Etape par étape, l’Assemblée a avancé sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Non sans mal. Le samedi 8 novembre dernier, la partie recettes du PLFSS 2026, revue et corrigée par les députés a été adoptée de justesse par 176 voix contre 161 (et 58 abstentions). De nombreuses mesures d’économie présentées par le gouvernement ont ainsi été abandonnées ou rejetées par l’Assemblée pressée par le temps et des délais incompressibles. Un rejet du texte aurait entraîné un renvoi au Sénat du texte initial, sans vote. Au final, les députés Renaissance et MoDem ont voté « pour ». Chez Horizon, le vote a été partagé entre les « pour » et les abstentions. Abstention aussi du côté des LR. Le Rassemblement national a voté contre la partie recettes dans son ensemble protestant contre la suppression d’un impôt de production (C3S), « la seule mesure qui aurait pu, selon eux, rééquilibrer la copie finale ». Les députés Insoumis ont voté « contre ». « Nous ne sommes pas d’accord » avec la politique du gouvernement a très tranquillement assumé Hadrien Clouet (Haute-Garonne). Les socialistes ont voté « pour » quasi unanimement, plaidant « pour la poursuite du débat ». Ecologistes et Communistes se sont partagés entre « pour », « contre » et abstentions.
L’Assemblée s’est entendue pour adopter la baisse des cotisations patronales sur les heures supplémentaires. Deux amendements présentés par la droite qui s’en est félicitée, ont été adoptés visant à réduire le coût des heures supplémentaires pour les employeurs. Il s’agit d’étendre aux entreprises de plus de 250 salariés une déduction forfaitaire de cotisations patronales sur les heures supplémentaires dont bénéficient déjà les entreprises de moins de 250 salariés. Adopté aussi l’amendement qui relève de 30 à 40 % les cotisations sociales patronales sur les indemnités versées pour une rupture conventionnelle ou une mise à la retraite. Cet amendement entend ainsi lutter contre « l’accroissement des phénomènes d’optimisation dans les ruptures de contrat de travail » que dénonce le gouvernement. La hausse de la CSG sur les revenus du capital a aussi été votée par les députés. Cet amendement de Jérôme Guedj qui acte une hausse de la Contribution sociale généralisée sur les revenus du capital est une des réponses des socialistes pour compenser la suspension de la réforme des retraites. Le taux de la CSG doit ainsi passer de 9,2 % à 10,6 % sur certains revenus de l’immobilier, de l’épargne et de placements (produits de contrats d’assurance-vie, dividendes, épargne salariale, Plans épargne logement), ou des plus-values immobilières et mobilières, comme les ventes d’actions.
D’autres mesures ont été adoptées. C’est le cas du Nutri-score dont l’affichage est rendu obligatoire sur les emballages des aliments à l’exception des produits AOP et IGP. « Il s’agit d’une victoire de la santé publique (même si elle n’est que partielle compte-tenu du fait que les produits AOP/IGP sont exclus de cette obligation) » s’est félicité le professeur de nutrition Serge Hercberg et « père » du Nutri-score même s’il reste prudent sur la suite du débat parlementaire. La ministre de la santé, Stéphanie Rist estime pour sa part que cet amendement contrevient « au droit de l’Union européenne avec un risque de sanction ». Les députés ont approuvé la création d’une taxe sur l’hexane un solvant utilisé par l’industrie agroalimentaire considéré comme possiblement neurotoxique et perturbateur endocrinien et sur les boissons énergisantes alcoolisées (amendement du député MoDem Richard Ramos). Le produit de la taxe (0,3 centime d’euro par litre) sera utilisé pour aider les industriels à trouver des solutions alternatives et mener des actions de prévention.
Vers plus de transparence sur les prix des médicaments : adopté
Contre l’avis du gouvernement, l’Assemblée a adopté un amendement visant à rendre public les prix réels des médicaments et les remises accordées par les entreprises pharmaceutiques à l’Etat. Les députés se sont aussi mis d’accord pour fixer à 40 % le plafond des remises commerciales que peuvent accorder les laboratoires sur les médicaments génériques. En août dernier, le gouvernement avait tenté de réduire ces remises à 30 % contre 40 %. Face à la bronca des pharmaciens, il y avait renoncé.
