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Oui, c'était mieux avant

Oui, c'était mieux avant. Qui peut affirmer, sans rire, que l'Education nationale enseigne mieux aujourd'hui que sous la IVe République ? Non seulement c'est pire, mais cela va s'aggraver : les villes et l'art seront de plus en plus laids et les humains auront de plus en plus de mal à s'exprimer entre eux parce qu'ils auront remplacé la conversation par la communication. Alain Paucard dresse un constat. Entre 1950 et aujourd'hui, nous avons changé trois fois de société. Partis de la société paysanne, nous sommes passés à la société industrielle, puis à celle de la " com' " et de la pub pour échouer dans le virtuel. Mais il ne faut pas oublier l'essentiel : rire et s'amuser de ce qui nous pend au nez avec Alain Paucard. Avec sa verve habituelle et son humour caustique, l'auteur de la Crétinisation par la culture nous invite à trouver dans notre malheur la force de l'affronter.

Alain Paucard*

*Alain Paucard est né et ne vit qu'à Paris. À son compteur, 35 livres dans tous les genres, notamment Paris, ses rues, ses chansons, ses poèmes (2000), VIII e Prix des Bouquinistes. Mais le Président du Club des Ronchons se signale surtout par de virulents pamphlets, comme Le cauchemar des vacances ou récemment Paris, c'est foutu !

Leçon au tableau noir

Oui, c'était mieux avant ! Et je le pense. Qui pourrait aujourd'hui affirmer que l'Éducation nationale forme mieux les élèves maintenant qu'avant Mai 68 ? Je suis un enfant du baby-boom, j'étais un cancre mais je sus lire et écrire au bout de trois ans de « petite école » dans des classes de quarante élèves. Il me semble qu'une fois au moins, ce nombre fut dépassé. L'instituteur, il est vrai, connaissait les meilleures méthodes pédagogiques : la paire de claques, les coups de règle sur les doigts, les verbes à conjuguer, les résumés à apprendre par coeur et les heures de colle. Je n'étais malheureusement pas de cette période où l'on coiffait d'un bonnet d'âne les mauvaises têtes récalcitrantes et le coup de pied au derrière, sans doute la plus ancienne et la plus efficace des méthodes de communication, reculait déjà devant les revendications des enfants de B.O.F. – les beurre-oeufs-fromages enrichis par le marché noir1 –, quelques crimes de J3 – classement établi par le rationnement sous l'occupation et désignant les vieux adolescents – et quelques combats coloniaux. Ces combats, un peu comme la guerre fantôme dans 1984, nous rappelaient que le monde n'est jamais longtemps en paix, qu'il ne peut pas l'être, et que ce pouvait bien être notre tour de connaître le grand jeu. J'y ai beaucoup pensé à partir de 1960. […]

[…] Voulez-vous savoir pourquoi la Bible – livre juif et livre chrétien – est plus passionnante à lire que le Coran ? C'est grâce à la chronologie. Ce sont les Juifs qui nous l'ont enseignée. Nous suivons une histoire, l'histoire d'une famille – les Islandais appelleront ça une saga – et nous continuons de lire, et nous continuerons à lire tant que la littérature racontera une histoire. Et tant que l'histoire se lira comme un roman. Je ne parle pas, pas seulement, des romans dits historiques, de chevalerie, de cape et d'épée et des polars – car ce sont les romans d'aventures de notre époque, là où se réfugient souvent les auteurs qui racontent – je parle de tout roman qui ne peut se lire sans qu'on pense immédiatement « comme l'époque est bien saisie ».

On ne peut séparer la littérature de l'Histoire. Enseigner l'une, c'est ouvrir la porte sur l'autre. Cela est évident dans l'oeuvre de ce qu'on nomme aujourd'hui les diaristes. Les journaux, les confessions, les mémoires sont la continuation de la Bible. Saint-Simon est un ronchon historique qui dira que c'était mieux avant, que le règne de Louis XIII était supérieur à celui de Louis XIV. Il n'avait pas tout à fait tort. Louis XIV nous a laissé de plus grandes merveilles encore que Louis XIII mais son règne constitue un apogée, c'est-à-dire l'antichambre du déclin. Où Saint-Simon voit juste, c'est que nous devons toujours aspirer à changer de contemporains. C'est un réflexe sain de ne pas se satisfaire de son époque sous le prétexte qu'on en fait partie. Être critique de son époque, c'est ne pas tomber dans ses travers surtout quand ceux-ci sont sanglants – le nazisme et le communisme, bien sûr – ou quand ils signifient la soumission aux nouveaux maîtres, complices des États-Unis en Irak, en Bosnie, au Kossovo, en Libye. Saint-Simon a fait mieux qu'écrire des Mémoires, il les a, en quelque sorte transformés en genre littéraire et ils sont très nombreux ceux qui ont cherché à lui faire concurrence, et quels que soient les gens que ces derniers décrivent, c'est toujours l'éternelle nature humaine qui est critiquée. Proust, Léautaud, et même Céline en veulent à Saint-Simon d'avoir été le premier des Français. Céline, comme tout cuistre voulant à tout prix « créer un nouveau langage », n'en a pas moins écrit son premier et meilleur livre Voyage au bout de la nuit en français presque classique. […]

Le courrier doit passer

Écrire une lettre à la plume. La glisser dans l'enveloppe, fermer l'enveloppe, choisir un timbre de collection qui s'harmonise avec le destinataire, poster la lettre et attendre une réponse. Ouvrir sa boîte à lettres. Trouver une ou plusieurs enveloppes manuscrites. Ne pas les ouvrir dans l'entrée de l'immeuble mais chez soi, assis à son bureau.

