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De l’utilisation du 49.3 par le gouvernement, l’avis des Sages

Par Benjamin Morel, Maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon Assas et docteur en science politique à l’Ecole Normale Supérieure de Paris-Saclay

La décision n° 2023-857 DC du 14 décembre 2023 portant sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 était guettée bien au-delà du petit monde fermé des constitutionnalistes.

À la suite de la saisine par le groupe Rassemblement national du Conseil constitutionnel, il était en effet attendu que ce dernier précise les conditions d’utilisation du 49 alinéa 3. Les députés invoquaient deux motifs.

D’abord, ce ne fut pas la Première ministre qui annonça le recours à l’article en séance à l’Assemblée. Sans que ce ne soit guère étonnant, le Conseil n’a pas jugé là qu’il y avait motif d’inconstitutionnalité.

Il note que le Premier ministre peut « charger, en son absence, un ministre d’informer l’Assemblée nationale de sa décision d’engager la responsabilité du Gouvernement devant cette assemblée sur le vote d’un projet ou d’une proposition de loi. Dès lors, le ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé des relations avec le Parlement, pouvait, à la demande de cette dernière, donner lecture devant l’Assemblée nationale de la lettre par laquelle elle informait cette assemblée de sa décision d’engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote du projet de loi en lecture définitive ».

Cette réponse n’est guère étonnante et la possibilité pour le chef du gouvernement de déléguer son expression dans le cadre de l’article 49 qui prévoit la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement après délibération du Conseil des ministres était déjà bien établie.

Plus intéressante était la question posée par les députés du Rassemblement national concernant l’usage du 49 alinéa 3 à la charnière entre session ordinaire et extraordinaire.

Pour en saisir les enjeux, il faut d’abord revenir sur le mécanisme mis en place par la réforme constitutionnelle de 2008. Le gouvernement peut faire un usage illimité du 49 alinéa 3 sur les textes financiers ; autrement dit les projets de loi de Finances, projets de loi de Finances rectificatif, Projet de loi de financement de la Sécurité sociale et Projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale. Cela faisait partie des raisons qui motivèrent le gouvernement à choisir la voie périlleuse d’un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale pour faire voter la réforme des retraites au printemps 2023. Notons par ailleurs qu’un projet de loi de programmation des finances publiques, concerné par cette décision, n’est pas un texte financier. Il trace des perspectives pour l’avenir mais n’engage pas recettes et dépenses.

Hors texte financier, le gouvernement peut faire usage du 49 alinéa 3 sur un texte par session. Or c’est là que se tapit la faille du dispositif. Il existe une session ordinaire qui s’étale du premier jour ouvrable d’octobre au dernier jour ouvrable de juin. Pourtant, chacun aura noté qu’il arrive aux chambres de siéger en juillet, août et septembre. Lors de ces trois mois, il convient que le Parlement soit convoqué en session extraordinaire sur un ordre du jour déterminé. Autrement dit, il peut y avoir plusieurs sessions extraordinaires durant l’été. À la demande des députés, elle est plafonnée à 12 jours, ce qui n’est pas le cas pour celle du gouvernement. Toutefois, par analogie, on pourrait imaginer jusqu’à 12 sessions extraordinaires estivales ouvrant la voie à autant de 49 alinéa 3. C’est déjà là un outil intéressant dans les mains du gouvernement, mais il faut également noter que la date a priori retenue pour les 49 alinéa 3 n’est pas celle de leur déclenchement en séance, mais de leur délibération en Conseil des ministres. Dès lors, trois scénarios d’usage du 49 alinéa 3 peuvent être envisagés.

Le premier, le plus favorable au gouvernement, retiendrait le 49 alinéa 3 uniquement à la date où il fut délibéré en Conseil des ministres (d’après les notes du secrétaire général du gouvernement, il n’est pas besoin que le porte-parole du gouvernement en fasse mention). Cela permettrait de tenir des Conseils des ministres l’été sur des projets de loi discutés bien plus tard. On pourrait ainsi avoir des 49 alinéa 3 comptant pour une session extraordinaire alors qu’ils seraient déclenchés au mois de janvier. Sous réserve de gâcher les vacances des ministres, cela reviendrait à vider en grande partie de sa substance la limitation faite au gouvernement en 2008.