A été créée une participation minimale des étrangers non européens à leurs frais de santé bénéficiant de la protection universelle maladie. La mesure sera obligatoire pour l’ouverture et le maintien de leur droit à cette protection pour les titulaires d’un visa long séjour « visiteur ». Cette cotisation vise tout particulièrement les retraités américains installés en France.
Adoption mais aussi rejet. Le gel du barème de la CSG a été très majoritairement rejeté par une coalition d’élus du Rassemblement national de la France insoumise, du parti socialiste jusqu’aux députés LR. Le gouvernement comptait par cette mesure économiser 300 millions d’euros en 2026. Mais les oppositions ont prévenu que cette hausse aurait eu pour conséquence de faire changer de tranche de nombreux Français avec comme conséquence une baisse du montant net de leur pension de retraite ou de leurs allocations chômage.
Le gouvernement a tenté de supprimer l’exonération de cotisations salariales des apprentis. La mesure qui devait prendre effet au 1er janvier 2026 aurait eu pour conséquence une réduction de la rémunération des apprentis « de l’ordre de 100 euros par mois pour certains » s’est alarmée la députée socialiste Céline Thiébault-Martinez. La mesure n’a eu le soutien d’aucun groupe politique. Mesure rejetée.
L’Assemblée s’est opposée à l’idée du gouvernement d’une cotisation patronale de 8 % prélevée sur les tickets-restaurants et les chèques-vacances ou autres avantages sociaux et culturels financés par les employeurs et comités d’entreprises. La mesure aurait rapporté environ 950 millions d’euros en 2026 avait estimé le gouvernement.
Enfin, mini-drame à l’Assemblée avec l’adoption puis le rejet de l’amendement supprimant la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), contre l’avis du gouvernement. L’amendement du député macroniste, Charles Sitzenstuhl qui n’avait pas vocation à être adopté mais à seulement susciter le débat a été repris par les élus du Rassemblement national et soutenu par les LR et a été adopté. Une seconde délibération a permis le maintien de la taxe (0,16 % prélevé sur le chiffre d’affaires des entreprises quand il dépasse 19 millions d’euros annuels) qui rapporte la modique somme de 5,4 milliards d’euros par an.
Après le volet « recettes » adopté de justesse, les députés n’ont eu que peu de temps pour discuter des « dépenses ». Des centaines d’amendements ont été déposés.
Les députés ont d’abord dit non à l’élargissement du périmètre des franchises médicales notamment pour les cabinets dentaires et les dispositifs médicaux comme le souhaitait le gouvernement.
Ils ont également rejeté la baisse du plafond des jours d’indemnités pour des affections longue durée (ALD) en la passant de 1 095 jours d’indemnités journalières sur trois ans à 360 jours comme tous les autres salariés.
La vaccination obligatoire contre la grippe pour les résidents d’Ehpad et certains soignants a été rejetée par 108 voix contre 98. L’Assemblée a encore dit non à la fin du caractères obligatoire de la visite médicale après un congé maternité. Le gouvernement voulait la rendre facultative mais les députés ont préféré maintenir son caractères obligatoire.
Souhaitant freiner les dépassements d’honoraires des médecins, jugés en trop forte croissance, une mesure du PLFSS prévoyait de les surtaxer. La mesure offrait la possibilité au gouvernement d’augmenter la cotisation payée par les médecins sur leurs suppléments d’honoraires. Mais pour le rapporteur général du texte, Thibault Bazin (LR), la mesure visait sans distinction l’ensemble des médecins du secteur 2, « quelle que soit l’ampleur des dépassements, (...) qu’ils participent ou non à la permanence des soins, quelle que soit leur spécialité ».
Alors qu’il était inscrit dans le PLFSS le fait de taxer les complémentaires santé (mutuelles, assurances de santé...) sur leurs cotisations 2026, pour environ un milliard d’euros, le gouvernement souhaitait encore y ajouter 100 millions d’euros. Pour l’exécutif, c’était une façon de financer la suspension de la réforme des retraites. Une coalition d’élus de gauche, de la droite et du groupe centriste Liot s’est opposée à la surtaxe par crainte, disent-ils, de voir cette hausse se répercuter au final sur les patients.
