“En 2021 et 2022, le nombre de présentations médicamenteuses simultanément en rupture de stock a fortement augmenté décrivent les auteurs de l’étude conjointe Drees/ANSM, dépassant largement les précédents épisodes, notamment celui intervenu lors du premier confinement”. Le pic a même été atteint à l’hiver 2022-2023, « avec environ 800 présentations en rupture de stock simultanément ». Depuis le nombre de présentations en rupture reflue progressivement. Au 31 décembre 2024, on comptait environ 400 présentations en rupture stock, « un niveau certes en retrait par rapport au pic mais encore élevé ».
Une situation vraiment préoccupante surtout lorsque l’on comprend qu’une interruption dans le traitement des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante compte-tenu de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie. Selon la liste de l’ANSM publiée en décembre 2024, sur les 17 000 présentations de médicaments commercialisées, environ 10 000 sont des MITM. Aucune classe thérapeutique n’échappe à la vague des ruptures de stock de 2021-2022. Mais quatre classes rassemblent près des trois-quarts des déclarations : les médicaments du système cardio-vasculaire (environ 30 % des déclarations), ceux du système nerveux (20 %), les antibiotiques (14 %) et les médicaments du système digestif (environ 10 %). « Les ruptures de stock sont une réalité préoccupante pour les patients mais aussi pour tous les acteurs de la chaîne, comme les prescripteurs et les pharmaciens » confirme Catherine Paugam-Burtz, directrice générale de l’ANSM.
Une rupture de stock, ou un risque de rupture de stock peut affecter significativement les ventes du médicament concerné aux pharmacies, « sans forcément s’accompagner d’un effondrement des ventes » souligne les auteurs. En moyenne, sur l’ensemble de la durée d’un épisode de tension, le nombre de boîtes livrées aux pharmacies a baissé de 11 % pour une rupture de stock et de 7 % pour un risque de rupture. Au pic de criticité atteint lors de l’hiver 2022-2023, le nombre de boîtes de MITM manquantes mensuellement à la vente aux officines, à la suite d’une rupture ou d’un risque de rupture, a atteint 8 millions (hors hausses éventuelles des ventes d’alternatives thérapeutiques), soit entre 6,5 % et 10 % du volume de vente total de MITM.
Pour expliquer ces ruptures, l’étude avance plusieurs causes « systémiques et variables ». « C’est un mélange entre des difficultés de production et une augmentation de la consommation de médicaments » juge Catherine Paugam-Burtz. Pour Clément Dherbécourt, adjoint au sous-directeur des synthèses et de l’évaluation à la DREES et co-auteur de l’étude, on est aussi face « des problèmes généraux de dérèglement des chaînes de production mondiale » liés à l’épidémie de Covid et à la guerre en Ukraine qui touchent tous les secteurs de l’économie. Seuls 10 % des ruptures de stock seraient liés à des pénuries de matières premières.
Loin de fermer les yeux sur un phénomène inquiétant, l’exécutif a lancé une feuille de route interministérielle 2024-2027 de lutte contre les pénuries de médicaments. Depuis septembre 2021, la loi oblige les industriels à disposer d’un stock de sécurité de quatre mois minimum s’ils ont fait l’objet de ruptures ou risques de rupture réguliers au cours des deux années précédentes (Deux mois pour les autres MITM). En septembre 2024, l’ANSM a mis à l’amende (8 millions d’euros), 11 laboratoires pharmaceutiques qui n’avaient pas respectés ces obligations. ■
*Études et résultats N° 1335 Paru le 27/03/2025 Gladys Baudet et Clément Dherbécourt (DREES)