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Les désertions, “une forme singulière de départ de l’institution”

Le rapport parlementaire des députés Loïc Kervrab (Horizons) et Caroline Colombier (RN) fait le point sur le recrutement et la fidélisation au sein des armées avec un focus sur le cas des désertions*.

En mars 2024, au fort neuf de Vincennes (Val-de-Marne), le ministre des armées Sébastien Lecornu lançait un vaste plan de « fidélisation » dans les armées avec pour objectif de garder plus longtemps dans les rangs les militaires mais aussi d’accroitre le recrutement de personnels. Le 26 mars 2025, un an après l’annonce du plan « Fidélisation 306 », « les résultats sont là. Nous avons inversé la tendance. Nous avons réussi à diminuer de manière considérable le nombre de départs avec une attractivité en recrutement qui, elle, reste très élevée. Nous avons enfin un flux et une courbe qui s’est inversée » s’est félicité Sébastien Lecornu. Un communiqué du ministère confirmait cette embellie précisant que « pour la première fois depuis 4 ans, les effectifs ont augmenté », la « cible d’effectifs a été atteinte » grâce à des « départs moins nombreux ».

Dans un contexte géopolitique tendu où les bruits de bottes se font entendre ici et là et que le chef des armées évoque une « menace existentielle » à nos portes, « les ressources humaines constituent le cœur de la politique de défense de la Nation » jugent les députés Loïc Kervrab (Horizons) et Caroline Colombier (RN) dans un récent rapport intitulé « Recrutement et fidélisation : gagner la bataille des ressources humaines du ministère des Armées ».

Décrivant l’état des ressources, les difficultés de recrutement et les efforts déjà engagés par les armées pour fidéliser leurs personnels, les rapporteurs se sont également penchés sur les cas de désertions, « une forme singulière de départ de l’institution ».

Selon les données recueillies par l’EMA, « une augmentation des désertions a été observée » écrivent les deux députés, notamment dans l’armée de Terre et l’armée de l’Air et de l’Espace, avec un pic particulier en 2022 pour l’armée de Terre. La Marine nationale, en revanche, n’a pas connu d’évolution significative en termes de désertions. Entre 2017 et 2021, les armées recensaient un peu moins d’un millier de déserteurs par an. 2020, année covid, a été celle qui a connu le moins de désertions (834 cas). A l’inverse, 2022 a connu un pic avec 1485 cas avant de redescendre en 2023 à 1253 désertions comptabilisées.

Sur le plan juridique, précise le rapport, la désertion, constatée officiellement à J+7 après l’absence, fait systématiquement l’objet d’une dénonciation au titre de l’article 698 du code de procédure pénale. « La désertion militaire est, en effet un délit réprimé par une peine d’emprisonnement pouvant aller en temps de paix, de 5 à 10 ans » souligne Loïc Kervrab, Mais « le plus souvent, les peines prononcées sont des peines d’emprisonnement assorties d’un sursis simple allant de 15 jours à 6 mois, voire par un classement sans suite selon les juridictions » ajoutent de concert les deux élus. « Les peines constatées actuellement ne sont pas dissuasives : par exemple, la section AC3 du Parquet de Paris - affaires militaires et atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation - classe systématiquement sans suite » semblent regretter les rapporteurs.

Si « pour certains militaires, la désertion reste une solution de facilité, avec effet immédiat », il est difficile aux DRH des armées « d’identifier des causes génériques de désertion au vu du volume relativement réduit des occurrences par rapport aux effectifs gérés ainsi que de la singularité des cas ». Trois facteurs peuvent cependant expliquer un phénomène qui est ces toutes dernières années en hausse. Le début de la guerre en Ukraine (février 2022) a eu un effet direct et visible sur les désertions au sein de la Légion étrangère. « Environ 85 légionnaires d’origine ukrainienne ont déserté pour retourner combattre dans leur pays, soit 20 % de l’accroissement constaté » écrivent les élus. Il faut aussi tenir compte de la pleine sortie de la crise de la Covid-19 qui a donné lieu à « un effet de rattrapage de départs retardés pendant la crise du fait des incertitudes et versatilité professionnelle accrue des jeunes actifs ». Cette hausse trouve encore comme explication la période de plein-emploi « qui se caractérise par une hausse générale des départs, dont ceux pour radiation disciplinaire et réforme ». « S’agissant des causes profondes de la désertion, un déserteur ne rend évidemment pas compte des raisons de son départ » reconnaissent les rapporteurs qui estiment qu’il y a « toutefois nécessairement un problème d’adaptation à la vie militaire et d’acceptation des singularités et contraintes de cet engagement. Il y a aussi une part de versatilité et d’immaturité qui restera toujours difficile à modéliser ».

Face à ce phénomène, les armées cherchent la parade et des mesures « directes et indirectes » sont déjà développées comme la création d’alternatives au recours à la désertion ou à l’absentéisme sous couvert médical (avenant réductif au contrat, résiliation de contrat, effort de formation de l’encadrement de contact et diffusion des bonnes pratiques). Les armées veillent aussi à une meilleure prise en compte des aspirations (performance accrue de l’orientation annuelle, développement de la mobilité et de la réorientation notamment en fonction des désidératas, offre de contrat modulaire, meilleure transmission de l’information aux militaires du rang) et à une plus grande valorisation des parcours des militaires du rang.

Au nombre de leurs propositions, les rapporteurs rappelant que « le choix pour un personnel militaire de déserter n’est pas un choix anodin et qu’il s’agit sans doute de la façon la plus brutale de quitter les armées » incitent vivement les armées à « engager une réflexion sur les causes de la désertion ».

Lors de leurs travaux, Loïc Kervrab et Caroline Colombier ont en effet déploré le manque relatif d’informations quant aux causes pouvant justifier le choix pour un personnel militaire de déserter, en particulier s’il a la possibilité de quitter l’institution autrement. 


*Rapport d’information, n° 1152 « Recrutement et fidélisation : gagner la bataille des ressources humaines du ministère des Armées »


Est « déclaré déserteur à l’intérieur, en temps de paix, tout militaire dont la formation de rattachement est située sur le territoire de la République et qui s’évade, s’absente sans autorisation, refuse de rejoindre sa formation de rattachement ou ne s’y présente pas à l’issue d’une mission, d’une permission ou d’un congé ».
Article L 321-2 du code de justice militaire.

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