La seconde solution serait de considérer que tout 49 alinéa 3 utilisé compte pour la session où il est prononcé. Un texte peut connaître deux lectures. Dans le texte sur lequel le Conseil est saisi, le premier 49 alinéa 3 a été utilisé lors de la session extraordinaire, puis, sur le même texte en seconde lecture, en session ordinaire. Le gouvernement aurait ainsi utilisé son « joker » et pour la session ordinaire et pour la session extraordinaire. Cela restreindrait ainsi fortement les abus que pourrait en faire le gouvernement. Le souci tient dans ce que certains textes peuvent mettre longtemps à être examinés, que l’on encouragerait ainsi l’exécutif à une marche forcée, alors que les oppositions auraient intérêt à jouer la montre et l’obstruction pour pousser le gouvernement à « perdre » son 49 alinéa 3 pour la session suivante ; le laissant désarmé.

La troisième solution, intermédiaire, consisterait à comptabiliser le 49 alinéa 3 pour la session lors de laquelle il fut la première fois prononcé en séance. Lors de l’examen du texte, il serait donc ici compté pour la session extraordinaire. Si cette solution peut paraître équilibrée, elle élargit la capacité d’action du gouvernement, comme en montre la lecture stratégique qu’il en fit début septembre.

Il y a donc un vrai enjeu politique à clarifier ce point. Toutefois, sur le texte en question, il n’y a pas d’enjeu juridique en la matière. Le Conseil se prononce en effet dans le cadre de son contrôle non pas sur la constitutionnalité en soi d’une procédure, mais d’un texte. Or ici, l’usage du 49 alinéa 3 n’était pas susceptible de rendre le texte inconstitutionnel. Le premier 49 alinéa 3 fut utilisé sur une session extraordinaire lors de laquelle il n’en avait pas été fait usage. Le second l’a été lors d’une session ordinaire durant laquelle il n’en avait également pas encore été fait usage. Quoi qu’il arrive, quel que soit le scénario retenu, les deux usages du 49 alinéa 3 étaient donc constitutionnels. Taquin, la rue de Montpensier a donc répondu à la question à laquelle la procédure et l’article 61 de la Constitution l’enjoignent de répondre.

« Le Premier ministre peut recourir à la procédure prévue par le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution pour des lectures successives d’un même projet ou proposition de loi au cours de sessions différentes. Ainsi, la Première ministre pouvait engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote de ce projet de loi en nouvelle lecture lors de la session extraordinaire convoquée le 25 septembre 2023, puis en lecture définitive au cours de la session ordinaire ouverte le 2 octobre 2023 ».

En d’autres termes, il dit ce que l’on savait déjà : l’usage de l’article 49, alinéa 3, ne pose pas de problème de constitutionnalité dans ce cas. Il n’a donc pas besoin de trancher entre les trois scénarios précédemment cités pour exercer son contrôle et se garde bien de le faire. Ce faisant, il refuse de voir ce dernier être détourné à dessein pour servir de consultation juridique par les oppositions. Il envoie également un avertissement au gouvernement, lui signifiant qu’il n’est pas évident qu’il dispose encore d’une cartouche lors de la présente session ordinaire. Il se réserve ainsi la possibilité de censurer, ou pas, une loi ordinaire qui pourrait être soumise à l’article 49, alinéa 3, d’ici au 30 juin prochain.

On peut donc s’attendre à ce qu’une saisine ait lieu si d’aventure cela devait être le cas. Le Conseil ne pourrait alors plus rester dans l’expectative et devrait donner des jalons pour comprendre les cadres de son contrôle en la matière. Il faut noter qu’un commentaire de la décision par le Conseil lui-même devrait paraître et donnera peut-être quelques indices sur ses futures intentions. Toutefois, il y a donc tout à penser que cette ambiguïté est voulue et assumée.