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AME : maîtriser la dépense tout en préservant la santé

Par Vincent Delahaye, Sénateur de l’Essonne

L’Aide médicale d’État (AME) illustre les dérives des dépenses dites « de guichet » : des dispositifs dont le coût final n’est pas maîtrisé.

Le Gouvernement décide une aide sans fixer de plafond, et toutes les personnes qui répondent aux critères sont servies. Cette logique donne l’impression d’une dépense illimitée. J’ai toujours été choqué par ce mécanisme. Il serait plus responsable de définir dès le début de l’année un budget plafond, quitte à reporter les nouvelles demandes sur l’exercice suivant. La santé devrait bien sûr échapper à ce principe, mais même dans ce domaine des règles de rigueur sont nécessaires.

L’AME, créée en 1999, permet de prendre en charge les soins des étrangers en situation irrégulière vivant en France depuis plus de trois mois et disposant de faibles ressources (moins de 862 euros mensuels). Elle s’applique aussi aux ayants droit du bénéficiaire. Une réforme de l’AME avait été annoncée en 2023 lors du vote au Sénat de sa transformation en aide médicale d’urgence. Le Gouvernement avait missionné Claude Évin et Patrick Stefanini pour un rapport, mais aucune suite n’a été donnée, ce qui est regrettable.

Les comparaisons européennes sont instructives. Le Danemark et la Suisse ne couvrent gratuitement que les soins urgents et demandent une participation financière pour certains traitements liés aux maladies infectieuses ou à la maternité. L’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède ou l’Italie limitent leur panier de soins bien plus que la France, avec des autorisations préalables pour nombre d’actes programmés. L’Espagne et la Belgique, en revanche, couvrent la quasi-totalité des soins, ce qui crée là-bas aussi des débats sur la soutenabilité financière. La singularité française est d’avoir l’un des dispositifs les plus généreux en Europe, sans réelle limite de volume, alors que la plupart de nos voisins fixent des garde-fous budgétaires ou médicaux.

En 2024, le coût de l’AME a atteint 1,4 milliard d’euros (dont 1,25 milliard pour l’AME de droit commun et 70 millions pour les soins urgents), en hausse de 15 % sur un an et de 67 % en dix ans. La dépense moyenne par bénéficiaire est stable, autour de 2 400 euros, mais le nombre de bénéficiaires a doublé depuis 2011 pour atteindre près de 466 000 personnes fin septembre 2024 et il a augmenté de 42 % depuis 2019. La progression rapide du nombre de bénéficiaires et des dépenses interrogent forcément.

Cette hausse s’explique par deux phénomènes : l’augmentation des flux migratoires et l’élargissement du champ des ayants droit. Le nombre d’étrangers en situation irrégulière est estimé entre 800 000 et 900 000. Leur nombre a presque doublé sous la Présidence d’Emmanuel Macron. Lutter contre les flux de l’immigration illégale constitue la condition préalable à la maîtrise des dépenses d’AME. À cela s’ajoute l’élargissement des ayants droit décidée en 2019 : auparavant limités essentiellement aux enfants mineurs, les ayants droit incluent désormais les enfants majeurs à charge et une personne adulte vivant depuis au moins un an avec le bénéficiaire. Cette décision a élargi de manière mécanique le cercle des bénéficiaires et contribué à l’augmentation des dépenses. Le rapport sénatorial de 2025 (1) recommande explicitement de revenir sur cette mesure pour rétablir l’équilibre.

Mon rapport de juillet 2025 formule dix recommandations précises pour réformer l’AME et en assurer la soutenabilité. Il préconise de recentrer les conditions d’éligibilité afin de réserver le dispositif à ceux qui en remplissent strictement les critères, et de revenir sur l’élargissement des ayants droit décidé en 2019 en les limitant aux seuls enfants mineurs. Il recommande d’exclure les personnes représentant un risque pour l’ordre public ayant fait l’objet d’un retrait ou d’un refus de titre de séjour pour ce motif. Le panier de soins devrait également être aligné sur le modèle allemand, plus restrictif, en excluant les programmes de soins chroniques sauf urgence vitale et en soumettant certains actes programmés, comme la rééducation ou la psychothérapie, à autorisation préalable. Ce type de filtre éviterait des dépenses non prioritaires. Le rapport insiste toutefois sur la nécessité de maintenir les soins de prévention, indispensables pour éviter des pathologies plus graves et plus coûteuses.

À cela s’ajoute une difficulté budgétaire récurrente : la dette de l’État vis-à-vis de l’Assurance-maladie. En 2024, l’État n’a pas inscrit dans le budget une enveloppe suffisante, créant une dette de 185 millions envers la CNAM. Ce n’est pas la première fois. Depuis plusieurs années, l’AME est systématiquement sous-budgétée, ce qui fragilise la sincérité des comptes publics. L’Assurance-maladie, déjà en déficit, se retrouve contrainte d’avancer des sommes qu’elle ne devrait pas supporter. L’État n’a jamais réglé ses dettes passées envers l’Assurance maladie, ce qui creuse la dette de la sécurité sociale et fragilise le système social de tous les Français. Une telle pratique est non seulement contraire à la transparence budgétaire, mais elle alimente la défiance des citoyens. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi l’État tolère ces « dettes cachées » au moment même où il demande des efforts à l’ensemble des assurés sociaux. Il est urgent d’imposer une budgétisation sincère de l’AME, correspondant à la réalité des dépenses constatées, et non à une estimation volontairement minorée.

Deux axes complémentaires méritent d’être soulignés. D’abord la fraude et les contrôles : il faut renforcer les vérifications non seulement à l’entrée mais aussi en cours de droits, grâce au croisement systématique des fichiers. Ensuite la transparence : l’État doit publier chaque année des données détaillées sur l’AME, par type de soins et par territoire, pour permettre un pilotage réel et objectif. Ces mesures donneraient enfin aux citoyens et aux parlementaires une vision claire et fiable de ce que coûte réellement le dispositif.

Ces mesures visent à contenir la dépense publique tout en préservant la protection de la santé. Loin de supprimer l’AME, il s’agit de la rendre soutenable et acceptable par tous. La santé doit rester un droit, mais cela n’exonère pas l’État de son obligation de maîtriser les dépenses.

Au-delà de l’aspect technique, la question de l’AME est politique. Les gouvernements successifs ont promis une réforme sans jamais aller au bout. Cette inconstance fragilise la confiance des citoyens dans la capacité de l’État à tenir ses engagements. Elle nourrit un sentiment d’injustice : comment demander des efforts à nos concitoyens alors que certaines dépenses paraissent illimitées ? La maîtrise de l’AME n’est pas une remise en cause de la solidarité, mais sa condition de survie. Si rien n’est fait, la hausse continue du coût de l’AME alimentera les tensions et renforcera la défiance. La réforme que je propose n’est pas une option idéologique : c’est une exigence de justice et de responsabilité vis-à-vis des Français. 


1. « L’aide médicale d’État, une réforme nécessaire », rapport d’information n° 841, 9 juillet 2025, 94 p.

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