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Anticiper plutôt que juger l’ubérisation de l’économie

Par Nathalie Kosciusko-Morizet, Députée (Les Républicains, Essonne), Membre de la Commission des Lois

Le conflit entre Uber et les taxis fut pour beaucoup un révélateur : le monde change et les innovations technologiques sont aujourd’hui susceptibles de briser des équilibres depuis longtemps acquis. Le travail, finalement, n’est pas exempt d’évolutions sociétales. L’innovation vient heurter des monopoles et des situations que leurs parties prenantes souhaitent protéger, et c’est bien naturel.

Le débat a fait rage entre ceux qui défendaient les taxis, exposés brutalement à une concurrence déloyale, et ceux qui plaidaient pour Uber, cette entreprise puissante qui répond à la demande de ceux qui souhaitent un service rapide et de qualité. Il me semble que la question n’est pas d’être pro ou anti Uber, mais bien de comprendre quelles sont les racines de ces évolutions, et comment les accompagner. C’est notre responsabilité en tant que parlementaires. Il ne nous revient pas d’attribuer les bons et les mauvais points, mais bien de trouver les leviers pour accompagner ces mutations, afin que les innovateurs puissent s’épanouir, et que les métiers traditionnels ne pâtissent pas d’un monde à deux vitesses.

La société traverse actuellement un mouvement d’indépendance qui se traduit concrètement sur le marché du travail par un nombre croissant de travailleurs non-salariés. Si le salariat reste le mode de travail largement dominant aujourd’hui (23,8 millions de salariés à fin 2013, soit 89,9% des travailleurs), le travail indépendant se développe : de 2006 à 2011, les effectifs des travailleurs non-salariés (hors agriculture) ont progressé de 26%, et plus encore dans certaines activités de services. C’est en quelque sorte la fin de l’âge d’or du salariat.

Ce mouvement a plusieurs sources : une situation économique morose combinée à un droit du travail rigide, qui encouragent les entreprises à avoir de plus en plus recours à des indépendants ; une aspiration générationnelle en faveur de l’indépendance, de la création d’entreprise et de l’autonomie ; des reconversions souvent subies, notamment par les seniors, qui mettent à profit leur expérience pour créer leur propre activité faute d’être maintenus à des postes attractifs dans les entreprises.

Face à ce triple mouvement, la croissance de l’indépendance ne doit pas être perçue comme une menace, mais bien comme une source d’opportunités pour l’emploi. Et c’est d’ailleurs pour cela que de nombreux jeunes, longtemps en recherche d’emploi, se sont lancés dans le travail indépendant. Ce ne sont pas les contrats aidés qui feront baisser le chômage de façon structurelle : c’est l’élargissement des possibilités de créations d’emplois. C’est pourquoi je souhaite que le mouvement d’ubérisation de l’économie soit accompagné par des mesures concrètes qui faciliteront la vie de ceux qui se tournent vers l’indépendance. Les réformes du travail indépendant sont indissociables de la réforme plus globale du marché du travail.

Ma première proposition est de créer un statut général du travailleur indépendant, afin de simplifier les différents régimes juridiques existants. Ce statut général regrouperait des dispositions communes à toutes les formes de travail indépendant, parmi lesquelles le décompte du temps de travail en forfait jours, l’affirmation de l’impossibilité pour le juge prud’homal de requalifier des travailleurs indépendants en salariés, ou encore les règles applicables aux travailleurs indépendants qui sont en situation de dépendance économique (plus de 60 % de leur revenu), notamment sur les droits à congés. Ma deuxième proposition consiste à réformer la protection sociale, afin de l’adapter à la croissance des indépendants en réduisant la part des cotisations salariales dans le financement. Enfin, ma troisième proposition consiste à encourager les nouveaux modes d’organisation du travail, afin que les salariés puissent eux aussi bénéficier, même en entreprise, du télétravail, du shareworking et des modes de travail collaboratifs innovants. 

 

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