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Le déclin de la R&D publique en France contribue à la baisse de la productivité

Par Arnaud Dyèvre, Doctorant en économie à la London School of Economics

La productivité économique est le pilier fondamental de notre prospérité collective. La question de son amélioration reste primordiale : comment pouvons-nous l’augmenter efficacement ?

Cette question soulève le rôle crucial que jouent tant le secteur privé que le gouvernement dans l’essor de la productivité via le financement de la Recherche et Développement (R&D). Ce sujet est d’autant plus pertinent que nous observons une transformation significative dans la structure du financement de la R&D en France au cours des quatre dernières décennies. Autrefois dominé par le financement public dans les années 1980, le panorama a basculé vers une prédominance du financement privé, qui excède aujourd’hui celui du public de 70 % (voir ci-dessous).

Cette évolution a été au cœur de nombreuses études récentes, tant en France qu’aux Etats-Unis, dévoilant les implications de ce basculement dans le modèle de financement de la R&D. Ces recherches offrent des perspectives nuancées à un débat souvent polarisé entre les fervents défenseurs d’un Etat interventionniste et les partisans de l’innovation portée par le secteur privé. Cette polarisation n’est pas utile. Nous comprenons aujourd’hui que l’Etat et le secteur privé sont des partenaires complémentaires dans le financement de la R&D, plutôt que des opposants. Leur collaboration réussie repose sur une spécialisation efficace : à l’Etat d’investir dans la recherche fondamentale, et au secteur privé de pousser le développement commercial. En se concentrant sur leurs forces respectives et en favorisant un échange continu entre les deux sphères, le financement public de la R&D peut se transformer en un levier puissant pour stimuler la productivité. Cette tribune explore les découvertes, parfois inattendues, issues des travaux de recherche en économie les plus récents en la matière. (1)

Pourquoi la R&D publique est différente de la R&D privée ?

Deux différences majeures distinguent la recherche et développement (R&D) publique de son homologue privée. D’une part, la R&D publique tend vers la recherche fondamentale, se concentrant sur l’élucidation de phénomènes plutôt que sur le développement d’applications commerciales directes. Un exemple éloquent nous vient des Etats-Unis en 2020, où il a été observé que 33 % de la R&D publique était dédiée à des projets de nature fondamentale, comparativement à seulement 7 % dans le secteur privé. Cette recherche, bien que non immédiatement orientée vers la création de produits ou services, s’avère être une source d’innovations appliquées capitale. En effet, les retombées technologiques de la recherche fondamentale publique sont considérables : à partir d’un seul brevet issu de la recherche gouvernementale, on peut voir émerger entre un et trois brevets supplémentaires dans le secteur privé, tirant parti des découvertes initiales souvent dans des domaines variés. (2) (3)

D’autre part, les modalités de financement de la R&D publique offrent une plus grande marge de manœuvre aux chercheurs. Les contrats de recherche financés par le secteur public sont typiquement plus souples, permettant aux chercheurs de capitaliser librement sur leurs résultats, voire de fonder des start-ups basées sur leurs découvertes (4). À l’opposé, le financement privé tend à restreindre les chercheurs à des projets spécifiques, plus immédiatement rentables pour les entreprises qui les financent.

Cette autonomie conférée aux chercheurs en science fondamentale est vitale. Il est souvent difficile de prédire les impacts économiques à long terme de domaines émergents tels que l’informatique quantique, la théorie des jeux, ou la génétique des organismes monocellulaires. L’histoire nous montre toutefois que les applications découlant de ces recherches sont vastes, transcendant le cadre initial de la quête de connaissance, de l’innovation médicale salvatrice, ou de l’exploration spatiale. Ces contributions, bien au-delà de leur objectif premier, alimentent un écosystème d’innovation riche et diversifié.

Des ingrédients complémentaires

Les retombées spectaculaires et souvent inattendues de la recherche publique dans l’économie civile ne doivent cependant pas nous faire perdre de vue le rôle complémentaire que joue la R&D privée. En effet, le financement privé joue un rôle indispensable dans la transformation des découvertes fondamentales en innovations concrètes, améliorant ainsi notre quotidien. Selon une analyse récente du programme ’Laboratoires d’Excellence’, initié en France en 2010 pour stimuler la recherche académique, deux principaux vecteurs facilitent cette transformation (5). Premièrement, une série d’accords contractuels entre universités et entreprises—incluant les partenariats public-privé, la co-direction de thèses et la cession de brevets universitaires aux entreprises. Deuxièmement, la transition des chercheurs académiques vers le secteur privé, renforçant ainsi le pont entre recherche fondamentale et application industrielle. Un échange constant et constructif entre le monde académique et le secteur privé s’avère être un pilier de cette dynamique, propice à l’application pratique des découvertes scientifiques en avancées productives.

