La programmation pluriannuelle de l’énergie fixe notre politique énergétique sur la période 2025-2035. La loi « Energie-Climat » de 2014 a fixé le principe d’une loi tous les cinq ans. Pour 2025-2030, nous sommes en retard. Et la période a été allongée de cinq ans.
Cet allongement paraît raisonnable : on ne change pas une politique énergétique tous les cinq ans. Tous les dix ans non plus d’ailleurs… Ce fut pourtant le cas entre la PPE 2 précédente et la nouvelle PPE 3 présentée début 2025.
La PPE 2 (2019-2024) prévoyait de fermer quatorze réacteurs nucléaires et de développer tous azimuts les renouvelables sans prendre en compte leur caractère intermittent. Le Président Macron, après la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim en 2019, tourne le dos à cette loi votée sous sa Présidence et annonce, début 2022, la construction de 6 nouveaux réacteurs nucléaires et 8 en option dans un deuxième temps. Soit 28 réacteurs de différence potentielle en moins de 3 ans ! Le changement stratégique est complet. La PPE 2 a vécu dès le mois de février 2022. Le brusque mouvement présidentiel prend tout le monde par surprise, même s’il rencontre l’assentiment d’une majorité de Français.
Que faire de tous ces renouvelables promis dans la PPE 2, alors que le besoin va forcément être moindre ? Le choix va être de juxtaposer les investissements en renouvelables programmés par la PPE 2, ceux du nouveau nucléaire, les réseaux correspondants et les subventions à l’éolien et au solaire. Le choix est de ne pas choisir et d’additionner pour faire plaisir à tout le monde. Après tout, ce ne sont que 300 à 400 milliards d’euros sur 5 ans intégralement payés par les consommateurs d’électricité, petits et grands.
Pour justifier ces énormes investissements, RTE, la filiale d’EDF en charge des prévisions de production et de consommation d’électricité en lieu et place de l’État, publie des scénarios, allant jusqu’à 35 % d’augmentation de la consommation d’électricité en France entre 2025 et 2035. Hypothèses, d’autant plus aventureuses que l’on observe depuis 20 ans, une diminution de la consommation liée à l’augmentation du prix de l’électricité : plus de 120 % ces dix dernières années.
Ce curieux réglage porte en lui les raisons d’un échec programmé : l’électrification des usages, essentiel à la lutte contre le changement climatique, va être rendu impraticable par les nouvelles hausses des prix de l’électricité qui vont devoir financer cet Himalaya d’investissements.
La PPE 3 concoctée par RTE, le gestionnaire du réseau électrique, filiale d’EDF, a été avalisée par la DGEC (1) et la CRE (2) sans modification significative. Aucune étude d’impact n’a été réalisée.
La procédure prévoit de solliciter les avis de différents conseils. Un seul va renâcler : le Haut-Commissaire à l’Energie Atomique, Vincent Berger, souligne l’absurdité d’un parc nucléaire fonctionnant à petit régime et d’un parc renouvelable intermittent. L’Académie des Sciences, non sollicitée, prend une résolution dans le même sens. Ils ne sont pas entendus. Le texte arrive inchangé à l’Assemblée Nationale.
Le Ministre en charge de l’Energie, Marc Ferracci, puis le Premier Ministre ont annoncé en avril l’intention du Gouvernement d’adopter la PPE 3 par un décret « avant la fin de l’été ». Devant la levée de boucliers parlementaires, il a été procédé à un débat sans vote le 28 avril, dans un hémicycle quasiment vide : un boycott informel ? Une lassitude des députés devant un programme législatif trop lourd ? L’image est choquante concernant la « souveraineté énergétique du pays » (3).
