Print this page

Strasbourg l’européenne : héritage historique, exigence démocratique

Par Fabienne Keller, Députée européenne et Questeure du Parlement européen

Le 10 août 1949, quatre ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le Conseil de l’Europe tenait sa séance inaugurale dans l’aula du Palais Universitaire de Strasbourg.

Le choix de Strasbourg, ville rhénane qui changea cinq fois de nationalité en 75 ans, apparaissait alors comme une évidence. Strasbourg, ville frontière, déchirée et meurtrie, pour incarner la réconciliation entre les peuples et la construction européenne.

C’est donc naturellement que le Parlement européen, lors de ses débuts en 1952, puis en 1957 et en 1962 choisit d’implanter son siège à Strasbourg. Déjà, la recherche d’un équilibre géographique entre les pays fondateurs conduit à intégrer le principe du polycentrisme dans le projet européen. Luxembourg est ainsi choisie pour accueillir le Secrétariat du Parlement et l’essentiel des fonctionnaires de l’institution. Progressivement, avec l’accroissement des pouvoirs de la Commission européenne basée à Bruxelles, le Parlement organise aussi une partie de ses travaux parlementaires dans la capitale belge. Cette organisation structure polycentrique sur trois sites est entérinée en 1992 par le traité de Maastricht.

Au cours des dernières années et au fur et à mesure des traités successifs, le Parlement européen a accru ses pouvoirs et son poids dans les décisions de l’Union européenne. Avec l’introduction de la procédure de codécision en 1992, le Parlement a désormais un pouvoir égal à celui du Conseil européen (chefs d’Etats) dans le processus législatif. Cette évolution rend d’autant plus importante la nécessité pour le Parlement de renforcer son indépendance politique en affirmant son indépendance géographique.

Quand il se réunit en séance plénière à Strasbourg, le Parlement européen - organe législatif - est en son siège, loin du pouvoir exécutif et des lobbys qui sont nombreux à Bruxelles.

En siégeant à Strasbourg, le Parlement européen porte la voix des citoyens de manière forte, solennelle et indépendante.

En siégeant à Strasbourg, le Parlement européen se distingue de la « technocratie » bruxelloise pour incarner les 27 peuples européens dans leur diversité.

En siégeant à Strasbourg, le Parlement européen rappelle l’héritage historique qui a conduit au projet européen.

Aujourd’hui, à l’heure où les conflits sont aux portes de l’Europe, où le projet européen est parfois remis en cause et où le monde se polarise, j’aime rappeler le sens de l’Europe de Strasbourg, celui donné par les Pères fondateurs au lendemain de la guerre : préserver la paix autour de valeurs communes. Ces valeurs communes, socle de notre coopération à 27 respectent les particularités et la diversité des pays qui composent l’Union européenne.

C’est l’essence et la nature même du projet européen d’ancrer ses institutions dans différentes villes et différents États membres pour respecter cette diversité : Parlement à Strasbourg, Commission et Conseil à Bruxelles, Cour de Justice à Luxembourg, Banque centrale à Francfort, etc. Concentrer toutes ces institutions en une seule et même ville, ferait perdre au projet européen ce qui fait sa singularité et sa force.

L’Europe c’est 27 pays, 27 capitales, 398 villes de plus de 100 000 habitants et près de 89 000 communes, une grande diversité de territoires et d’histoires, de Nicosie à Barcelone, de Stockholm à Grande Canarie.

Là est, à mon sens, l’importance du siège du Parlement européen à Strasbourg. 

132 K2_VIEWS