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Les futurs de la viticulture française se jouent aussi à COP21

Par Nathalie Ollat, INRA ISVV, Bordeaux et Jean-Marc Touzard, INRA, Montpellier, Coordinateurs du projet LACCAVE de l’INRA

La vigne et le vin sont déjà fortement impactés par le changement climatique : en France les vendanges sont plus précoces de 2 à 3 semaines par rapport aux années 1980 ; les sécheresses et chaleurs estivales plus prononcées accroissent la contrainte hydrique pour la vigne ; les vins au final sont plus alcoolisés et moins acides, avec souvent des profils aromatiques modifiés… Ces effets, pour l’instant bénéfiques au Nord et plus contraignants au Sud, pourraient s’accentuer et modifier la compétitivité des vignobles. Le changement climatique va-t-il remettre en cause un secteur aujourd’hui prospère, intensif en travail, deuxième poste d’exportation après l’aéronautique… et qui contribue à l’attractivité de notre pays ? Quelles stratégies d’adaptation sont-elles possibles pour les viticulteurs, avec quels accompagnements politiques et législatifs ?

Ces questions sont à l’origine du projet LACCAVE (1) de l’INRA, conduit par 23 unités de recherche qui étudient les impacts du changement climatique sur les vignobles français, et les stratégies d’adaptation pour y faire face. A côté de travaux parfois très pointus pour mieux comprendre les réponses de la vigne à ces changements, le projet réalise une prospective pour 2050, en collaboration avec France Agrimer et l’INAO. Les scénarios proposés combinent différentes intensités d’innovation, de relocalisation et de changement institutionnel :

Le scénario du « status quo » évalue les impacts du changement climatique en figeant les pratiques actuelles. Il sert de référence, mais est improbable, car les viticulteurs ne cessent d’adapter leurs pratiques au climat depuis plus de 2000 ans en France ;

Le scénario « conservateur » intègre des changements progressifs, selon les rythmes actuels d’innovation. Envisageable dans le cas de changements climatiques atténués, il s’appuie sur une optimisation de la diversité de milieux et de pratiques au sein de chaque terroir ;

Le scénario « innover pour rester » mise sur le maintien à tout prix des vignobles existants. Mais alors jusqu’où innover ? Nouveaux cépages, irrigation, agroécologie et/ou viticulture de précision, pratiques œnologiques correctives pouvant déboucher sur une révision des normes du vin ?

Le scénario « vignobles nomades » explore les conditions d’installation de nouveaux vignobles en altitude et vers le nord. Ceux-ci ne seraient pas forcément très étendus car ils supposent des investissements lourds et risqués ;

Enfin, le scénario « libéralisation du secteur » teste un monde où « tout est possible partout », les vins pouvant être alors majoritairement élaborés par des « industriels assembleurs », jouant sur le changement climatique pour gérer leur approvisionnement.

Ces scénarios et les résultats du projet LACCAVE seront diffusés et débattus en 2016 (2), mais plusieurs enseignements peuvent déjà être tirés :

Dans tous les cas, l’adaptation repose sur des combinaisons d’innovations et d’actions multiples, à inscrire dans une stratégie globale visant à accompagner les évolutions climatiques, éviter les chocs trop brutaux, en intégrant aussi les enjeux de marché et de réduction de l’usage des pesticides ;

La construction de ces stratégies met en avant les échelles locale et régionale, où se différencient les impacts et se jouent de nouvelles coordinations entre viticulteurs, collectivités et scientifiques.

L’intensité, la vitesse et l’incertitude du changement climatique appellent à raisonner en terme de « capacité d’adaptation », en construisant des réseaux où se partagent connaissances scientifiques et pratiques, expériences entre vignobles, projets d’innovateurs…

Enfin, la réussite d’une transition climatique préservant la vitalité et le rôle de la viticulture française va surtout dépendre… du scénario climatique lui même, c’est-à-dire de notre capacité à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Avec une augmentation de température moyenne limitée à 2 °C les marges de manœuvre seront sans doute suffisantes pour l’adaptation des vignobles actuels. Au-delà, la carte de nos vignobles et de nos vins risque d’exploser. Voila un argument supplémentaire pour exiger le succès des négociations de COP21. 

(1) Long term adaptation to Climate Change in viticulture and enology : projet du métaprogramme ACCAF de l’INRA

(2) En particulier lors du congrès final du projet, Bordeaux 10-13 avril 2016 www.colloque.inra.fr/climwine2016

 

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