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L’Europe à Strasbourg : Que d’efforts !

Dans un contexte de contestation régulière de Strasbourg comme siège du Parlement européen, la France a choisi de faciliter la location par l’institution européenne de l’immeuble Osmose proche du Parlement.

“La France ne lâchera jamais Strasbourg”. Le message est clair même s’il est difficilement entendu à Bruxelles et par un grand nombre d’eurodéputés fatigués de devoir se rendre une fois par mois dans la capitale alsacienne.

Symbole de la réconciliation franco-allemande, Strasbourg a été choisie dès 1949 pour accueillir le Conseil de l’Europe puis la Cour européenne des Droits de l’Homme et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. En parallèle, les autres institutions européennes se sont progressivement implantées à Bruxelles et à Luxembourg. A l’occasion du Conseil européen d’Edinbourg des 11 et 12 décembre 1992, deux principes ont été actés : Strasbourg est le siège du Parlement européen et douze périodes de sessions mensuelles doivent s’y tenir ; le fonctionnement du Parlement européen est multi-sites, « conformément au principe d’une Europe décentralisée ». Dans un rapport parlementaire de 2019, Thierry Michels et Eric Straumann, alors députés, insistaient sur le fait que ce choix était le fruit d’un compromis entre Etats et que « remettre en cause l’implantation de l’une des institutions de l’UE ne pourrait se faire sans remettre en cause la distribution géographique de l’ensemble d’entre-elles ». « Plus encore ce serait l’idéal d’une Europe décentralisée et polycentrique qui serait remis en cause » assénaient-ils comme une évidence. A la même époque, la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen expliquait au Figaro qu’elle ne plaiderait « jamais en faveur de l’abandon du Parlement de Strasbourg ». « C’est l’un des symboles de la réconciliation franco-allemande, qui se trouve au cœur de l’UE. C’est le fruit d’une longue histoire. Parfois, il faut investir dans des symboles » jugeait-elle alors. Une évidence qui pourrait sembler entendue mais pour laquelle il faut sans cesse se battre.

Depuis longtemps, si ce n’est toujours, Strasbourg est contesté. Nombreux sont ceux qui voient dans ce double siège « une perte d’énergie et d’argent ». En 2014, une étude de la Cour des comptes européenne chiffrait à quelques 114 millions d’euros le coût du déplacement de la « caravane » des eurodéputés, assistants parlementaires, fonctionnaires, journalistes et autres services – soit pas moins de 5000 personnes – entre Strasbourg et Bruxelles, une fois par mois. Des calculs jamais réévalués et qui ne tenaient pas vraiment compte des déplacements du président de la Commission européenne et de ses collaborateurs, sans oublier ceux du Conseil européen. Le coût est sans doute largement supérieur. Une résolution du Parlement européen adoptée en 2013 estimait le surcoût généré par le fonctionnement multi-sites entre 156 et 204 millions d’euros, « soit environ 10 % du budget annuel du Parlement », auquel il ne faut pas oublier d’ajouter un coût environnemental lié aux émissions de CO2 produites par les déplacements.

Au rang des autres critiques récurrentes, les députés européens trouvent notamment Strasbourg moins bien desservi en transports que Bruxelles. Régulièrement aussi, les eurodéputés pointent leurs conditions de travail « difficiles » dans des enceintes trop petites à leur goût notamment au regard du siège de Bruxelles avec les bâtiment Paul-Henri-Spaak et Altiero Spinelli et leurs 665 000 m2 de bureaux et salles de réunion. Pour loger tout le monde décemment, le Parlement européen s’est ainsi vu contraint de louer au Conseil de l’Europe 1000 m2 supplémentaires pour 67 000 euros par an.

Et la donne va encore changer avec les prochaines élections européennes en 2024. A la suite des rééquilibrages démographiques entre les délégations des pays, le nombre de députés européens passera de 705 à 716 (11 de plus). Une hausse qui demandera encore un peu plus de surface… Or, justement, à deux pas du siège strasbourgeois du parlement européen, on trouve le bâtiment Osmose. L’immeuble neuf et inoccupé a été achevé en 2021 ; il offre une surface de 15 000 m2. Après une lutte de chaque instant et l’implication personnelle du chef de l’Etat, la première ministre Elisabeth Borne avait alors proposé que le gouvernement achète le bâtiment et le reloue au parlement européen. Mais cela ne s’est pas fait sans un énorme effort financier consenti par le gouvernement français qui a fait une ristourne importante sur le loyer. Les signataires au bail (bail emphytéotique avec option d’achat) se sont mis d’accord sur un loyer annuel de 700 000 euros seulement (au prix du marché, le loyer aurait pu être autour de 3,4 millions d’euros). C’est à ce prix que la France assure la présence du parlement européen à Strasbourg un moment encore. « Je me réjouis de la décision du Parlement européen de développer sa présence à Strasbourg avec le bâtiment Osmose » a tweeté mi-juillet, la Première ministre après le vote de la commission du Budget du Parlement européen, estimant que ce projet « améliore les conditions de travail » des eurodéputés.

On peut toutefois s’étonner de l’énergie déployée et du temps passé à imposer Strasbourg comme siège du parlement européen. Non seulement, la France est contributrice nette au budget de l’UE mais Brux4elles n’a pas non plus été oubliée dans l’affaire. Dans la capitale belge, le siège du parlement européen va faire l’objet d’une vaste rénovation pour un coût estimé à 400 millions d’euros. N’oublions pas Luxembourg qui accueille sur son sol les services du secrétariat général (2 291 personnes) du PE qui s’est installé dans un nouvel immeuble, le Konrad-Adenauer 2 qui a coûté entre 350 à 400 millions. Comme quoi ! Dommage que cela soit aussi difficile de se conformer efficacement aux principes d’un traité historique. 

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