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Il faut revenir d’urgence à la politique énergétique européenne d’avant l’accord de Paris

Par Samuel Furfari, Ingénieur, Professeur de géopolitique de l’énergie à l’Université libre de Bruxelles*

Lors de la conférence de Messine en juin 1955, les six ministres des Affaires étrangères des pays fondateurs de l’UE ont adopté une résolution affirmant que sans une énergie abondante et bon marché, il n’y aurait pas d’avenir pour la communauté européenne.

Cette vision a conduit à l’adoption du traité Euratom, dont l’article 1 stipule que « La Communauté a pour mission de contribuer [… ] à l’élévation du niveau de vie dans les Etats membres ». Grâce à la politique énergétique menée sans relâche par la Commission européenne jusqu’en 2016, l’énergie a été le moteur du développement économique, de la création d’emplois et de l’amélioration du niveau de vie de l’ensemble de la population européenne, ainsi que de la protection de l’environnement, car c’est paradoxalement en développant l’énergie que l’on peut vivre dans un monde propre

Ayant passé 36 ans en tant que haut fonctionnaire à la direction générale de l’énergie de la Commission européenne, je peux confirmer que l’UE a eu une politique sage, équilibrée et une vision positive de l’avenir. Illustrons cela par un exemple peu connu. Lors des crises pétrolières des années 1970, la Commission a lancé un programme de démonstration de nouvelles technologies pour l’exploration et la production de pétrole et de gaz en mer du Nord. L’énergie nucléaire, qui avait été décidée à Messine, arrivait à maturité à cette époque, a pu remplacer le pétrole bon marché largement utilisé dans les centrales électriques. On peut donc dire que c’est grâce à l’action de la Commission que nous n’avons pas succombé aux menaces de l’OPEP.

À cette époque, la Commission a également lancé des programmes pour développer les énergies alternatives (énergies renouvelables, hydrogène, carburants de synthèse). Par la suite, elle s’est employée à assurer notre sécurité d’approvisionnement, notamment en créant des réseaux européens d’électricité et de gaz.

En 2006, Angela Merkel a demandé à la Commission d’imposer la production d’énergie renouvelable et de privilégier l’injection de cette énergie dans le réseau. Dès 2010, alors que ces énergies se développent, on assiste à une augmentation du prix de l’électricité. Dans un étrange entêtement, au lieu d’analyser les conséquences de l’introduction forcée des énergies renouvelables sur le réseau, l’UE a imposé des objectifs plus restrictifs.

Pourtant, en 2014 et 2016, la Commission publiait encore des communications qui n’excluent pas les énergies non renouvelables. Elle a même préconisé le développement de technologies permettant de produire du pétrole et du gaz de schiste.

Grâce également à l’accord de Paris de 2015, l’Allemagne a réussi à imposer sa doctrine verte (EnergieWende) à l’ensemble de l’UE, au point que la Commission — pourtant gardienne des traités — a traîné les pieds sur l’énergie nucléaire. Est-ce la faute de l’Allemagne ? Oui, car c’est elle qui a lancé cette stratégie. Mais c’est aussi la responsabilité des autres Etats membres, car l’Allemagne n’est pas la seule à décider à Bruxelles-Strasbourg. Trois présidents français successifs ont accepté la politique allemande. Rien n’obligeait la France à décider de réduire sa part de nucléaire et de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim dans l’espoir de produire plus d’énergie renouvelable. C’était un choix souverain de la France, accordé par l’article 194.2 du traité de Lisbonne, et elle l’a abandonné.

Après la crise de Covid, la forte reprise de l’économie chinoise a entraîné une forte demande de gaz, de sorte que les prix mondiaux ont augmenté, ce qui a pénalisé l’UE en particulier. Ce n’est donc pas la guerre en Ukraine et la réduction de l’approvisionnement en gaz russe qui provoquent la hausse des prix de l’énergie. Il est vrai que les sanctions contre la Russie et l’explosion du gazoduc North Stream ont encore fait grimper les prix. Mais la véritable cause est le désarmement énergétique unilatéral de l’UE.

Il est évidemment utopique de penser à remplacer les énergies conventionnelles par des éoliennes et des panneaux solaires. Pourtant, ce n’est pas seulement ce que la Commission a proposé, mais elle a publié le 6 février, en pleine crise agricole, une étude d’impact de 605 pages — un catalogue de mesures contraignantes, dont un appel à se nourrir végan — visant à imposer à l’industrie et surtout aux citoyens une réduction des émissions de CO2 de 90 % d’ici 2040 par rapport à 1990.