Le RN, une partie de la Droite et du Centre se sont clairement opposés au développement des éoliennes et « condamnent cette PPE qui aggrave des politiques injustes et ruineuses » (4). Le Sénat n’est pas resté inactif. Daniel Gremillet, Sénateur LR, a déposé un projet de loi, adopté en première lecture au Sénat en octobre 2024. Ses principaux objectifs énergétiques sont les suivants :
• Un mix nucléaire au moins de 2/3 en 2030 (une disponibilité nucléaire de 75 %)
• Au moins quatorze nouveaux EPR2 et quinze SMR d’ici 2050.
Cela s’accompagne de mesures de simplifications significatives. Ce texte renoue avec la politique française des années 1970 à 2000.
Francois Bayrou missionne le Député Renaissance, Antoine Armand, et Daniel Gremillet pour mener « auditions et études complémentaires » afin d’améliorer la copie gouvernementale qui passera toujours par décret « avant la fin de l’été ». Un débat redémarre à l’Assemblée Nationale.
Les éditions Grasset publie fin avril mon livre « Un secret si bien gardé ». J’y décris comment le modèle britannique de la concurrence et le modèle allemand des renouvelables, boostés par le charbon, le lignite et le gaz russe, ont fait dévier la politique énergétique européenne et française, ont surenchéri le prix de l’électricité et ont nui à notre compétitivité sans optimiser la lutte contre le changement climatique. Les conséquences pour les industriels comme pour les ménages sont désastreuses.
J’y révèle aussi un secret. Le parc nucléaire français est en sous-production chronique. Le facteur de charge, c’est-à-dire son taux de fonctionnement, est de 67 % en 2024. Les meilleurs du monde sont au-dessus de 95 %. Les électriciens nucléaires européens (en dehors d’EDF) sont tous au-dessus de 85 %. Quant aux réacteurs américains, de 10 à 15 ans plus anciens en moyenne que ceux d’EDF, ils fonctionnent 91 % du temps depuis 10 ans.
Ce facteur de charge utilisé partout est quasi inconnu en France. EDF parle de sa production en TWh (Térawatt heure) et discute l’avenir en TWh. Le seul facteur parfois évoqué est le facteur de disponibilité, qui est bien sûr meilleur que le facteur de charge. C’est pourtant ce dernier qu’utilise l’AIEA, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, et tous les autres opérateurs.
La PPE 3 avalise une production nucléaire française de 360 TWh entre 2025 et 2030, donc un facteur de charge inchangé de 67 % et prévoit un EDF stagnant sur des performances parmi les plus mauvaises du monde. Cette sous production soigneusement dissimulée est allée crescendo : EDF avait un facteur de charge de 78 % en 1985.
Les réactions médiatiques sont nombreuses depuis lors : stupéfaction, interrogations, indignation… Aucun démenti d’EDF. RTE, cité par Ouest France, déclare le 20 avril 2025, avant de se taire, avoir souligné dans « des dizaines de pages d’analyses, accessibles au grand public » la baisse de disponibilité du parc français. Je ne les ai pas (encore ?) trouvées.
C’est dissimulation a conduit à un accord surréaliste entre Bruno Le Maire et EDF sur un prix du courant pour les industriels entre 70 et 110 euros par MWh. La Direction Commerciale de l’électricien y ajouta un codicille de son cru : l’entreprise devra faire une avance financière immédiate, pour un contrat de cinq ans, d’un an et demi. Dans ces conditions, une seule entreprise a signé avec EDF.
Le PDG d’EDF en a fait les frais. Le nouveau Président, Bertrand Fontana, a annoncé vouloir atteindre 400 TWh de production annuelle, soit un facteur de charge de 70 %. Il faut aller plus loin. Produire plus, c’est une électricité supplémentaire quasi gratuite et ce sont des investissements en moins. La décarbonation des usages, la compétitivité de notre pays, la fragilité des plus modestes se jouent maintenant, comme de nouvelles opportunités (5). ■
1. Direction Générale de l’Energie et du Climat
2. Commission de Régulation de l’Energie
3. Selon la formule du Premier Ministre
4. Marine Le Pen
5. Cf « Un secret si bien gardé » - éditions Grasset – avril 2025