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Attirer les talents et transformer la recherche en innovation

Entretien avec François Grosdidier, Vice-Président du Conseil régional, en charge de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (ESRI)

Pouvez-vous nous présenter la stratégie régionale ESRI 2020-2030 ?

En adoptant sa stratégie régionale ESRI 2020-2030 en juillet 2020, la Région se fixe une nouvelle ambition en enseignement supérieur, recherche et innovation pour contribuer à la transformation de son économie et de son territoire qui doit se traduire à horizon 2030 par :

• Une DIRDE régionale de 1,5 % du PIB (contre 0,73 % en 2017)

• 60 % des 30-34 ans diplômés de l’enseignement supérieur (contre 40,2 % en 2016)

• 250 000 étudiants dans les établissements Grand Est (contre 210 000 en 2019)

• 90 % de taux de poursuite dans l’enseignement supérieur après le bac.

Cette stratégie s’appuie sur 2 enjeux « attirer les talents » et « transformer la recherche en innovation » et s’articule autour de 3 ambitions : Faciliter la réussite étudiante : encourager l’inclusivité, le bien-être et l’ouverture à tous les étudiants ; créer un espace stimulant au développement de nos talents et renforcer l’impact territorial de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation

En termes de moyens, la Région mobilisera 1.4 Mde en 10 ans de fonds publics (régionaux, nationaux et européens). En alliant les ressources académiques et industrielles, jusque 2.4 Mde pourront être mobilisés pour atteindre les ambitions fixées dans cette stratégie.

Comme l’ensemble des autres schémas régionaux, la SRESRI fait l’objet d’une actualisation qui vise à garantir la cohérence avec les différentes feuilles de route régionales. Quatre pistes d’actualisation se dégagent : Une politique de territorialisation de l’Enseignement supérieur ; un Plan Vie de Campus en concertation avec l’Etat ; une accélération des transformations par le transfert de technologie et des compétences et un renforcement des actions en faveur de l’attractivité des compétences de pointe.

Quelles sont les forces et faiblesses du territoire ?

Au niveau des forces, le territoire peut s’appuyer sur :

Une offre de formation en enseignement supérieur pluridisciplinaire et diversifiée avec cinq universités, 32 écoles d’ingénieurs, une vingtaine d’écoles de commerce et écoles d’art et 5 écoles administratives et juridiques. La Région compte également

Une attractivité des universités : plus de 71 % des effectifs étudiants y sont inscrits (plus fort de l’hexagone) où les étudiants étrangers représentent 13 % des inscrits contre 11 % en France métropolitaine (2ème rang derrière l’Île-de-France),

Le système de formation en apprentissage dans le supérieur est parmi l’un des plus dynamiques de France métropolitaine (8,2 % de la population nationale – 3ème rang).

La diversité des thématiques de recherche et de formation témoigne d’une puissante dynamique partenariale fédérée autour du PIA et notamment des deux initiatives d’excellence Idex Unistra et I-Site LUE. Le nombre important de projets labellisés confortent les secteurs et pôles d’excellence dans les domaines de l’industrie et l’éco-industrie, la chimie, les matériaux, les technologies de santé, l’agroalimentaire et l’agro-industrie, les technologies et services de l’information et de la communication (dont neuf campus des métiers et des qualifications)

Enfin, n’oublions pas de souligner que le territoire compte cinq prix Nobel dont quatre en Chimie et un en Médecine.

Pour autant, nous avons aussi pu identifier certaines fragilités comme la faible part de diplômés de l’enseignement supérieur parmi les 30-34 ans (40,2 % en 2016 face à 45,5 % pour la France métropolitaine) et des dynamiques démographiques peu favorables (la population jeune du Grand Est a baissé de 9 % en volume entre 2006 et 2020, alors que celle de la France a baissé de 1 %) impacté par la position géographique du territoire en connexion avec quatre frontières dont les pays pratiquent des salaires plus attractifs. Il faut également tenir compte de la faible dynamique des emplois salariés des cadres et des professions intellectuelles supérieures et intermédiaires et des disparités territoriales.

Quelles sont les thématiques d’excellence régionales ?