L’UE peut se vanter d’avoir réduit ses émissions de CO2, mais force est de constater qu’une grande partie de cette réduction est due à la désindustrialisation en cours et à l’abandon de l’économie socialiste dans les pays d’Europe centrale et orientale. Quel est l’intérêt d’avoir des prix de l’énergie élevés alors que nos concurrents augmentent fortement leurs émissions de CO2 parce qu’ils ne se préoccupent pas de la décarbonisation ? Les émissions mondiales de CO2 ont augmenté de 62 % depuis 1990.

Il convient également de noter que, grâce au pétrole et au gaz de schiste dont l’exploitation est interdite dans l’UE, les Etats-Unis sont devenus le premier exportateur mondial de gaz, notamment vers la France et d’autres pays de l’UE. Nous avons sabordé notre industrie pétrolière et gazière afin d’acheter des quantités massives de gaz de schiste aux Etats-Unis.

Imaginons que les éoliennes soient davantage développées. Le facteur de charge (le pourcentage de production par rapport à ce qu’une installation est censée produire) de l’énergie éolienne dans l’UE est en moyenne de 23 %, les trois quarts du temps, l’électricité doit être produite à l’aide d’autres centrales électriques contrôlables, c’est-à-dire des centrales conventionnelles. Quel que soit le nombre d’éoliennes installées, nous devrons toujours utiliser des sources d’énergie conventionnelles les trois quarts du temps. Dans le cas de l’énergie solaire, le facteur de charge étant de 11 %, ce sera le cas 90 % du temps. C’est l’une des raisons pour lesquelles le prix de l’électricité augmente, car nous devons constamment faire fonctionner deux systèmes en parallèle, ce qui n’est pas optimal. Ce développement des énergies renouvelables a été possible dans l’UE, car nous disposions déjà d’un réseau de centrales conventionnelles. En Afrique, cependant, les énergies renouvelables ne se développeront pas parce qu’il faudrait construire en même temps un réseau conventionnel de centrales électriques.

Cette électricité verte servira-t-elle à produire l’acier qui compose le pylône qui porte la nacelle, les plastiques et le verre nécessaires à la fabrication des pales, le béton qui soutient l’ensemble ? Cette électricité prétendument propre alimentera-t-elle les bateaux chinois qui apportent les matières premières pour constituer l’intérieur de la nacelle ? Arrêtons là notre démonstration par l’absurde. Sans énergie conventionnelle, il ne peut y avoir d’énergie renouvelable.

La poursuite du développement des énergies renouvelables, qui augmente le prix de l’électricité, ne réduit pas les émissions globales de CO2 et pénalise nos agriculteurs, nos industries et nos citoyens, devrait être suspendue.

Il n’est pas nécessaire de quitter l’UE pour retrouver la situation d’avant 2016. Il suffit d’abandonner l’idéologie verte et de revenir aux fondamentaux qui nous permettent de disposer d’une énergie abondante et bon marché, comme c’est le cas dans les pays hors UE. C’est pourquoi les élections européennes du 9 juin seront cruciales pour l’avenir de l’UE.

Je comprends que ce qui précède puisse paraître iconoclaste compte tenu du dogme vert qui a prévalu dans l’UE ces dernières années, mais c’est ce que pensent, écrivent et disent de nombreux experts du monde de l’énergie. Encore faut-il leur donner la possibilité de s’exprimer. Je tiens à remercier la Revue parlementaire de m’avoir donné cette opportunité. 


* Samuel Furfari est titulaire d’un doctorat en sciences appliquées de la même université avec une thèse dans le domaine de l’énergie. Il a été haut fonctionnaire à la direction générale de l’énergie de la Commission pendant 36 ans, travaillant dans différents domaines, notamment les politiques de lutte contre le changement climatique et la promotion des énergies renouvelables. Il enseigne la géopolitique de l’énergie dans diverses universités depuis 21 ans. Il n’est lié à aucun groupe industriel ou ONG et ne travaille pas en tant que consultant. Cela lui a permis d’écrire 18 livres, dont le dernier vient de paraître aux éditions l’artilleur, « énergies, mensonge d’Etat. La destruction organisée de la compétitivité de l’UE ». En 450 pages, il démontre ce qu’il a résumé dans cet article.