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Le « Raid des 7 bornes » : mission au cœur de la forêt guyanaise

Du 2 juin au 17 juillet, une quinzaine de légionnaires du 3ème REI, des géographes et botanistes du CNRS ont participé à une expédition inédite en Guyane française. Pendant plus d'un mois, ils ont arpenté les 320 kilomètres de la ligne de la frontière terrestre qui sépare la Guyane française et le Brésil. Cette expédition a permis de parcourir d'une seule traite et pour la première fois les sept bornes qui, au sein de la région isolée des monts Tumuc Humac, marquent la limite sud de la Guyane française.

“On a ouvert une voie, à la manière des alpinistes”. C'est avec 48 heures d'avance sur le calendrier initial, ce matin du 17 juillet, que la quinzaine de légionnaires du 3ème Régiment Etranger d'Infanterie et les deux scientifiques de l'expédition ont été accueillis sur la base aérienne de Cayenne par les autorités militaires, civiles, scientifiques et les partenaires du Raid (Arianespace, CNES, ESA, Cofely-Endel, Parc Amazonien de Guyane, Museum d'Histoire naturelle, IGN, …). L'équipe, placée sous la direction du géographe du CNRS, François-Michel Le Tourneau venait d'accomplir un exploit en parcourant près de 400 kilomètres le long de la frontière franco-brésilienne, « dans des conditions très difficiles ». Cette mission, au coeur d'un espace naturel de plus de 80 000 km² couvert par deux parcs nationaux (le Parc amazonien de Guyane et le Parc national des Monts Tumucumac), avait pour objectif de permettre une actualisation des connaissances sur cet immense espace très isolé, extrêmement difficile d'accès et particulièrement mal connu. Depuis l'arbitrage suisse de 1900, la frontière entre la Guyane française et le Brésil est constituée de deux tronçons distincts. Le premier est le fleuve Oyapock, de son embouchure à sa source. Le second est la ligne de partage des eaux entre le bassin de l'Amazone, au sud, et ceux des fleuves Oyapock et Maroni, au nord. Cette frontière a été tardivement reconnue et matérialisée, en particulier en ce qui concerne le second tronçon. Il a fallu attendre les années 1950 pour que des missions coordonnées par l'IGN installent sept bornes sur cette longue ligne (320 km) allant du point de trijonction Brésil-Surinam-Guyane française (borne n°0) à la source de l'Oyapock (borne n°7).

Un terrain difficile

Tout au long de leur périple, les membres de l'équipe portant chacun entre 20 à 25 kilos de matériel (effets personnels, ravitaillement pour une semaine, matériel de bivouac et de sécurité, matériel scientifique, GPS et ordinateur pour la cartographie ; instruments de mesure et tubes d'échantillonnage pour la botanique et matériel de déboisement pour entretenir les clairières autour des bornes, tronçonneuses, machettes) ont dû affronter un terrain difficile : une forêt dense, un relief peu élevé mais représentant un obstacle principal à une traversée d'ouest en est de la région. « Dans la mesure où il n'offre pas de ligne directrice, il n'est pas possible d'y optimiser son trajet en passant de vallée en vallée ou de ligne de crête en ligne de crête, explique le CNRS, il faut donc affronter la répétition des innombrables collines et près de 15 000 mètres de dénivelé positif cumulés le long de la ligne frontière ». Etant donné tous ces obstacles, les étapes se sont limitées entre 10 à 12 km par jour, avec une vitesse de marche d'environ 1km/heure. A chaque borne, soit environ tous les 4 à 6 jours, l'équipe montait un bivouac plus important afin de stationner une journée entière pour prendre un repos bien mérité, soigner les différents bobos (Deux personnels ont dû être évacués pour blessures), de percevoir le ravitaillement déposé par hélicoptère avant d'entamer le déblaiement de la clairière entourant la borne et d'effectuer biens sûr des relevés botaniques et scientifiques.

Justement, côté scientifique, l'expédition a permis d'effectuer des relevés écologiques (succession des paysages, inventaires botaniques…), de préciser certains points du tracé de la frontière, et de confronter la situation actuelle aux récits des explorateurs du passé.

Une finalité scientifique et régalienne

Le Raid des 7 bornes avait également un objectif tactique. Pendant longtemps, les légionnaires du 3ème REI ont mené des missions profondes en forêt équatoriale. Missions qui ont dû cesser pour répondre aux exigences opérationnelles que nécessitait l'opération Harpie de lutte contre l'orpaillage clandestin. Ce Raid a donc permis, non seulement de marquer à nouveau la présence française sur la frontière sud du département mais elle a également permis sur le plan militaire de mener une mission de renseignement sur les activités humaines dans la zone frontière, de perfectionner les techniques de progression et de confirmer la capacité des légionnaires à durer en forêt profonde. Le colonel Alain Walter, chef de corps du 3ème Régiment Etranger d'Infanterie n'a d'ailleurs pas manqué de souligner dans un communiqué des Forces armées guyanaises, le caractère exceptionnel de cette expédition : « les opérations Harpie de lutte contre l'orpaillage illégal qui sollicitent depuis plusieurs années un nombre de personnels important du régiment ont limité les missions de reconnaissance des bornes qui étaient auparavant régulièrement conduites en mission “profonde”. Ce raid était l'occasion de réintroduire une pratique essentielle au maintien en condition opérationnelle des militaires du 3e REI avec une finalité scientifique et régalienne ».

Mission accomplie !

Le sac tout juste posé et après avoir lancé « mission accomplie », François-Michel Le Tourneau s'est immédiatement tourné vers l'avenir évoquant déjà les missions qui viendront après la leur : «  Elles amélioreront les relevés, découvriront de nouveaux sites ou préciseront tous les détails que le format de raid ne nous a pas permis d'approfondir. Elles se baseront cependant sans doute en grande partie sur notre expérience et sur la démonstration que nous avons faite que la traversée longitudinale à pied du sud de la Guyane est possible. C'est en ce sens que, un peu comme en alpinisme ou en escalade, nous avons le sentiment d'avoir ouvert une nouvelle voie »

 

Le raid en chiffres
• 7 bornes
• 7 semaines en forêt (soit 49 jours)
• 320 kilomètres parcourus au total
• 10 à 12 kilomètres par jour. vitesse de marche : environ 1 km/h
• 15 000 mètres de dénivelé positif
• 20 participants
• 25 à 30 kilogrammes de matériel par personne
• 1 120 rations lyophilisées fournies par le 3e REI
• Environ 33 h de vol en hélicoptère (18 h de Puma financées par l'armée + 15 h de divers appareils civils), pour le ravitaillement
• Environ 305 000 € de budget (hors personnel), dont 250 000 € des forces armées.

 

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