L’écosystème de la recherche du territoire adresse un large panel de thématiques d’excellences telles que la chimie, les matériaux (avec les nanosciences et les nanotechnologies, la métallurgie, les sciences et génie des matériaux…), la santé, la pharmacie, les technologies de santé … attestées, notamment, par plusieurs prix Nobel (quatre en Chimie et un en Médecine) et des labels d’excellence du PIA tels que : le projet EXEBIO « excellence en bioéconomie durable » de l’URCA, le projet Mat-Light 4.0 de l’UHA dans le domaine de la photopolymérisation, l’IHU de Strasbourg - Institut de chirurgie guidée par l’image dédié au traitement des pathologies de l’appareil digestif ou encore le projet d’IHU de Nancy sur les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin déposé à l’appel à projets 2022 dans le cadre de France 2030 et actuellement en phase finale du processus de sélection.

La Région a choisi de mettre l’accent sur la Bioéconomie. De quoi s’agit-il ?

La bioéconomie englobe l’ensemble des activités de production et de transformation de la biomasse qu’elle soit forestière, agricole et aquacole à des fins de production alimentaire, d’alimentation animale, de matériaux biosourcés, d’énergie. Elle représente des opportunités pour nos exploitations agricoles et forestières, elle permet d’augmenter la compétitivité de nos industries tout en apportant des solutions durables aux défis environnementaux et sociétaux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.

La Région Grand Est a voté en octobre 2019 sa stratégie Bioéconomie et ambitionne de devenir le territoire de référence de transformation de la biomasse. Elle vise à mobiliser, avec le pôle de la bioéconomie français de référence en Europe et à l’international, Bioeconomy For Change, les acteurs régionaux, pour accélérer la transformation de l’économie et des territoires.

En synergie avec l’ensemble des politiques régionales, cette stratégie est une véritable solution pour concilier les objectifs de développement économique de notre région à notre ambition écologique et agricole. Cette Stratégie contribue également à lutter contre le changement climatique et vise à répondre aux besoins des citoyens en permettant la création d’emplois non délocalisables.

En quoi cette stratégie régionale pour la bioéconomie est-elle un atout de développement pour l’agriculture et l’industrie ?

La bioéconomie est d’abord un moyen de valoriser les atouts agricoles du territoire. La surface agricole utile représente plus de 50 % du territoire et offre des filières d’excellence diversifiées comme le colza, l’orge, les protéagineux et oléagineux, le blé, les betteraves ou encore la vigne. La Région Grand Est est la première région céréalière de France (1) avec 15 % des surfaces nationales et la première Région productrice de colza avec 21 % des surfaces nationales. Les surfaces du Grand Est représentent un quart de la production française de betteraves sucrières (2). La Région compte enfin des filières viticoles d’excellence en Champagne et en Alsace notamment. La bioéconomie, en permettant la transformation de cette biomasse locale et renouvelable sur le territoire, est vecteur de débouchés pour l’agriculture et de développement économique pour les outils industriels.

Les bioraffineries, des unités industrielles locales de transformation de la biomasse. Le Grand Est a hérité d’un tissu industriel développé et la bioéconomie est source d’opportunités pour remobiliser cet écosystème. Les bioraffineries sont des plateformes qui permettent à plusieurs acteurs en synergie de transformer des matières premières et des coproduits de l’agriculture. Les produits issus de ces bioraffineries sont à haute valeur ajoutée, à destination de secteurs divers comme la chimie du végétal pour des applications cosmétiques ou pharmaceutiques, les biomatériaux de construction et pour le textile ou encore les bioénergies.

La plateforme de Pomacle-Bazancourt (51) fonctionne selon un tel modèle autour des coopératives Cristal Union et Vivescia, et d’autres plateformes autour de la bioéconomie se développent sur le territoire : on peut citer Golbey dans les Vosges, la plateforme Chemesis à Saint-Avold sur la chimie du végétal, ou Troyes autour du chanvre.

En 2020, la Région Grand Est s’est fixée comme objectif d’accompagner 50 projets industriels de Bioéconomie d’ici 2025. Début 2023, 61 projets ont d’ores et déjà été soutenus, avec 10 millions d’euros engagés par la Région pour un budget total d’environ 650 Me. Ces projets correspondent à une implantation, une relocalisation ou une réindustrialisation (augmentation de la capacité de production, modernisation, etc.), avec un budget global au minimum de 500 000 euros et un porteur de projet industriel implanté en Grand Est.

