“C’est une heure de vérité décisive (…), la France joue sa crédibilité”. Le temps d’une conférence sur les finances publiques, le professeur de français s’est mué en professeur d’économie. Face à un parterre de ministres, parlementaires, d’élus locaux et d’organismes de la Sécurité sociale, François Bayrou a choisi la pédagogie pour décrire la situation économique plus qu’inquiétante du pays. Situation que tout le monde connaît mais qui méritait sans aucun doute une piqure de rappel.
« La vérité permet d’agir », le slogan projeté derrière le pupitre du premier ministre a le mérite de la clarté. Une vérité dure à entendre mais que François Bayrou va décliner quarante-cinq minutes durant en appuyant ses propos de nombreux slides alarmistes. Pourcentages, graphiques, courbes vont se succéder avec un unique constat : « Nous n’avons pas assez de ressources, parce que notre pays ne produit pas assez » et « ne travaille pas assez » lache le premier ministre de son ton monocorde propre à lui. Il rappelle que le taux d’emploi des jeunes et des seniors est plus faible en France que chez nos voisins européens, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Quant à la dette qui est de 3305,3 milliards d’euros cette année, soit 113 % de la richesse nationale, elle est « un piège dangereux, potentiellement irréversible » pour la « survie de notre pays ». « Nous devons emprunter tous les ans 300 milliards d’euros, si les taux d’intérêt explosent, nous allons être étouffés » s’inquiète François Bayrou qui évoque une charge de la dette proche des 100 milliards d’ici 2029. Pour le maire de Pau, c’est là une « fatalité inacceptable ». « Seule la confrontation les yeux ouverts avec la vérité peut soutenir une action déterminée » a-t-il fini par dire.
Pour atteindre les 4,6 % de déficit l’an prochain, l’objectif affiché et déclamé par les ministres, mais pas par le premier d’entre eux lors de cette conférence, est celui de 40 à 50 milliards d’euros d’économie. Un horizon difficile à atteindre sans augmenter les impôts et sans s’endetter plus, des « solutions de facilité ». « Notre dette pèse de plus en plus lourd dans le budget, ce qui fait que notre marge de manœuvre, notre capacité d’action, ne cesse de se réduire » pointe François Bayrou. Il faut aussi veiller à préserver notre modèle social et éviter de faire porter l’effort aux collectivités locales (qui n’y croient pas). Une équation qui devra également tenir compte de l’effort de défense qui doit être porté à 50,4 milliards d’euros en 2025, 3 milliards d’euros supplémentaires en 2026. Pour François Bayrou, cela passera par une « refondation de l’action publique » et une baisse de la dépense publique de 6 %. « Nous sommes le pays qui dépense le plus d’argent public au monde » insiste-t-il, avec des résultats qui ne sont pas à la hauteur des attentes. « Beaucoup de pays plus développés que nous, du point de vue de l’épanouissement de leurs citoyens, ont fortement réduit leurs dépenses publiques lorsqu’ils étaient menacés de déséquilibres » détaille le premier ministre, citant en exemple le Canada et les Pays-Bas. « Les habitants de ces pays sont précisément ceux qui se déclarent les plus heureux dans les comparaisons internationales. Alors que 64 % des Français, dans un sondage récent, s’affirment pessimistes pour leur propre avenir, et encore davantage pour l’avenir économique du pays ». « Dépenses publiques maximales, moral minimal. L’excès de dépenses publiques ne fait pas le bonheur des peuples » avertit François Bayrou.
Le temps de l’action serait-il enfin venu ? Pas tout à fait. François Bayrou s’est donné trois mois, jusqu’au 14 juillet pour « rassembler toutes les contributions, toutes les suggestions » afin de tenter de remettre nos finances publiques sur la bonne voie et présenter un budget acceptable qui sera soumis au parlement à l’automne.
Pour le gouvernement la tenue du budget 2025 et la préparation du budget 2026 doivent être organisées autour de quatre principes : « les dépenses de fonctionnement ne doivent pas progresser plus vite que la croissance économique, l’État doit planifier et agir efficacement, plutôt que d’être un État guichet, l’intérêt général doit l’emporter sur les intérêts particuliers, mettre fin aux dépenses injustifiées et que nous ne pouvons plus nous permettre dans une période de finances publiques très contraintes » a précisé Amélie de Montchalin, la ministre des comptes publics.
Mais fidèle à la méthode Bayrou, l’exécutif a alors émis plusieurs idées sans les formuler totalement. Il est dit que les collectivités locales participeraient à l’effort à hauteur de 8 milliards d’euros. « Depuis 5 ans, les collectivités ont beaucoup écopé. Je ne pense pas qu’elles aient mené la grande vie et qu’elles aient été dispendieuses. J’en ai assez qu’on se défausse les uns sur les autres » a vertement réagi Jean-François Husson, rapporteur général LR de la commission des finances du Sénat. « Si on commence à faire des croche-pieds ou à s’envoyer des uppercuts, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure manière de faire » poursuit le sénateur qui a tenu à rappeler que dans la dégradation des comptes, « 75 % relève de la responsabilité de l’Etat. Ce sont ses propres comptes qui pèsent dans la dérive ». Les agences d’Etat et autres opérateurs sont aussi dans le viseur du gouvernement. Mais les économies ne seraient de l’ordre que de « quelques unités de millions ». « Il ne faut pas dire que supprimer les agences de l’Etat va résoudre notre problème de déficit public » a reconnu la sénatrice Christine Lavarde, rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur le sujet. Les retraités ne seront pas oubliés par l’exécutif qui espère bien les mettre à contribution en revenant sur l’idée de suppression de l’abattement fiscal ou de désindexation des pensions de retraite sur l’inflation.
Lutte contre les fraudes, baisse de certains produits de santé et chasse à « la très grande dérive » des arrêts maladie sont parmi les pistes d’économie émises.
Enfin, le gouvernement n’a pas exclu la possibilité de modifier le crédit d’impôt des particuliers pour l’emploi d’une personne pour faire le ménage ou une garde d’enfants. Cela fait « partie des idées qui sont sur la table » a reconnu le ministre Éric Lombard. Des pistes parmi d’autres qui ne conviennent à presque personne. ■