De surcroît, loin d’évincer la R&D privée, les investissements publics accroissent les investissements privés en R&D (6). Ils créent un terrain fertile d’opportunités technologiques, où les entreprises peuvent innover à leur tour. En d’autres termes, R&D privée et R&D publique sont complémentaires et non substituables. Pour nourrir ce cercle vertueux, il est essentiel d’encourager une augmentation des investissements publics dans la recherche fondamentale et de maintenir un dialogue ouvert et continu entre le secteur privé et les acteurs de la recherche publique, notamment les universités.

Un autre rôle pour le gouvernement : créer de la demande pour de nouvelles technologies

Au-delà de son rôle de financement direct de la recherche fondamentale, les gouvernements peuvent aussi jouer un rôle important quand ils génèrent de la demande pour des biens technologiques comme des avions de combat, des équipements spatiaux ou des vaccins.

La course à l’espace des années 1960 a été la cause d’un accroissement massif des dépenses publiques, aux Etats-Unis et en Russie soviétique, non seulement pour accroître l’avancement technologique de ces deux nations, mais aussi pour acheter de nouvelles pièces qui sont essentielles dans la construction de véhicules spatiaux. Les achats de la NASA faits auprès d’entreprises contractuelles pendant cette période ont été considérables et ont généré un taux de rendement dits « social » de 77 %. Ce taux de rendement prend en compte l’ensemble des retombées bénéfiques liées aux dépenses de la NASA ; par exemple, le fait que de nouvelles technologies soient développées et permettent ensuite à d’autres entreprises de créer des produits les utilisant. Ce rendement social de 77 % est à comparer à un taux de rendement (privé) aux alentours de 7 % pour la plupart des actifs à risque tels que les actions en entreprise (7). En d’autres termes, le retour sur investissement d’un dollar de dépense de la NASA dans les années 1960 a généré un retour sur investissement phénoménal pour la société.

Si l’exemple de la NASA montre que la société peut grandement bénéficier des dépenses de recherche publique, nous avons aussi de bonnes raisons de penser que les entreprises accroissent leur productivité lorsqu’elles sont grandement sollicitées par le gouvernement, comme en tant de guerre. C’est ce que révèle l’analyse fine de l’accroissement de la production d’avions pour l’US Air Force pendant la Second Guerre mondiale. Faisant face à un accroissement soudain de la demande du gouvernement Américain, les usines d’avions de combat ont soudainement amélioré leurs capacités de production. Elles ont « appris par nécessité » en améliorant leurs chaines de production, en externalisant des tâches (« outsourcing ») et en s’attaquant à l’absentéisme de leur main d’œuvre (8). Il est peu probable qu’un choc de demande privé aurait pu être de taille comparable aux commandes d’avions du gouvernement américain en temps de guerre.

En résumé, la recherche publique a toujours été une force à part dans la marche du progrès technologique. Son importance dans la recherche fondamentale, la liberté qu’elle accorde au chercheurs, sa forte complémentarité avec la recherche privée et la force avec laquelle elle est déployée dans des périodes de pandémie, de guerre et de conquête spatiale doivent nous faire prendre conscience que le déclin de la recherche publique est un enjeux fondamental pour notre futur. Plus de dépenses de recherche publique sont nécessaire ; c’est l’investissement le plus rentable qui existe pour nos sociétés. 


1. Les documents de travail et articles mentionnés dans cette tribune sont soit déjà publiés dans des revues économiques rigoureuses, soit en révision avant publication. Cela leur confère un degré de fiabilité plus élevé que des travaux n’ayant pas été revu par des pairs.

2. Myers, K. R., & Lanahan, L. (2022). Estimating spillovers from publicly funded R&D : Evidence from the US Department of Energy. American Economic Review, 112(7), 2393-2423.

3. Azoulay, P., Graff Zivin, J. S., Li, D., & Sampat, B. N. (2019). Public R&D investments and private-sector patenting : evidence from NIH funding rules. The Review of economic studies, 86(1), 117-152.

4. Babina, T., He, A. X., Howell, S. T., Perlman, E. R., & Staudt, J. (2023). Cutting the Innovation Engine : How Federal Funding Shocks Affect University Patenting, Entrepreneurship, and Publications. The Quarterly Journal of Economics, 138(2), 895-954.

5. Bergeaud, A., Guillouzouic, A., Henry, E., & Malgouyres, C. (2022). From public labs to private firms : magnitude and channels of R&D spillovers.

6. Moretti, E., Steinwender, C., & Van Reenen, J. (2023). The intellectual spoils of war ? Defense R&D, productivity, and international spillovers. Review of Economics and Statistics, 1-46.

7. Kantor, S., & Whalley, A. T. (2023). Moonshot : Public R&D and growth (No. w31471). National Bureau of Economic Research.

8. Ilzetzki, E. (2023). Learning by necessity : Government demand, capacity constraints, and productivity growth. Centre for Economic Policy Research.