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“Renouveler les conditions du dialogue entre les architectes des Bâtiments de France (ABF), les élus locaux et l’ensemble des citoyens”

Par Pierre-Jean Verzelen, Sénateur*

Quand l’on sait que le sujet des Architectes des Bâtiments de France peut déchainer les passions, c’est une forme d’exploit que ce texte ait pu être inscrit dans la niche transpartisane du Sénat et adopté à l’unanimité. Il n’y a que dans cet hémicycle que cela est possible.

Cette proposition de loi fait suite à une mission d’information sur le périmètre et les compétences des Architectes des Bâtiments de France (ABF), dont j’étais rapporteur.

J’ai proposé cette mission d’information parce que j’ai été maire d’une commune rurale de l’Aisne avec un bâtiment classé. J’ai donc été amené à travailler avec l’ABF à plusieurs reprises. D’ailleurs, quand je parle des ABF, j’évoque aussi les services des UDAP, les Unités Départementales d’Architecture et du Patrimoine.

J’ai identifié ce sujet comme étant un bon exemple des incompréhensions qui peuvent exister entre les maires et l’État et entre les citoyens et l’Etat.

Nous avons mené ce travail pendant six mois, sous la présidence de Marie-Pierre Monier, avec qui nous avions, en la matière, des expériences différentes et des avis plutôt divergents. Malgré cela, nous avons fait en sorte, grâce aux auditions, aux déplacements sur le terrain et aux consultations auprès des élus, de rendre le plus objectif possible, un sujet, qui, par nature est subjectif.

Quels constats pouvons-nous faire ? Quand on se connaît et qu’un dialogue existe, cela fonctionne, quand on se trouve dans une ville avec des services instructeurs ou dans des villages à fort enjeu patrimonial, il y a des habitudes de travail qui sont prises et, globalement, les choses se passent bien.

Quand on est dans une commune rurale, avec moins de service administratif, que le maire ne connait pas ou n’a pas directement accès aux ABF et que l’intensité patrimoniale est moins évidente, les choses se compliquent.

D’ailleurs, le questionnaire, envoyé par le Sénat à toutes les mairies de France, qui a rencontré un grand succès avec plus de 1500 contributions, a confirmé ce constat.

Les principaux sujets qui nous ont été remontés sont ceux que l’on a également pu constater par nous-même sur le terrain :

• Le manque de prévisibilité et de cohérence des décisions rendues, autrement dit : des avis qui diffèrent selon les ABF et parfois aussi, de la part du même ABF, à quelques mois d’écart et dans un même secteur…

• Une intensité patrimoniale qui n’est pas la même partout….les exigences ne peuvent pas être les mêmes dans le périmètre classé du Château de Versailles que pour la personne qui souhaite changer ses fenêtres et qui habite à 480 mètres de la Tour de Crécy-sur-Serre, la commune dont j’étais maire.

• Le sujet du coût des travaux, alors évidement, ce n’est pas au Parlement de déterminer le choix des matières à tel endroit, l’origine des produits, de décider de l’entreprise à retenir pour effectuer les travaux… Cependant, on ne peut pas nier la réalité. Dans les faits, même si certains réalisent des travaux pour des raisons esthétiques, la plupart d’entre eux le font souvent pour des questions économiques et énergétiques pour baisser leurs consommations avec les moyens qui sont les leurs.

• D’ailleurs, les sujets des énergies renouvelables, de l’auto-consommation et du photovoltaïque sont revenus très souvent dans les échanges que nous avons eus.

Cette mission d’information a émis 24 recommandations qui ont été votées à l’unanimité des membres de la mission, présentées à la commission culture le 25 septembre et dont les conclusions ont été rendues à Madame la ministre de la Culture, Rachida Dati, en janvier dernier.

Le texte propose 4 principaux axes d’évolution.

Déjà, l’extension des périmètres délimités des abords, ce qu’on appelle les PDA, ils permettent de sortir de la délimitation arbitraire des 500 mètres et de redessiner un « périmètre intelligent » lié à la réalité de l’intensité patrimoniale autour du site classé.

