Dans un récent rapport, la Cour des comptes juge sévèrement le surcoût du chantier de l’EPR de Flamanville qu’elle chiffre à 23,7 milliards d’euros. En 2007 lors du lancement du projet le coût avait été chiffré à 3,3 milliards. En 2020, on parlait déjà d’une facture à 19,1 milliards d’euros. Un surcoût que l’inflation seule ne peut expliquer, pointent les magistrats. En juillet 2020, la Cour avait présenté un premier rapport sur la filière EPR qui alertait déjà « sur la fragilité de certaines entreprises de la filière, dans un contexte de dérapage des coûts et des délais, sur la multiplication du contentieux, et sur la rentabilité prévisionnelle de l’EPR de Flamanville ». Le rapport « formulait des constats critiques, voire alarmants, sur l’état de la filière. Il soulignait l’échec opérationnel patent de la construction de l’EPR de Flamanville, dont les coûts et délais avaient été particulièrement sous-estimés. Il critiquait le défaut d’organisation du suivi du projet par EDF, le manque de vigilance des autorités de tutelle et leur retard à prendre en compte la perte de compétences techniques et de culture qualité de la filière industrielle nucléaire » a rappelé début janvier Pierre Moscovici. Neuf recommandations avaient été alors présentées en vue de préparer les décisions à prendre. Quatre ans plus tard, les constatations de la Cour sont quasi les mêmes. « Même si la filière nucléaire française a commencé à s’organiser pour mettre en œuvre la stratégie énoncée en 2022 (stratégie énergétique énoncée à Belfort en février 2022 par le Président de la République avec une inflexion forte en faveur du nucléaire, Ndlr), elle est loin d’être prête et doit encore surmonter de nombreux défis dont certains sont préoccupants » regrettent les magistrats.
Dans un des chapitres du rapport, l’actualisation des calendriers et des budgets des programmes de construction des réacteurs EPR, à l’étranger comme en France, « confirme des retards et des surcoûts importants, qui sont préjudiciables au programme EPR 2 ». « Les calendriers et les coûts dérivent » confirme Pierre Moscovici dans sa présentation. Et alors que dans son précédent rapport, la Cour recommandait à EDF de « calculer la rentabilité prévisionnelle du réacteur de Flamanville 3 et de l’EPR 2 et d’en assurer le suivi », cette recommandation n’a pas été mise en œuvre par EDF. Sans éléments d’information, la Cour a alors pris sa propre calculette pour finir avec « une rentabilité prévisionnelle médiocre » pour l’EPR de Flamanville 3 : inférieure à 2 %, dans l’hypothèse d’un prix de vente inférieur à 90 e le Mwh.
Autre inquiétude, celle liée à l’évolution du coût de construction des trois premières paires d’EPR 2 qui « est d’ores et déjà préoccupant, bien que toujours en cours d’évaluation ». En février 2022, le gouvernement faisait état d’un coût de construction de 51,7 Mde2020, en scénario médian overnight (hors coût de financement), l’actualisation du chiffrage, présentée en décembre 2023, évoquait un coût de construction overnight des trois paires d’EPR 2 à 67,4 Mde2020 (équivalant à 79,9 Mde2023), soit « une augmentation de 30 % du coût à conditions économiques inchangées et hors effet de l’inflation » s’alarme Pierre Moscovici. « Le programme EPR 2 est caractérisé par une conception à affermir, un devis inabouti et un financement à clarifier » finit par asséner le premier président.
Et ce n’est pas beaucoup mieux pour les programmes EPR à l’étranger avec des retours d’expériences très moyens. En Chine, l’un des deux réacteurs EPR en activité « n’a pas fonctionné de manière satisfaisante pendant 3 ans ». En Finlande, la production d’électricité de l’EPR d’Olkiluoto 3 a débuté en avril 2023, après treize années de retard sur le calendrier initial. Quant aux projets en cours de construction, « la situation est également complexe » notamment avec le chantier d’Hinkley Point C (HPC) dont la rentabilité a été revue plusieurs fois à la baisse depuis son lancement.
Le rapport finit par recommander de « retenir la décision finale d’investissement du programme EPR 2 jusqu’à la sécurisation de son financement, et l’avancement des études de conception détaillée conforme à la trajectoire visée pour le jalon du premier béton nucléaire ». Enfin, compte tenu de l’exposition financière incertaine d’EDF dans des projets internationaux, et au vu de la priorité à donner au programme EPR 2, la Cour recommande de « s’assurer que tout nouveau projet international dans le domaine du nucléaire soit générateur de gains chiffrés, et ne retarde pas le calendrier du programme EPR 2 en France ». ■