Interrogée peu de temps après l’audition de François Bayrou par la commission d’enquête sur « les modalités du contrôle par l’Etat et de la prévention des violences dans les établissements scolaires publics et privés » dite de « Bétharram » des députés Violette Spillebout (Ensemble pour la République) et Paul Vannier (La France insoumise), la présidente de l’assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a admis qu’il y avait « peut-être un peu trop » de commissions d’enquête parlementaires et que certaines pouvaient être « instrumentalisées pour en faire des tribunes ». « Chaque groupe politique a le droit de faire une commission d’enquête par an. En plus, j’ai des commissions d’enquête qui sont votées dans l’hémicycle (et) des commissions permanentes qui se transforment en commissions d’enquête. Ça commence à faire beaucoup » a-t-elle reconnu sur France 3 le 18 mai dernier. La présidente souhaite pourtant que ne soit pas dévoyé « ce formidable outil de travail parlementaire » auquel « elle est très attachée ».
Depuis la dissolution de juin 2024, les députés ont obtenu la création de 10 commissions d’enquête. Entre 2007 et 2012 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il n’y en avait eu que 8 de créées. Une inflation qui est mathématique. Avec le « droit de tirage », chaque groupe parlementaire a la possibilité de demander la création d’une commission d’enquête par an. Avec 11 groupes parlementaires depuis les dernières législatives cela ouvre le champs des possibles.
Dans une assemblée morcelée, sans majorité, pour les groupes parlementaires, la création d’une commission d’enquête est aussi le moyen d’attirer l’attention et de prendre à témoin l’opinion publique. L’audition agitée de François Bayrou en est le dernier exemple en date mais il en existe bien d’autres. « Face au sentiment d’impuissance législatif, la médiatisation de ces commissions d’enquête est devenue une arme pour les oppositions, au même titre que l’obstruction par voie d’amendements sur un texte, ou de faire le buzz lors des questions au gouvernement les mardis et mercredis » explique aux Echos l’historien spécialiste d’histoire politique Jean Garrigues. « Il faut qu’on arrête avec les commissions d’enquête » à l’Assemblée nationale « parce qu’on en fait des objets politiques permanents » où « il ne s’agit pas de combattre, il s’agit d’accuser l’autre » a pour sa part dénoncé Marc Fesneau, le patron des députés Horizons à l’assemblée au lendemain de l’audition de François Bayrou. Que faut-il alors penser de la dernière commission d’enquête « contre la France insoumise » obtenue par Laurent Wauquiez ? Sur le papier, cette nouvelle commission entend enquêter sur « les liens existants entre les représentants des mouvements politiques et des organisations soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste ». Mais derrière cet intitulé passe-partout, c’est bien LFI qui est visée. Un groupe parlementaire qui cible un autre groupe parlementaire, une première. Ce qui n’a pas échappé à la présidente du groupe RN à l’Assemblée qui a estimé qu’« Il y a une dérive, clairement, que ce soit de la part de LR ou du NFP, qui consiste à se servir d’une commission d’enquête pour essayer de nuire à leurs adversaires » déplorant les « règlements de compte » pour servir « un agenda politique ». « C’est devenu un outil de mise en accusation politique plus qu’un outil de contrôle de l’action du gouvernement » pointe le député Renaissance Mathieu Lefèvre (Renaissance). « Chaque fait divers ou de société a le droit à sa commission d’enquête, ce qui dévoie celle-ci » ajoute celui qui a été rapporteur avec Éric Ciotti d’une commission d’enquête sur le dérapage du déficit public.
Certains reprochent ainsi aux commission d’enquête d’outrepasser leurs prérogatives et de jouer un peu trop au « tribunal judiciaire ». Lorsqu’une commission d’enquête convoque une personne, elle ne peut (en théorie) s’y soustraire sous peine de poursuite. La personne auditionnée répond sous serment aux questions des élus et peut donc être poursuivie pour « faux témoignage ». Une situation qui peut inquiéter et faire craindre à « un procès » peu équitable. Ce n’est toutefois pas ce que pense le député Modem Erwan Balanant, ancien rapporteur d’une commission d’enquête sur les violences commises dans le monde de la culture. Il tient à rappeler que « toute personne convoquée peut bénéficier d’une tierce personne pour l’accompagner et le conseiller. Elle n’est en outre pas obligée de répondre aux questions des députés, mais seulement de se rendre à l’Assemblée ». Il faut cependant avoir l’honnêteté d’ajouter que les absences aux commissions d’enquête ou les parjures n’ont été que très rarement sanctionnés. Depuis 1995, « aucune condamnation n’a été prononcée » indique au Canard enchaîné, l’Assemblée nationale. En trente ans, seuls trois signalements ont été faits et tous ont été classés sans suite. Au Sénat, une seule condamnation a été prononcée par la justice à l’encontre de Michel Aubier qui, lors d’une commission d’enquête sur la pollution avait omis de signaler qu’il était rémunéré comme médecin-conseil de Total. Voilà qui n’incite pas à respecter les assemblées et leurs commissions.
Pour autant, il ne faut pas mettre toutes les commissions d’enquête dans le même panier, et encore moins tous les parlementaires. La très grande majorité des commissions d’enquête fait un travail sérieux et fait des préconisations qui permettent de faire bouger les lignes sur certains sujets parfois délicats. « Il est bien plus important de travailler sur le fond que de faire des coups de communication. Malheureusement, certains ont choisi la visibilité à l’action.. ». décrit avec lucidité au Figaro Isabelle Santiago, rapporteur d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de la protection de l’enfance et dont le travail a été largement reconnu et salué. ■
Les commissions d’enquête
Composées de trente députés désignés à la proportionnelle des groupes, ces commissions sont constituées pour enquêter sur des faits ne donnant pas lieu à des poursuites judiciaires ou pour examiner la gestion de services ou d’entreprises publics. Les groupes d’opposition ou minoritaires disposent d’un « droit de tirage » leur permettant d’obtenir chacun la création d’une commission d’enquête par an. Les fonctions de président ou de rapporteur reviennent de droit à un membre d’un groupe d’opposition. Les commissions d’enquête disposent de prérogatives spécifiques (droit de citation directe, pouvoir d’investigation sur pièces et sur places…) qui donnent une grande efficacité à leurs travaux.
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