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“Pour préserver sa mission historique, la sécurité sociale doit mettre la prévention et la projection au cœur de son fonctionnement”

Par Margaux Tellier-Poulain, Responsable de projets Santé & Protection Sociale à l’Institut Montaigne

L’année 2025 marque les 80 ans de la sécurité sociale. Or, cette dernière traverse une crise de soutenabilité qui nuit tant à la possibilité de sa pérennité qu’à la qualité des prestations qu’elle couvre.

Si les Français demeurent, encore aujourd’hui, très attachés à ce dispositif et soutiennent massivement la solidarité pour la santé (92 %) (1), l’accès aux soins devient de plus en plus incertain en France, face à un système à bout de souffle. Plus d’un Français sur deux (54 %) redoute de ne pas pouvoir se soigner en cas de problème (2) et 92 % des Français considèrent que l’hôpital public est en danger (3). Pour répondre durablement aux besoins des Français et préserver sa mission historique, la sécurité sociale doit mettre la prévention et la projection à long-terme au cœur de son fonctionnement.

Un système en tension par manque de visibilité et stratégisation

Les tendances analysées par l’Institut Montaigne (4) dans son étude “France 2040 : projections pour l’action politique” sont sans appel : alors que le solde financier des régimes de Sécurité sociale a alterné excédents et déficits depuis les années 1980, une détérioration structurelle est à noter. A politiques inchangées, cela opèrerait un glissement du solde d’un quasi-équilibre vers un déficit d’une dizaine de milliards d’euros d’ici à 2040 (5).

À cette tension financière déjà existante s’ajoute un choc démographique : la part des plus de 65 ans, de 21,9 % en 2024, pourrait atteindre 28 % en 2040, tandis que le nombre d’individus âgés de plus de 85 ans devrait plus que doubler pour approcher cinq millions de personnes (6), mettant sous pression la soutenabilité de la solidarité inter-générationnelle. En 2013, la France était encore au “seuil de renouvellement des générations” (7) avec près de 2 enfants par femme en moyenne, mais en 2024, l’indice conjoncturel de fécondité (ICF) n’était plus que de 1,62 (8). Le vieillissement de la population devrait par ailleurs conduire à une hausse naturelle des dépenses : ainsi, leur part passerait selon le ministère de la santé de 1,11 % du PIB en 2014 à 1,81 % en 2045 dans le cadre de la politique d’autonomie, puis à 2,07 % en 2060 (9). L’INSEE estime que le nombre de personnes dépendantes en France pourrait atteindre 4 millions à l’horizon 2050, contre 2,5 millions en 2015 (10).,

Un système pensé à court terme qui peine à se projeter vers l’avenir

Compte tenu des tendances décrites, la pluriannualité s’impose pour répondre à l’enjeu du vieillissement de la population, exigeant des investissements de plus en plus structurels qu’il s’agisse de la recherche, de l’organisation des soins ou des compétences humaines afférentes. L’annualité, qui demeure aujourd’hui reine, ne suffit plus à anticiper ni les besoins, ni les moyens et à transformer positivement et durablement notre système de santé.

Si certains leviers de pluriannualité existent, leur mise en oeuvre parcellaire peine à les transformer en véritables outils d’une planification budgétaire rigoureuse et pluriannuelle. La Stratégie nationale de santé (SNS), par exemple, introduite en 2016 à l’article L 411-1-1 du code de la santé publique « détermine, de manière pluriannuelle, des domaines d’action prioritaires et des objectifs d’amélioration de la santé et de la protection sociale contre la maladie » (11). Or, la DREES constatait dans son rapport d’évaluation (12) que la SNS n’était pas parvenue à réellement devenir le cadre de référence des politiques de santé. L’absence de publication officielle de la SNS 2023-2033 après la mise en œuvre de la consultation publique qui la précède démontre encore davantage la faible portée de cet outil de long terme qui pourrait pourtant devenir essentiel. Enfin, le manque de visibilité impliqué par l’absence de projection à long-terme dans la mise en place des politiques publiques crée une incertitude qui nuit à l’innovation en France alors que cette dernière doit être une pierre angulaire de notre système de santé.

Deux tournants majeurs à instituer

Face à ces tensions multiples, une solution s’impose : renforcer la prévention. Cette dernière peut en effet être une source incontestable d’efficience et de mieux-être, en améliorant la santé des Français et en limitant durablement les coûts induits par certaines situations de vie. Par exemple, dans le cas du vieillissement de la population, la question de la prévention peut jouer un rôle central, alors que la perte d’autonomie résulte principalement de la hausse des pathologies chroniques et polypathologies, plus prégnantes chez les personnes âgées. Plusieurs analyses indiquent une progression des incapacités sévères chez les 50-64 ans (13), qui pourrait se traduire par une hausse d’une période vécue en incapacité et une croissance de situations de perte d’autonomie, en dépit de l’augmentation de l’espérance de vie globale. Or, la thématique de l’autonomie et de son financement demeurent encore trop peu considérées en termes préventifs et épidémiologiques.

