Après un premier chapitre consacré aux réussites de France télévisons qui capte près de 30 % de l’audience TV et qui est « la première source d’information des Français »*, le rapport de la Cour a attentivement examiné les enjeux de gestion économique et financière du groupe télévisuel.
France Télévisions dispose d’un budget de 3 Mde provenant à 80 % des concours publics, « stable entre 2017 et 2023 ; l’année 2024 a vu une augmentation liée tant aux concours publics qu’au marché publicitaire, soutenu par les Jeux olympiques et paralympiques de Paris, ce qui a porté le chiffre d’affaires du groupe à 3,3 Mde » expliquent les rapporteurs. ’Pourtant, poursuivent-ils, « entre 2018 et 2022, la trajectoire de baisse des concours publics était claire : France Télévisions a vu le concours de l’État à ses ressources baisser de 161 Me » même si cet effort a été en partie amorti par la progression des recettes publicitaires et par des économies sur sa gestion.
Le rapport souligne que depuis 2023, la trajectoire financière du groupe « connaît des heurts ». Lucides, les magistrats de la cour soulignent que la situation des finances publiques aujourd’hui « rend peu probable une augmentation des concours publics à l’audiovisuel alors que la situation financière du groupe est préoccupante ». Entre 2017 et 2024, ses résultats nets présentent un déficit cumulé de 81 Me. « Sa trésorerie s’est fortement érodée. Ses capitaux propres sont passés en huit ans de 294 à 179 Me ».
Dans ce contexte, la direction de France Télévisions a présenté à son conseil d’administration un budget prévoyant une perte d’exploitation de presque 50 Me. Le budget adopté pour 2025 présente un résultat net négatif de - 40 Me. « Cette situation globale impose à l’État actionnaire de prendre avant le 31 décembre 2026, des mesures de rétablissement des fonds propres ou de réduction du capital social » déplore la Cour. Sans mesure, le groupe risque la dissolution.
Pour expliquer cette situation économique désastreuse, le rapport s’en prend notamment à la masse salariale hors de contrôle fruit d’un accord collectif de 2013 contraignant notamment avec « la classification étroite de près de 160 métiers, figée par l’accord depuis douze ans », qui « limite la polyvalence des salariés et freine l’évolution des compétences ». Malgré un effort significatif de baisse de ses effectifs de 10 %, réalisé entre 2017 et 2023, France Télévisions n’est parvenue à réduire sa masse salariale que de 2 % ! « Au-delà du seul aspect financier, l’accord collectif empêche France Télévisions d’exploiter toutes les possibilités nouvellement offertes par les progrès technologiques, notamment pour optimiser l’allocation des moyens, alors que le secteur concurrentiel des médias bénéficie de ces innovations qui permettent des gains de productivité substantiels » regrette le premier président de la cour, Pierre Moscovici.
Le rapport dénonce aussi « certaines dispositions généreuses et les avantages en nature » qui « contribuent également aux surcoûts et alimentent l’accroissement de la masse salariale ». Au regard de la situation économique du groupe, la liste de ces petits avantages « conséquents » a de quoi surprendre : véhicules de fonction « dont l’utilité est questionnable », « comités d’entreprise généreusement dotés » (un immeuble au Crotoy et des résidences de vacances à Cannes et à Trouville), frais de mission élevés, très large recours aux taxis (près de quatre millions d’euros dépensés en 2024)… Le rapport a par exemple constaté que 53 cadres du groupe essentiellement en région parisienne disposent de véhicules de fonction dont le prix se situe entre 20 000 et 53 000 euros. Précisons qu’il s’agit bien d’un véhicule de fonction et non de service, le détenteur peut donc l’utiliser à tout moment, y compris en dehors des heures de travail ou pendant ses congés. Interrogé par Marc-Olivier Fogiel notamment sur la question des frais de taxis, Delphine Ernotte a affirmé qu’il s’agissait de « dépenses nécessaires à l’activité de France Télévisions, présent dans toute la France et sur tous les continents ». « Près de la moitié des effectifs est en dehors de Paris » a-t-elle ajouté précisant que ces frais sont « encadrés » par le groupe.
