Print this page

Etat Islamique : du terrorisme à la régression économique

Par Michel Santi, Macro économiste *

Le film mis en ligne par Daech le 1er septembre dernier dure près d'une heure et emprunte le format du documentaire, montre des graphiques et fait intervenir des "experts". "L'essor du Califat et le Retour du dinar Or" explique les motifs théologiques poussant l'Etat Islamique (EI) à adopter une nouvelle monnaie, en l'occurrence une numismatique qui marquerait un retour à l'âge d'or de l'Empire musulman. La volonté de l'EI étant de prouver à ses adhérents et à ses sympathisants qu'il est le digne héritier des musulmans conquérants de l'époque Omeyade dont la capitale - Damas - régnait sur un Empire allant de la Péninsule Ibérique à l'Indus. Au faite de leur puissance, ces populations utilisaient le dinar Or dont le premier fut mis en circulation par le Calife Abd al-Malik ibn Marwan (ayant régné de 685 à 705 de notre ère) qui pesait 425 grammes, et qui présente exactement les mêmes caractéristiques que celui évoqué dans le film de propagande en question.

L'EI est donc clairement en quête de légitimité et espère que ce symbolisme du dinar d'Or et du retour du Califat glorieux d'antan terrorisera le monde, tout en fédérant encore plus la jeunesse musulmane derrière une dignité qui serait retrouvée. Après le pouvoir politique avec ses conquêtes territoriales, vient donc le pouvoir économique et la construction d'une sorte de récit national à travers la symbolique des pièces d'or et de leurs représentations. Ainsi, alors que l'envers du dinar Or montre sept épis de blé signifiant l'abondance et la bénédiction d'Allah, la pièce de 5 dinars affiche une carte du globe indiquant les territoires à venir propriétés de la "Ummah", dont Istanbul, Rome et les Etats-Unis d'Amérique. C'est le minaret de Damas, ville choisie à la fin des temps par Jésus pour revenir sur Terre, qui est représentée par la pièce en argent de 5 dinars. Enfin, des pièces en cuivre à usage quotidien feront leur apparition et achèveront de prouver que l'EI compte instaurer un fonctionnement responsable et stable des zones qu'il a sous son contrôle. Pour autant, l'introduction de cette numismatique relativement variée poursuit également un autre objectif qui consiste à détruire le dollar pour le remplacer par des pièces d'or, d'argent et de cuivre.

L'EI espère en effet que la Chine et que la Russie seront ainsi tentées de vendre et leurs réserves libellées en billet vert et leurs stocks en Bons du Trésor US, précipitant la chute du système financier américain. Le film n'évoque-t-il pas "la tyrannie du système monétaire (US) imposée aux musulmans et qui fut la raison de leur asservissement et de leur appauvrissement"? (traduction de l'auteur). Ce faisant, l'EI piétine allègrement des règles économiques et politiques élémentaires car, pour être reconnu en tant qu'Etat, l'EI devra prosaïquement être reconnu par les autres Etats. Sachant que la reconnaissance mutuelle entraîne systématiquement la reconnaissance de la devise en usage dans l'Etat en question. Autrement dit, pas de reconnaissance du dinar nouvelle version de l'EI sans reconnaissance préalable de cet EI lui même en tant que pouvoir légitime. Au delà des Etats, quel citoyen iraquien ou syrien serait-il susceptible d'accepter des dinars - fussent-ils d'or - comme rémunération pour son travail accompli s'il est incapable de les écouler dans d'autres pays ou de les transférer en faveur de sa famille qui réside par exemple en Egypte ?