Retarder encore le moment de les ouvrir. Certaines ont le nom de l'expéditeur derrière, d'autres pas. Repérer les écritures rondes, en général écritures de femme. Et puis faire le grand saut, les ouvrir. Tout peut arriver : lettre d'engueulade ou déclaration d'amour. En général, plutôt la première alternative. Lire et savoir déjà, au fil de la lecture, ce qu'on va répondre. Car il faut répondre sinon on brise une chaîne.[…]

[…] Revenons à la correspondance. On évoque la « page blanche ». C'est encore et toujours une couleur. Mais que dire de l'écran vide de l'ordinateur ou du portable ? Je ne vois pas de poésie. Ou bien celle de mes pantoufles comme le revendique M. Lepage, personnage de Marcel Aymé dans Le Confort intellectuel. La page blanche n'angoisse que ceux qui sont angoissés à la simple idée d'écrire. Quand on prend place devant une page blanche, c'est qu'elle est déjà écrite. Si ce n'est le cas, c'est qu'on n'a pas de talent ou qu'on est trop pressé. J'entends souvent dire que des citoyens sont morts pour le droit de vote. J'ai beaucoup lu sur les révolutions, mais je n'en ai jamais vues commencer pour cette revendication. La liberté de presse ou d'association, oui, la réforme agraire, très souvent, mais le glissement discret du bulletin dans l'urne, jamais. En revanche, des gens sont morts pour que passe le courrier. L'aéropostale avec ses héros, voilà un modèle. J'ai un faible pour Guillaumet qui se traîna dans les Andes, parvint dans une région civilisée et eut ce mot qu'on apprenait jadis : « Ce que j'ai fait, aucune bête au monde ne l'aurait fait ». Il est vrai qu'il tenait à se faire pardonner. Au fond de l'épave, au plus profond de la Cordillère des Andes, pourrissait un sac de correspondance, peut-être une lettre d'amour demandant : « M'aimes-tu ? » et qui laissait l'autre dans l'expectative. Nos héros avaient risqué leur peau pour que des amoureux échangeassent leurs états d'âme. Pas d'héroïsme dans le courriel. Les temps héroïques sont bien finis. […]

Là, où je t'emmènerai

La France est un hexagone, le fait est reconnu. Cette figure géométrique est celle de l'alvéole de l'abeille, insecte patient et productif. Pendant plus de mille ans, ceux qui avaient reçu en héritage cette cellule composée de paysages si divers se sont obstinés à l'améliorer. Et si dans chaque province, les maisons étaient différentes c'est que construites avec les matériaux du sous-sol et en fonction du climat, elles reflétaient une autre harmonie des hommes et de leur environnement. Maisons à toit pentu d'Alsace ou de brique nordiste ; demeures massives de granit ou maisons de Provence à toit plat, toutes, dans une diversité naturelle, semblaient protéger le pays. Et puis en un peu plus de cinquante ans, le paysage fut bouleversé. Que les autoroutes soient nécessaires, d'accord, mais pourquoi ne pas construire de beaux péages ? Théories fumeuses écrites par des « maîtres » convulsifs et le monde s'enfonçait dans le « fonctionnel », c'est-à- dire dans la laideur industrielle. […]

La mairie de Paris, c'est autre chose. La première mesure de M. Delanoë au pouvoir fut de détruire la centenaire Commission du Vieux Paris. Plus difficilement et plus lentement, ce fut l'adoption d'un nouveau règlement de construction. Il va de soi que la fille unique de M. Delanoë a poursuivi son oeuvre. Il n'est que de passer en tramway entre la Poterne des peupliers et la Seine pour voir le retour des terrifiantes années soixante-dix.

On a l'impression que tout ce que le populo parisien ne voulait plus – plus jamais ça ! est le mot d'ordre des cocus du lendemain – est remis au goût du jour sciemment pour 1) que Paris ressemble à la capitale du mondialisme New York ; 2) que la cohorte d'architectes sans talent – mais non sans génie de la communication – puisse s'amuser avec des cubes sur le linoléum du salon, en grands enfants qu'ils sont. La partie située au-dessus des lignes de chemin de fer est ce qui se fait de plus déshumanisé depuis la construction de la dalle de La Défense. On attend avec horreur les tours duo de M. Nouvel dont l'une sera volontairement privée de fil à plomb.

Une jeune amie, à qui je racontais avoir vu, à Ménilmontant, une maison de guingois, me répondit : « Je ne connais pas cet architecte ». Moi, je les connais. MM. Nouvel et Gehry ne font preuve d'aucun talent particulier en édifiant des bâtiments de guingois. Le béton armé, comme la langue d'Esope, permet le meilleur et le pire. Qu'on édifie un cube, la fondation Vuitton ou un immeuble en forme de tire-bouchon, il n'y a aucune prouesse technique. Quant à la supposée prouesse artistique, comment juger ce qui est pensé pour choquer, pour faire table rase du passé, comme si, à un moment donné dans l'histoire de l'humanité, il était nécessaire, puis obligatoire de s'arrêter et de repartir sur une autre voie, sans la moindre transmission, sans la moindre tradition ? 

Oui, c'était mieux avant d'Alain Paucard – Editions Jean-Cyrille Godefroy -119 pages

© Avec l'aimable autorisation des Editions Jean-Cyrille Godefroy

 

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