Quelle sont les suites de cette stratégie bioéconomie ?

En 3 ans, cette Stratégie Bioéconomie a su embarquer dans son sillage plus de 300 acteurs du Grand Est pour transformer notre territoire, en faisant de la Bioéconomie un levier de la transition économique, agricole, environnementale et sociétale de notre territoire.

Fort de ces résultats probants, les élus ont souhaité accélérer le développement de la bioéconomie en rapprochant les secteurs de l’agriculture, la viticulture, la forêt et la bioéconomie au service d’une ambition commune et un spectre élargi allant des productions agricole, viticole et sylvicole, aux valorisations qu’elles soient à destination de l’alimentation humaine et animale, de la chimie et des matériaux biosourcés ou encore des bioénergies.

Un travail commun entre la Région Grand Est et la Chambre Régionale d’Agriculture du Grand Est est en cours pour faire émerger une nouvelle stratégie Economie du Vivant à l’horizon 2030 (Ambition 2030) qui se voudra encore plus ambitieuse, circulaire, durable et acceptable que la stratégie précédente. La durabilité se traduira en positionnant les enjeux environnementaux et sociétaux au cœur des réflexions. La volonté sera de valoriser au mieux les productions en respectant une hiérarchie des usages et en garantissant le développement en circuit court. Enfin, l’acceptabilité par les citoyens fera l’objet d’un travail approfondi en les impliquant plus concrètement dans les développements de leur territoire autour de 4 enjeux majeurs (Sécurité alimentaire ; Santé des sols, air, eau ; Source de bioproduits et Souveraineté énergétique).

Nous sommes en phase de consolidation des objectifs en co-construction avec la Chambre Régionale d’Agriculture du Grand Est et l’ensemble de la profession agricole et en partenariat avec l’interprofession FiBois et le pôle B4C.

Quel atout présente le caractère transfrontalier pour l’ESRI en Grand Est ?

L’importance des relations transfrontalières se montre sur un niveau stratégique par la prise en compte du fait « transfrontalier » dans les stratégies ESRI comme élément d’attractivité et pour la transformation de la recherche. Le caractère transfrontalier est d’une importance capitale afin d’attirer des talents par exemple par des groupements universitaires comme EUCPOR – le campus européen dans le Rhin Supérieur ou l’Université de la Grande Région (UniGR). Pour la valorisation, la mise en relation à 360° des offreurs de technologies et de compétences - les laboratoires recherche et les établissements d’enseignement supérieur - avec les demandeurs - entreprises mais aussi collectivités ou la société civile est un enjeu majeur. Le soutien de la coopération transfrontalière doit diminuer voire faire disparaître les effets de rupture de la frontière (linguistique, institutionnel, culturel…) pour les parties prenantes.

Dans cette perspective, les orientations stratégiques transfrontalières régionales soulignent que l’action transfrontalière nécessite d’être pensée, dans une recherche constante de cohérence, d’économies d’échelle. La stratégie régionale doit dès lors répondre aux enjeux de co-développement du Grand Est avec ses quatre pays frontaliers. La Région vise à faciliter l’émergence accrue de projets développés à l’échelle de plusieurs pays frontaliers lorsque cela est possible considérant que ce nouvel ensemble représente plus que jamais « un Espace Européen de développement ». Ceci d’autant plus que ses priorités politiques stratégiques font écho aux politiques des partenaires régionaux par exemple pour le développement de la filière hydrogène, la transformation du secteur automobile ou l’application de l’IA sur la santé. La RGE s’engage donc avec ses partenaires régionaux à travers des projets interrégionaux globaux mais aussi plus spécifiquement dans le cadre des trois espaces de coopération transfrontalière dont elle fait partie : le Rhin supérieur, la Grande Région et France Wallonie Flandres. Cette coopération interrégionale s’inscrit également dans une politique ouverte sur l’Europe (programmes européens ESRI : Horizon Europe, Erasmus+, Green Deal…), offrant des opportunités de coopération et d’interconnexion en Europe.

Le plan Intelligence artificielle fait-il du Grand-Est une région leader sur l’innovation ?