Quant à l'impact ravageur espéré de l'introduction de cette numismatique sur l'économie des Etats-Unis, il dénote une méconnaissance grossière des rudiments de la macro économie car l'émission de monnaie à l'ère moderne est entièrement fonction du Produit Intérieur Brut du pays en question. La bonne marche d'une économie ne pourra donc jamais être adossée à la mise en circulation de pièces d'or et d'argent car il n'y aurait pas suffisamment de métaux précieux sur terre à même de couvrir les transactions commerciales et financières mondiales. Du haut de leur activité économique de 17 Trillions de dollars, les Etats-Unis peuvent donc d'autant plus dormir tranquilles que la Chine et la Russie ne se saborderaient jamais en liquidant leurs stocks de Bons du Trésor qui s'avèrent être le placement le plus sûr au monde. C'est donc la production qui détermine la valeur du billet vert et non la quantité d'or en circulation, car un retour à l'étalon or impliquerait nécessairement une croissance de nos économies occidentales divisée par dix! A l'heure où l'usage du cash au sein de nos sociétés modernes n'en a plus que pour quelques années avant que nos économies ne passent inéluctablement au tout électronique, la volonté affichée par l'EI de réintroduire des pièces d'or est une régression pure et simple. N'oublions jamais que les espèces sont nées et issues des guerres car tant les soldats, mercenaires que les marchands voulaient avoir la certitude d'être payés. Avec leur dinar ("denarius" étant à la base un terme romain), l'EI entend donc nous ramener brutalement dans ce passé autrefois intimement lié à la violence et aux traumatismes.

L'EI, du reste, exerce d’une main de fer son contrôle sur la totalité de l’économie de la zone sous son influence, confisquant les propriétés, réquisitionnant les usines encore en marche, infiltrant l’ensemble du réseau du commerce et des affaires. Pour ce faire, il s’appuie sur ses «missi dominici» qui ne sont autres que des commerçants autrefois ruinés, déchus ou autrefois sous les verrous lesquels dictent désormais leur loi aux acteurs de l’économie locale. Ainsi, dans Deir al-Zor, Hasakeh ou Raqqa (devenue leur « capitale »), ces « traders » contrôlent désormais l’intégralité du grenier syrien, depuis les modes de transport à l’agriculture, et c’est eux -donc l’EI- qui définissent les prix des denrées à vendre sur les marchés. Pour autant, la population vivant dans ces régions ne supporte pas uniquement l’arbitraire de tarifs échappant totalement à toute logique économique ou financière, ils subissent en outre brimades, voire persécutions. C’est tout d’abord les femmes qui, quand elles ne sont tout bonnement pas interdites de travail, doivent endurer des conditions de travail insupportables. De l’ophtalmologue forcée d’opérer un œil accoutrée d’une burqa, à la coiffeuse qui doit purement et simplement interrompre son activité considérée par l’EI comme propice à la débauche. C’est une proportion massive de ces populations vivant sous le joug de l’EI qui ont perdu aujourd’hui leur outil de travail et qui n’ont plus de quoi assurer leur subsistance, dans un contexte aggravé par des tarifs prohibitifs de l’eau, de l’électricité et par une très lourde taxation prélevée par l’EI.

Si, de l’avis des observateurs, les marchés sont bien approvisionnés et les commerces correctement fournis, ces marchandises ne semblent destinées qu’aux adhérents et militants de l’EI, seuls à pouvoir se les payer. A Deir al-Zor par exemple, le prix des produits de base aurait effectivement flambé de 1 000% en quelques mois, manipulé par l’EI dont la stratégie est de punir ceux qui ne se sont pas encore enrôlés. La taxation dissuasive, le chômage chronique et les tarifs prohibitifs des denrées étant organisés sciemment afin de forcer la main aux résidents de ces régions de rejoindre les rangs de l’EI. C’est simple: la population se nourrit à base de tomates, de concombres et de patates pendant que les militants de l’EI ont droit à de la viande et à du poulet. Persécution orchestrée dans le but évident de grossir les effectifs de l’EI, et qui fonctionne du reste puisque des citoyens syriens et iraquiens désespérés et affamés rejoignent de plus en plus ses rangs. Rien qu’à Palmyre, 1 200 jeunes hommes auraient ainsi rejoints cette organisation en l’espace de quelques semaines. L’opulence et le confort montrés et vantés à travers les différentes vidéos de l’EI ne sont donc qu’un leurre, et ne sont prodigués qu’en faveur de celles et ceux qui se muent en terroristes. Pour les autres, c’est le cauchemar. 

* blog: www.michelsanti.fr