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Aux actes dirigeants !

Par Robin Rivaton, Economiste, essayiste*

A la racine du désengagement des citoyens envers la politique, se trouve le sentiment de trahison entre les promesses formulées lors des campagnes électorales et l'exercice du pouvoir. L'absence de résultats nourrit la défiance. Près de neuf Français sur dix estiment que les politiques passent davantage de temps à communiquer qu'à agir. Il est vrai que notre pays reste immobile quand tous nos voisins changent et évoluent. Le chômage baisse partout en Europe, la réduction des déficits s'opère partout. La société française elle-même évolue, nos entreprises également mais dès que quelque chose de près ou de loin à l'action publique, notamment au niveau national, il est immanquablement frappé d'inefficacité.

Le moindre grain de sable semble se transformer en sommet inatteignable. La profession des taxis est le triste exemple. L'idée d'élargir la profession de transporteurs individuels au-delà des taxis est apparue en janvier 2008, après la remise du rapport Attali au gouvernement. La Commission pour la libération de la croissance. Il a ensuite fallu attendre près de 18 mois pour que cette préconisation soit transposée dans la loi du 22 juillet 2009 dite "de développement et de modernisation des services touristiques". 7 ans plus tard, le problème n'est pas réglé, la perte de part de marché des taxis s'accélère et la tension sociale s'accroît, sans qu'aucune solution durable de sortie de crise n'ait été trouvée, mesures de court-terme et médiations répondant aux manifestations violentes.

Les Français ne sont pourtant pas plus génétiquement allergiques à la réforme que leurs voisins européens. Les Français sont prêts, ils sont majoritairement favorables au changement. Ils acceptent le changement tous les jours dans leur vie personnelle et professionnelle. Ils ressentent que l'exigence du changement s'accélère.

Si la volonté populaire ne fait pas défaut, alors pourquoi le changement ne se concrétise jamais ? Les Français incriminent leurs responsables politiques. Ecartons d'emblée toute malhonnêteté. Les hommes et femmes politiques ne cherchent pas à jouir inconséquemment de l'exercice du pouvoir. C'est une vocation tellement difficile, tellement risquée, qu'il est nécessaire d'avoir une véritable conception de l'intérêt général.

Le principal problème réside dans la méthode. Somme toute, la préparation programmatique à l'élection présidentielle est essentiellement une entreprise amateur au sens où les partis politiques n'ont pas les moyens de subvenir aux coûts de fonctionnement d'une équipe professionnelle. Une fois au pouvoir, le dirigeant peut mobiliser des ressources d'analyse et d'exécution infiniment supérieure mais il est déjà trop tard. A la différence d'un chef d'entreprise à qui le conseil d'administration laisse deux ou trois mois pour saisir le pouls de l'entreprise et élaborer sa stratégie, le chef d'Etat doit obtenir des résultats immédiats avant de se faire happer par la préparation de la prochaine échéance électorale qu'elle soit locale ou nationale, qu'elle le concerne lui spécifiquement ou sa majorité. Le crédit politique est une ressource rare et penser pouvoir évacuer son caractère en ne se concentrant pas sur les échéances électorales est une erreur

La plupart des propositions inscrites dans les programmes ne sont pas les fruits d'un absolu cynisme. Si elles ne sont pas appliquées, il s'agit plus certainement d'un manque de capacité dans l'exécution du projet politique, cet art de gouverner. Les politiques sont paralysés, paralysés de ne pas réussir, d'échouer dans l'exercice du pouvoir. Les recommandations sur quoi faire sont nombreuses. Plus rares sont celles qui présentent le pourquoi faire et aucune ne traite du comment faire. Pourtant le sujet prioritaire est celui de la méthode qui explique comment choisir dans la boîte à outils de la transformation, les plus utiles, et à en user dans le bon ordre.