Les députés ont soutenu une mesure présentée dès le début par Sébastien Lecornu de création d’un « réseau France Santé ». L’objectif de la mesure est d’améliorer l’accès aux soins sur le territoire. Le réseau s’appuiera sur ce qui existe déjà comme les Maison de santé (médecins libéraux) ou les centres de santés (médecins salariés). Les députés de gauche n’ont pas soutenu la mesure qu’ils ne trouvent pas suffisante.
La prolongation des salles de consommation de drogue a été adoptée par les députés avec le soutien du gouvernement dans le cadre d’un amendement transpartisan (Liot-PS-Ecologistes). Menacées de fermeture à la fin de l’année, les salles de shoot ont vu leur prolongation confirmée jusqu’à la fin 2027.
Les élus écologistes ont fait adopter par leurs collègues un amendement portant sur le dispositif « Mon soutien psy », qui propose jusqu’à 12 séances partiellement remboursées avec un psychologue conventionné.
Dans le viseur du gouvernement, les arrêts maladie dont il cherche à limiter la durée. Le texte adopté limite à un mois la durée maximale pour une première prescription, et à deux mois pour un renouvellement. Il est toutefois acté qu’un médecin pourra déroger à cette restriction « au regard de la situation du patient ». Le gouvernement militait pour une limitation (par décret) à 15 jours pour un premier arrêt de travail prescrit par un médecin de ville, et à trente jours à l’hôpital. L’amendement socialiste adopté prévoit finalement que la durée soit d’un mois en ville comme à l’hôpital, et que cette durée soit inscrite dans la loi.
L’Assemblée a encore approuvé la création d’un nouveau congé de naissance, permettant aux parents de prendre jusqu’à deux mois supplémentaires chacun pour accueillir leur enfant. Ce nouveau congé qui viendrait s’ajouter aux congés maternité et paternité existants est vu comme une mesure importante du PLFSS 2026. Il a été approuvé par 288 députés contre 15. D’abord prévu pour entrer en vigueur en juillet 2027, l’amendement défendu par Sarah Legrain (LFI) a avancé la date au 1er janvier 2026.
Enfin, la suspension de la réforme Borne sur les retraites jusqu’à janvier 2028 a été adopté en première lecture grâce au PS, aux écologistes et au RN. Calculette en mains, le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Thibault Bazin (LR, Meurthe-et-Moselle) a estimé que la suspension de la réforme coûtera 300 millions d’euros pour 2025 et 1,9 milliard pour 2027.
Le débat qui s’est éternisé a contraint l’Assemblée nationale à interrompre la discussion. Il restait encore près de 200 amendements à examiner. Le texte a été transmis aux sénateurs, avec les amendements déjà adoptés. ■
Un budget de la Sécu plombé
Selon les calculs de Thibault Bazin (LR), rapporteur général de la commission des affaires sociales, les amendements adoptés par l’Assemblée ont creusé le déficit de la Sécu de 6,8 Milliards d’euros. Si le projet de budget de la Sécu était adopté dans sa version modifiée par l’Assemblée, « nous passerions d’un déficit de 17,5 milliards d’euros » prévu initialement par le gouvernement, à un déficit « d’environ 24,3 milliards d’euros » s’est-il alarmé. « L’Assemblée a réduit les mesures d’économies (...) d’environ 3,8 milliards d’euros et les recettes supplémentaires de 4,8 milliards d’euros » a-t-il indiqué.
« Il nous manque beaucoup d’économies que l’on a du mal à faire voter » a pointé le ministre du Travail, Jean-Pierre Farandou au Parisien. « Quand la copie finale arrivera à l’Assemblée en décembre, tout le monde devra faire un pas vers l’autre » a-t-il ajouté.
La ministre de la santé, Stéphanie Rist a pour sa part parlé d’un déficit qui se situe avec le texte issu de l’Assemblée « aux alentours de 25-26 milliards d’euros ». « Notre volonté au gouvernement, c’est de garder une copie qui baisse le trou de la Sécu en-dessous des 20 milliards d’euros » a-t-elle ensuite déclaré. Une façon de laisser « un peu de place à différentes propositions des oppositions ». « On est dans une discussion de compromis, on est ouvert à faire évoluer, on n’est pas à 17 milliards pile, ça n’aurait pas de sens » a assuré Stéphanie Rist.
