limite au contrôle dit de subsidiarité. Or, quant au principe de subsidiarité, le Royaume-Uni souhaite qu'il soit appliqué strictement et que reste au niveau national tout ce qu'il est possible de faire à ce niveau. Il s'agit de réserver au niveau européen ce qu'il faut y transférer sous le coup de la nécessité. Pour Londres, un renversement copernicien s'impose puisqu'aujourd'hui, on commence par le projet d'intervention émanant de Bruxelles et on examine superficiellement s'il respecte le principe de subsidiarité. Dans la logique britannique, on ne transmet à Bruxelles que ce que les États acceptent de transmettre parce qu'ils jugent ne pas pouvoir faire mieux eux mêmes.

Les aménagements du principe de la libre circulation des personnes

Bien que favorable au principe de la libre circulation des personnes au sein de l'Union dans une économie ouverte, le Royaume-Uni considère que les pressions que le flux migratoire fait peser sur l'État britannique depuis 2004 sont devenues intolérables. Il conviendrait dans ces conditions de limiter l'entrée de nouveaux candidats. Le Premier ministre demande un aménagement du principe de libre circulation des personnes et suggère qu'un délai de quatre ans soit nécessaire avant que les travailleurs intracommunautaires puissent bénéficier des allocations liées à l'emploi.

Sur ce point, même si nous comprenons que la situation est très tendue dans les services publics britanniques et que les capacités d'accueil sont arrivées à saturation, nous jugeons de notre devoir de réaffirmer avec solennité les principes de la libre circulation des personnes et de l'égalité de traitement des travailleurs. Toutefois, il est possible d'apporter, pour lutter contre les abus ou les fraudes et en cas de circonstances exceptionnelles, des réponses adéquates dans le cadre du droit dérivé. Le débat est ouvert.

Sortir de l'Union par accident

Pour la première fois, un sondage de septembre dernier a donné l'avantage aux partisans d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (à 51 % contre 49 %), mais 22 % des sondés déclaraient qu'ils pourraient changer d'avis en faveur de la sortie si la crise des migrants venait à s'aggraver.

Cependant les deux camps qui s'affrontent au Royaume-Uni sur la question européenne attendent beaucoup trop du référendum. L'émotion partisane retombera et ce référendum ne sera sans doute pour le Royaume-Uni ni historique ni essentiel car, quelle que soit l'issue, il ne résoudra sans doute rien de manière définitive.

En effet, rien ne saurait être définitif dans la relation que le Royaume-Uni devra continuer à entretenir avec le continent en général et avec l'Union européenne en particulier. On assistera même à un retournement dans les deux camps : ceux qui soutenaient le maintien dans l'Union ne seront pas si embarrassés par un vote négatif qui au contraire les confortera dans la négociation de la redéfinition des liens entre le Royaume-Uni et l'Union européenne et ceux qui préconisaient la sortie, s'ils ne l'obtiennent pas, ne désespéreront pas d'une renégociation de ces liens qui aura lieu malgré tout.

En effet, si l'issue du référendum est favorable à la sortie, cette sortie ne sera jamais une sortie complète. Un arrangement suivra, conduisant à institutionnaliser autrement les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Le Royaume-Uni acceptera ce qu'il faut accepter de contraintes pour garder l'accès au marché unique.

Si le référendum aboutit au maintien dans l'Union, le Royaume-Uni continuera à négocier sa place au sein de l'Union, une place singulière comme il la conçoit depuis toujours et tendant à un statut de plus en plus particulier.

Ainsi, quelle que soit l'issue du référendum, les choses changeront assez peu pour la Grande Bretagne. Ceux qui cherchent, aujourd'hui, à faire du référendum une question existentielle s'abusent ou veulent abuser l'opinion. Le moment venu – et si les négociations trainent en longueur à Bruxelles ou si elles sont peu fructueuses parce que Bruxelles s'entête à refuser aux Britanniques ce qu'il faut bien se résoudre à appeler un statut singulier – les deux camps reprendront leurs esprits, l'enjeu du référendum semblera moins capital et son résultat, devenu plus incertain, sera aussi devenu moins important pour les Britanniques, tant ils sont convaincus que la Grande Bretagne, dans ou hors de l'Union, restera toujours la Grande Bretagne.

Il semble que cette certitude fondamentale échappe encore à Bruxelles. Le Royaume-Uni peut sortir de l'Union par accident, faute d'une conviction suffisante et sous l'effet d'un évènement adventice, et porter, sans l'avoir voulu, un coup fatal au projet européen. Aussi notre intérêt est-il que le résultat de la négociation mette le Premier ministre britannique en position de force pour convaincre ses électeurs que l'Union vaut bien quelques atteintes au « principe d'insularité »

* Auteur du rapport « Royaume-Uni et Union européenne : quelles réponses aux demandes britanniques ? »