Les rapporteurs se sont aussi intéressés aux rémunérations parfois « étonnantes » au sein du groupe. Le salaire moyen par tête (SMPT) des salariés de France Télévisions s’élève à 71 490 e en 2023 (soit près de 6 000 euros mensuels), en progression de 2,69 % par rapport à 2022 et avec une progression de 3,08 % en 2024. Ce niveau est élevé par rapport à celui d’autres secteurs comparables : culture (48 900 e) et audiovisuel (66 700 e) « et en augmentation continue ». Outre leur niveau élevé, note encore la rue Cambon, les salaires apparaissent relativement concentrés : 15,5 % des salariés concentrent 28,3 % de la masse salariale, avec un salaire brut annuel supérieur à 80 000 e. On parle ici d’environ 1370 personnes. 31 cadres touchent plus de 200 000 euros bruts par an (soit plus de 16 600 euros mensuels), dont 5 dépassent les 300 000 euros annuels. Des salaires qui s’expliquent notamment par le jeu de l’ancienneté qui offre des augmentation automatiques (En 2023, 53 % des salariés avaient entre 21 et 40 ans d’ancienneté).
Le rapport met encore en exergue un système de retraite et un régime de licenciement avantageux.
Reste que pour la cour l’un des problèmes, si ce n’est le premier, est l’accord collectif de 2013 dont la renégociation globale « s’impose aujourd’hui de manière urgente ». La dénonciation de cet accord a été annoncée par la présidente de France Télévisions au conseil d’administration le 10 juillet dernier. L’idée est de permettre « plus de polyvalence et réviser les conditions de rémunération et de temps de travail afin de les adapter aux enjeux de la situation financière ». Devant l’Arcom, Delphine Ernotte a reconnu qu’il fallait « rompre avec ce qui nous freine et aller vers de la polycompétence [… ] L’accord de 2013 nous freine. Il faut redéfinir le cadre des métiers, pour faire baisser les frais professionnels et tenir notre activité ». Et même si cette négociation n’engendrera pas de réduction de la masse salariale à court terme, « elle permettra de lever les rigidités de la gestion des ressources humaines et d’améliorer la planification de l’activité » précisent les magistrats.
La Cour insiste également sur la nécessité d’accompagner cette mutation par « l’adoption d’un contrat d’objectifs et de moyens avec les tutelles, adossé à une trajectoire financière pluriannuelle stabilisée pour toute la durée du contrat. Cela permettra à la direction de l’entreprise de disposer d’un cadre clair à l’ouverture de ces négociations » estime la cour.
La cour des compte invite encore France Télévisions, Radio France, et leurs tutelles, « à chiffrer et mettre en œuvre des scénarios de synergies possibles entre les réseaux France 3 et France Bleu, sur la base notamment d’une identification de leurs métiers communs ».
Une autre piste serait de renforcer le suivi financier de France télévisions, à travers de meilleurs outils de pilotage et de mesure de la performance, et en produisant un budget en prévision et en exécution par nature de dépenses.
Enfin, la cour recommande la poursuite de poursuivre la transformation numérique de France TV qui pourrait passer par des mutualisations accrues et par l’élaboration de schémas directeur du système d’information, « qui intègre les orientations actuelles et consolide les priorités technologiques, comme celles relatives à l’intelligence artificielle ». « Il s’agit là, en effet, du prochain bouleversement des usages auquel aura à faire face » reconnaît Pierre Moscovici. ■
* « En 2023, près de 17 millions de personnes s’informaient chaque jour via ses antennes nationales et ultramarines »
Fort de son « droit de tirage », le groupe UDR d’Éric Ciotti, allié du Rassemblement national a déposé une demande de création de commission d’enquête parlementaire portant sur « la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public ». Cette demande fait notamment suite à la polémique autour des journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen, chroniqueur et éditorialiste à France Inter mais aussi aux propos des présidentes de France Télévisions et de France Inter qui selon l’UDR mettraient en cause les impératifs de neutralité et de pluralité de l’audiovisuel public. Le groupe UDR souhaite encore pouvoir enquêter sur les fonds qui lui sont affectés et leur utilisation, notamment la conformité aux règles applicables à la commande publique. L’objectif de cette commission d’enquête sera donc « d’évaluer d’éventuelles dérives éditoriales et de formuler des recommandations afin de renforcer la neutralité du service public » explique le communiqué.
France Télévisions est le premier groupe audiovisuel public français avec cinq chaînes nationales sur la TNT (France 2, France 3, France 4, France 5 et France info), deux plateformes numériques (france.tv et franceinfo). C’est aussi 24 antennes régionales de France 3 et 9 stations ultramarines de télévision, radio et web (les « 1ères »).
Son chiffre d’affaires est de 3,3 milliards d’euros en 2024. Son budget est financé à 80 % par de l’argent public (2,6 milliards d’euros l’an dernier, soit 27 euros par an par Français ou 138 euros par foyer). France télévisions emploie près de 9 000 salariés.