Le plan régional d’intelligence artificielle lancé en 2019 s’inscrit dans un contexte où la Région Grand Est avait perdu l’appel à projet national pour la création d’Instituts Interdisciplinaires en Intelligence Artificielle (3IA) par manque notamment d’initiatives collectives. Le Plan visait donc à mieux structurer l’écosystème IA régional pour améliorer l’adoption de l’IA par les différentes catégories d’acteurs et la disponibilité de compétences comme d’offreurs de solutions sur le territoire régional.

La mise en œuvre du plan a été profondément impactée par la crise liée au Covid et ses conséquences depuis lors : le développement de projets liés à l’intelligence artificielle n’est plus apparu comme une priorité au regard des difficultés économiques pour nombre d’entreprises.

Pour autant, le plan a rempli des objectifs en matière de recherche avec la multiplication de thèses en IA ou le développement de chaires industrielles. L’accompagnement des startups pour intégrer l’IA dans leur offre rencontre également un succès croissant en Grand Est.

En matière d’IA, la Région Grand Est a donc amélioré son potentiel d’innovation et travaille encore à traduire ce potentiel auprès des entreprises notamment, avec le lancement en mai 2022 d’un diagnostic Data / IA pour permettre aux entreprises régionales d’’évaluer leur maturité sur le sujet mais aussi d’élaborer avec des experts une feuille de route pour intégrer des solutions d’IA dans leur fonctionnement.

Il n’existe pas à ce stade d’indicateur national permettant de comparer le niveau de maturité des Régions en matière d’IA. Il faut cependant noter que les territoires ayant obtenu des instituts 3IA ont bénéficié de financements nationaux dont le Grand Est n’a pu bénéficier.

Les annonces très récentes d’une évolution de la stratégie nationale d’accélération de l’intelligence artificielle devrait permettre au Grand Est de mieux valoriser au niveau national les résultats de son engagement.

Enfin, il faut relativiser le poids de l’intelligence artificielle dans l’innovation en général : le BAGE #2 a fait de l’intelligence artificielle un des 7 axes de la transformation numérique et cette dernière ne constitue qu’un des trois leviers de transformation de l’économie régionale. 

1. https://draaf.grand-est.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/memento2021_cle44cccf.pdf

2. Memento de la statistique agricole.

Comment l’Eurométropole de Metz participe-t-elle à cette stratégie d’innovation régionale ?
La population étudiante est une composante importante du territoire, car elle impacte fortement son fonctionnement et son organisation, en termes de logements, de mobilité et de vie urbaine. C’est pourquoi l’Eurométropole de Metz a adopté une Stratégie Métropolitaine de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche, de l’Innovation (ESRI) et de la Vie Etudiante 2022-2026.
La Métropole est fortement mobilisée dans cette stratégie d’innovation régionale du fait de la densité des acteurs et structures intervenant dans l’innovation.
A Metz, nous recensons :
• 570 enseignants chercheurs
• 4 écoles d’ingénieurs : CentraleSupelec, Arts et métiers, ESITC, ENIM + 1 école en création dans la logistique
• 1 Campus des Métiers et de l’excellence dans l’intelligence artificielle
• 4 établissements dans le Top 200 du classement de Shanghai
• 2 pôles de compétitivité + 3 centres de transfert
• 2 incubateurs labellisés d’excellence
Avec l’agence d’attractivité Inspire Metz, ces acteurs travaillent ensemble. La recherche et le secteur économique ne sont pas 2 entités étanches. La recherche doit élaborer des solutions ou des produits innovants qui doivent se traduire dans le monde économique. Cela permet de concrétiser les innovations, de renforcer l’économie et de créer de nouveaux emplois.
Dans l’Eurométropole de Metz, nous avons enclenché une dynamique qui mobilise tous les acteurs de l’innovation : les chercheurs, les entreprises et les consommateurs.
Il s’agit d’un écosystème qui tire notre territoire vers le haut, vers l’avenir.

Quelques exemples d’implantations industrielles liées à la bioéconomie en Grand Est :
Basée sur la plateforme Chemesis à Carling Saint Avold, l’unité de production de CIRCA entrera en service à la fin de 2023, créant 40 à 50 nouveaux emplois directs pour produire des solvants biosourcés,
Agronutris, spécialiste de l’élevage d’insectes, suite à une levée de fonds de 100 millions d’euros a inauguré sa première usine de production industrielle d’insectes à Rethel dans les Ardennes en juillet 2022.

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