La transformation réussie dans de nombreuses entreprises, organisations publiques et pays étrangers obéit à certains grands principes. La poursuite de l'intérêt général est une mission bien plus difficile à mener que la réussite à la tête d'une entreprise privée, où les parties prenantes sont en nombre limité et leurs intérêts plus facilement indentifiables. Evidemment, on ne gère pas l'Etat comme une entreprise mais des règles de bon sens s'appliquent à toutes les organisations, de la cellule familiale à la multinationale. Et c'est ce bon sens que les Français veulent revoir comme boussole de l'action publique. Des réponses claires sont aujourd'hui attendues par les Français : où en sommes-nous ? où voulez-vous collectivement nous emmener ? comment comptez-vous faire ? renvoyant en creux à l'exigence d'un diagnostic, d'une vision collective de l'avenir, d'un programme stratégique de mesures et d'un plan d'exécution précis.

Repartons du diagnostic. Tout processus de changement doit débuter par un diagnostic, formulation explicite de la prise de conscience des nouvelles règles du jeu par les acteurs concernés. Dans sa forme la plus aboutie, le diagnostic s'établit par un travail de comparaison dans le temps et l'espace, qui vient se confronter à l'avis des parties prenantes, pour constituer une représentation réaliste qui puisse servir de socle à un projet de transformation. Pour que la discussion porte sur les voies du changement et non sur la nature du diagnostic, celui-ci doit être incontestable et perçu de la manière la moins partisane possible. On dit souvent que tout est écrit et qu'il n'y à qu'à faire. Effectivement, les armoires débordent de rapports ou de notes de think-tanks ou d'organismes d'évaluation des politiques publiques. Mais la politique française souffre d'une incapacité à faire partager un tel diagnostic déclenchant controverses et polémiques sur le constat lui-même.

Le diagnostic achevé et partagé permet de savoir où nous nous situons dans le temps, c'est à dire par rapport à l'histoire, et dans l'espace, c'est-à-dire par rapport aux autres nations. La seconde étape du changement est de proposer un horizon pour illustrer symboliquement la cible que nous souhaitons atteindre. La vision c'est le fait de percevoir, de représenter une réalité concrète ou abstraite. Dans l'exercice de transformation, elle se confond avec l'ambition, le désir d'accomplir, de réaliser une grande chose, en y engageant sa fierté, son honneur. Aujourd'hui les responsables politiques ont totalement délaissé la vision, à l'inverse du travail philosophique et sociologique réalisé par David Cameron sur la Big Society. Ils se contentent de présenter l'objectif de réduction des déficits publics comme un succédané de vision alors qu'il n'est que la conséquence d'une bonne politique, sûrement pas un horizon à dépasser.

Le programme de mesures ou la stratégie est en général la phase d'un projet de changement la mieux préparée par les responsables politiques. Il s'agit de tracer les chemins qui permettront de passer du point actuel identifié dans le diagnostic au point désiré de la vision. Ce sont les fameuses "réformes" qui doivent amender le modèle actuel pour qu'il produise des effets différents, directement ou indirectement, sur l'environnement socio-économique. La précision et la clarté de la stratégie permettront d'asseoir la crédibilité du projet. Dans un monde où l'information circule rapidement, il est important de rendre la stratégie la plus intelligible possible pour le citoyen et de lui montrer comment cela va lui profiter.

Enfin l'exécution, c'est-à-dire l'action quotidienne pour réaliser le changement dans un cadre contraint en terme de ressources budgétaires, temporelles, humaines, est la circonscription oubliée des programmes politiques. Le séquencement est souvent écarté alors même qu'il est clé afin d'obtenir des résultats rapides permettant d'enclencher d'autres mouvements. La réélection de David Cameron au Royaume-Uni s'est largement appuyée sur ces résultats positifs, fruits d'une action résolue dès les premiers jours.

Il ne fait nul doute qu'une réflexion poussée sur la méthode de la part des responsables politiques permettrait de remédier aux erreurs les plus fréquentes, qui ont sapé la confiance dans les institutions. 

* Auteur de « La France est prête » et « Aux actes dirigeants ! »