C’est autorisé depuis la loi LCAP de 2016, c’est une avancée unanimement saluée, aussi bien du côté des élus que des ABF. La principale difficulté, c’est qu’il s’en fait trop peu… notamment dans les communes rurales, à cause des contraintes administratives : les procédures trop lourdes, l’enquête publique, le recours à des cabinets d’études…cela prend du temps, cela coute de l’argent et c’est un frein.

Par conséquent, le texte propose de ne plus recourir à l’enquête publique. En clair : si un maire a la volonté de restreindre le périmètre autour de l’édifice classé, il mène un travail avec l’ABF, puis, une délibération du conseil municipal vient entériner les choses.

Ensuite, la proposition de loi vise également à rendre publics et consultables en ligne les avis rendus par les ABF. Cela fait partie d’un mouvement global des administrations afin d’améliorer la transparence des décisions prises. J’ajoute que cela permettra pour les pétitionnaires, comme pour les ABF, d’avoir par secteur et dans le temps, des références et le cas échéant une forme de jurisprudence.

Le troisième article prévoit la création d’une commission de conciliation départementale. Elle s’inspire d’exemples vécus à l’échelle de territoires qui se sont déjà organisés de manière plus ou moins officieuse. L’idée est de créer un moment de dialogue et d’échanges qui soit obligatoire s’agissant des décisions ayant reçu un avis défavorable ou un avis favorable assorti de prescriptions coûteuses ou difficiles à mettre en œuvre techniquement. Là où cela a été organisé, cela fonctionne très bien. En règle générale, les dossiers se règlent rapidement, pas tous, mais une grande partie.

Enfin, l’article 4 s’inscrit dans la droite ligne des travaux de la mission et propose de tracer un cap, une orientation, de mettre en avant le sujet de la réhabilitation en l’insérant dans la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture. Si cette mesure a suscité beaucoup de débats au sein même du corps des architectes, nous avons su trouver une entente pour satisfaire l’objectif de l’article, à savoir une rénovation respectueuse des spécificités du bâti ancien.

Finalement, il y a ce qui relève du législatif, autrement dit, ce qui a été voté au Sénat le 19 mars dernier à l’unanimité, et puis, il y a ce qui relève du règlementaire notamment la question de l’harmonisation des décisions des ABF. Nombreux sont ceux qui souhaiteraient la création d’un guide, d’un cadre, de directions nationales sur certains sujets essentiels, comme le développement des énergies renouvelables, les matériaux à utiliser, l’origine des produits…

Il y a également ce qui relève des bonnes pratiques comme le fait, pour un ABF, de se présenter en arrivant dans un nouveau département, d’aller à la rencontre des élus, de partager avec eux un projet de service, un document simple permettant à chacun de connaître les éléments qui vont déterminer la future relation de travail entre l’élu ou le citoyen et l’ABF et ses services.

Enfin, la sensibilisation des plus jeunes au patrimoine au cours de la scolarité, et ce, dès le plus jeune âge, est un enjeu majeur au même titre que la formation continue des Architectes des Bâtiments de France, particulièrement sur la manière de travailler avec les maires.

La pierre angulaire de ce texte demeure l’avis conforme et la façon dont on le fait vivre. Le texte propose d’appliquer cet avis conforme dans un périmètre réduit de manière beaucoup plus souple, de pouvoir suivre l’évolution des avis des Architectes des Bâtiments de France dans un registre national accessible à tous et en ligne, de créer une commission départementale permettant de revoir et de discuter des avis qui ont pu être rendus et qui sont problématiques. Toutes ces mesures doivent contribuer à un dialogue apaisé entre les citoyens, les élus locaux et les Architectes des Bâtiments de France dans le respect de la préservation du patrimoine tout en restant pragmatique et réaliste vis à vis des français qui entreprennent des travaux, qui construisent et qui in fine font vivre nos villes et nos villages. 


*Auteur de la proposition de loi relative à l’exercice des missions des architectes des Bâtiments de France adoptée à l’unanimité par le Sénat en première lecture le 19 mars 2025.

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