L’état des lieux du dépistage est un autre exemple frappant du rôle trop étroit laissé à la prévention : alors que 56 % des Français disaient avoir réalisé un dépistage du diabète en 2009, ils ne sont plus que 46 % en 2023 (14). De même, en 2022, 34,3 % des 50 à 74 ans ont effectué un dépistage du cancer colorectal pour un objectif européen de 45 % de la population cible (15). La France est en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE en termes de taux d’adhésion aux trois programmes de dépistages organisés (16) alors que chaque mois supplémentaire de retard dans le traitement du cancer augmente de 10 % le risque de décès (17).

Outre une amélioration de l’ambition préventive de notre politique de protection sociale, il est nécessaire de prendre compte les freins qui limitent l’adhésion des Français à ces mesures, lors de l’élaboration des politiques. Si 79 % des Français estiment que la santé peut être influencée par l’adoption de comportements de prévention, 44 % estiment que les recommandations de prévention en santé sont anxiogènes. (18)

La prévention doit être au cœur de chaque politique publique menée pour le bien-être des Français : éducation, agriculture, enseignement supérieur, santé, solidarités … tous ces domaines sont des occasions de renforcer encore davantage la prévention pour que chaque Français devienne acteur de son parcours de santé (19).

Penser le système pour demain

Avoir une vision de long terme en santé, c’est savoir s’extirper des enjeux politiques du présent pour préparer l’avenir. Or, les débats lors de l’examen des PLFSS se suivent, et se ressemblent - outre l’examen exceptionnel de l’année dernière - et cette pensée court termiste dessert malheureusement grandement la stratégisation en santé.

Comment répondre aux enjeux du vieillissement ? Assurer une offre de soins suffisante et de qualité sur le territoire en tenant compte des départs à la retraite et des nouvelles aspirations de chacun ? Permettre grâce à l’innovation d’améliorer le suivi des pathologies et d’en limiter les effets délétères ? Toutes ces questions nécessitent du temps et de la planification pour y répondre. Quand les enjeux s’inscrivent sur le long terme, pourquoi continuer à les penser année après année ?

Dans ce cadre, il est essentiel de faire un travail d’analyse des besoins réels en France et de se projeter vers ceux de demain grâce à la modélisation et la recherche, afin de pouvoir définir les priorités pour l’action publique. Il est par ailleurs crucial de donner du temps à l’analyse ex ante et de renforcer l’évaluation ex post pour rendre agile les choix politiques et améliorer le suivi des objectifs. La logique des petits pas peine toujours à convaincre lorsque le chemin tracé n’est pas visible. Sans objectivité ni direction claire, la politique de santé ne convainc plus. Alors que notre système s’essouffle, seule l’action collective pourra être salutaire. 


1. Bernard Sananes, Laurence Bedeau et Vincent Thibault, (2025) « Le Baromètre des territoires. France désemparée en quête de tranquillité » Institut Montaigne/Elabe/Groupe SNCF https://www.institutmontaigne.org/publications/barometre-des-territoires-2025-france-desemparee-en-quete-de-tranquillite.

2. Ibid.

3. Ipsos. (2025). Neuf Français sur 10 considèrent que l’hôpital public est en danger. Ipsos. https://www.ipsos.com/fr-fr/neuf-francais-sur-10-considerent-que-lhopital-public-est-en-danger

4. Tertrais, B., & Le Brasidec, E. (2025). France 2040 : projections pour l’action politique. Institut Montaigne.https://www.institutmontaigne.org/publications/france-2040-projections-pour-laction-politique#section29460

5. Ibid.

6. Ibid.

7. Selon l’INSEE, il est fixé à 2,05 enfants par femme, parce que pour 105 garçons il naît 100 filles.

8. Thélot, H. (2025). Bilan démographique 2024 (INSEE Première, no 2033). INSEE. https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/8327319/ip2033.pdf

9. Haut-commissariat au Plan. (2023). Vieillissement de la société française : réalité et conséquences. https://www.strategie-plan.gouv.fr/publications/hcp-vieillissement-de-la-societe-francaise-realite-et-consequences

10. Larbi, K., & Roy, D. (2019). Insee Première n° 1767 : Le vieillissement de la population et la perte d’autonomie (France hors Mayotte, personnes de 60 ans ou plus). Insee. Juillet 2019. https://www.bnsp.insee.fr/ark :/12148/bc6p07036tw/f1.pdf

11. Article L 411-1-1 du Code de la Santé Publique.

12. DREES, « Évaluation de la Stratégie nationale de santé 2018-2022 », rapport d’évaluation, juin 2022.

13. Cambois E, Blachier A, Robine JM. 2012. Aging and health in France : an unexpected expansion of disability in mid-adulthood over recent years. European Journal of Public Health (doi : 10.1093/eurpub/cks136)

14. Sanofi. (2023, novembre). Les Français face au diabète : net recul du dépistage malgré une maladie en progression, communiqué de presse.

15. Cour des comptes. (2021). “La politique de prévention en santé”.

16. OCDE. (2022). Panorama de la Santé : Europe.

17. Hanna, T. P., King, W. D., Thibodeau, S., Jalink, M., Paulin, G. A., Harvey-Jones, E., & al. (2020). Mortality due to cancer treatment delay : systematic review and meta-analysis. BMJ.

18. Fondation Roche. (2024). Observatoire du numérique en santé, 2nd édition, (p. 24).

19. Tellier-Poulain, M. (2025, mars). Dépistage : investissons notre capital santé. Institut Montaigne.

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