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Un rapport noté vin sur vin

La viticulture française est en crise. Le constat est là. Après plusieurs mois d’enquête, la mission d’information transpartisane sur l’avenir de la filière viticole esquisse dans son rapport plusieurs pistes pour permettre à la viticulture de faire face aux évolutions sociétales et au changement climatique*.

Si aujourd’hui encore, la viticulture contribue de façon essentielle à l’économie nationale et à sa projection internationale, il importe de ne pas baisser la garde. Les chiffres sont flatteurs. Les 3 % de surface agricole utilisée (SAU) qu’elle occupe génèrent, en 2023, 15,3 Mdse de valeur, et 16 % de la valeur totale générée par l’agriculture française. « En 2023, la filière a produit 33,5 Mhl de vin, un chiffre qui se monte à 47,3 Mh avec les spiritueux » précisent les corapporteurs Sébastien Pla (SER., Aude), Daniel Laurent (LR, Charente-Maritime) et Henri Cabanel (RDSE, Hérault) qui ont la particularité d’être tous trois viticulteurs. Sur le sujet, ils y connaissent donc un rayon. Contrôlant 17 % des parts de marché mondial, la filière vins et spiritueux dégage en 2023 un excédent de 14,73 Mdse, « soit l’équivalent de 49 Airbus A380, faisant d’elle la 3ème contributrice à la balance commerciale française » soulignent avec satisfaction les élus mais pas pour autant naïfs. La filière viticole est en effet confrontée à une triple crise conjoncturelle, structurelle et climatique s’inquiètent-ils.

La consommation de vin par habitant d’abord. Elle ne cesse de baisser. Elle est passée de 135 litres en 1960 à 41 litres en 2023. La proportion de non-consommateurs ou de consommateurs occasionnels rares est quant à elle passée de 19 % en 1980 à 37 % actuellement, avec une baisse encore plus marquée chez les 18-24 ans. Les élus y voient là un « symptôme d’une coupure générationnelle dans la culture du vin, ce qui a de quoi inquiéter la filière ». « En conséquence, la France arrache ses vignes si bien que la taille du vignoble devrait passer sous la barre des 750 000 ha en 2025, et vraisemblablement des 700 000 en 2026 ou 2027 » s’alarme Sébastien Pla.

A cette crise s’ajoutent la fermeture « brutale » du marché chinois avec l’instauration de droits de douane provisoires et l’instauration d’un régime de prix minimum de vente catastrophique pour la filière cognaçaise mais aussi les tensions commerciales avec les Etats-Unis qui viennent plomber le marché. « En conséquence, écrivent les sénateurs, les indicateurs économiques de la filière virent au rouge : stagnation voire baisse de l’indice des prix à la production, la déflation touchant jusqu’aux appellations les plus prestigieuses à l’instar de Saint-Émilion, excédents bruts d’exploitation en baisse, chais pleins et revenus trop souvent en berne ». « Dès lors, comment s’étonner du mal-être viticole palpable dans les campagnes » s’alarment-ils.

Sans compter que la filière doit aussi faire avec le changement climatique avec une hausse des températures qui est désormais « une réalité bien palpable » dans les vignobles mais aussi avec des vendanges avancées de plusieurs semaines en l’espace de quelques décennies. « Cela pose la question de l’adéquation des vins produits avec la demande, qui s’oriente vers la fraîcheur et la légèreté » pointent les rapporteurs.

Pour les élus, face à ces « polycrises », l’arrachage, « s’il est parfois tristement nécessaire » ne saurait constituer une politique d’avenir pour la filière. Cela revient à amputer l’appareil productif de la filière. Une fausse-bonne idée à laquelle les rapporteurs ne souscrivent pas préférant « aller vers des plans collectifs d’arrachage avec une stratégie construite à l’échelle des bassins viticoles » et temporaires plutôt que durables.

Ils misent alors pour l’organisation au plus vite d’assises de la viticulture. Pour les élus, ces assises permettraient notamment de nouer un « pacte de confiance » entre l’amont et l’aval, entre producteurs et négociants. Cela se traduirait par deux engagements réciproques : autoriser d’une part les négociants à intégrer les Organismes de défense et de gestion (ODG) ce qui leur est aujourd’hui interdit et formaliser d’autre part un engagement de l’aval de la filière, « sous forme d’une déclaration d’engagements écrite par exemple, contrôlable et mesurable par les services de l’État, en faveur d’une véritable construction du prix « en marche avant » et d’une sécurisation dans la durée des débouchés des producteurs ». « Toute nouvelle aide de crise devra être conditionnée à la réussite de ces assises, et donc à l’entente entre l’amont et l’aval » avertissent avec fermeté les sénateurs qui enfoncent le clou : « ces assises de la viticulture devront inclure la diversité des partenaires de la viticulture, pour que tous soient mis devant leurs responsabilités : banques et assurances, grande distribution, hôtellerie-restauration, et bien entendu l’État et son administration ».

La filière ne s’en sortira aussi que si l’on évite la dispersion. Ils proposent ainsi de mutualiser une fraction des budgets interprofessionnels afin de promouvoir la « bannière France » plutôt que le particularisme local. Le rapport souhaite aussi « rationaliser » le très grand nombre d’interprofessions et organisations.

Ils plaident encore pour « une stabilité fiscale » pour ne pas pénaliser une filière déjà en crise alors qu’elle fait déjà l’objet « de taxes élevées et variées (taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 20 %, accise, cotisation sociale sur les boissons alcooliques, impôt spécial sur les « prémix ») ».

Face au défi climatique, les rapporteurs estiment que le déploiement de variétés de vignes et de cépages résistants est « un atout majeur pour le futur d’une viticulture confrontée à la réduction des moyens phytosanitaires traditionnels de protection des cultures ».

Autre piste avancée dans le rapport, le souhait d’accentuer le développement de l’oenotourisme (12 millions d’œnotouristes en 2023). Les rapporteurs en sont convaincus, la filière dispose ici d’un « levier majeur de création de valeur et de promotion de ses productions ». Ils formulent donc une série de recommandations visant à assurer le développement de cette activité en renforçant la coordination et la professionnalisation de ses acteurs, tout en sécurisant son financement et en levant certaines contraintes réglementaires. 


*La viticulture, une filière d’avenir : l’urgence de l’union ! – Rapport d’information n° 96 - Commission des affaires économiques – Octobre 2025.


La filière soutient directement ou indirectement près de 450 000 emplois produisant une valeur ajoutée de 32 Mde et générant des recettes fiscales de 6,4 Mde

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