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Les présidents face à Dieu

De Charles de Gaulle, chrétien fervent qui installera une chapelle au Palais de l’Élysée, à François Hollande, président non marié qui affiche à l’égard de toute croyance la distance du libre penseur, se sont succédé cinq autres présidents de la République, tous très différents dans leur approche du fait religieux. Georges Pompidou, le chercheur en transcendance, Valéry Giscard d’Estaing, le catholique détaché, François Mitterrand, le socialiste mystique, Jacques Chirac, l’humaniste méfiant, Nicolas Sarkozy, l’opportuniste identitaire. Tous seront confrontés durant leurs mandats respectifs au fait spirituel. La société évolue, le monde bouge, les débats seront donc nombreux : contraception, avortement, divorce, enseignement privé, antisémitisme, voile, racines chrétiennes de la France, mariage pour tous, attentats à motivation religieuse… À l’heure où les questions de laïcité et de culte sont, plus que jamais, d’une cruelle actualité en France, Marc Tronchot livre ici le fruit d’une enquête minutieuse, riche en révélations et témoignages recueillis auprès de proches, de familles, d’amis, d’hommes et de femmes politiques sur les Présidents de la Ve, dans leur expression publique comme dans l’intimité de leur foi.

Auteur : Marc Tronchot*

 

* Journaliste, ex-directeur de la rédaction d’Europe 1. Il est aussi auteur-réalisateur de deux films consacrés aux relations entre les présidents de la Vème République et la religion.

EXTRAITS

Charles de Gaulle
De tous les présidents de la Ve République, de Gaulle est assurément le plus croyant. Sans conteste. Mais il reste également celui qui aura su faire le mieux, c’est-à-dire le plus honnêtement au sens intellectuel du terme, la séparation entre ce qui est du domaine du religieux et ce qui est du domaine de l’État. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne mélangera pas parfois les deux, mais quand il le fera, ce sera alors toujours au service de l’État, de la grandeur de la France, ou au nom de la défense de valeurs qui, loin d’être exclusivement chrétiennes, doivent d’abord, selon lui, être défendues pour des raisons de politique nationale ou étrangère. […] Homme d’État, mais en aucun cas chef religieux. Charles de Gaulle président est un homme qui met un point d’honneur à bien séparer ce qui concerne le salut de son âme et ce qui intéresse celui du pays. À telle enseigne que bien des années plus tard, certains socialistes très engagés dans la défense de la laïcité dressent volontiers de lui le portrait d’un responsable exemplaire en la matière. À l’image de Jean Glavany, ex-chef de cabinet de François Mitterrand et ancien secrétaire national du Parti socialiste chargé de la laïcité : « De Gaulle, n’hésite-t-il pas à dire, fut probablement de tous les présidents de la Ve République à la fois le plus croyant et probablement le plus laïc. Celui qui faisait bien la séparation entre sa croyance comme une affaire privée et son rôle de président comme une affaire publique. Charles de Gaulle disait d’ailleurs bien à son neveu, quand il arrivait à ce dernier de venir dire la messe au palais de l’Élysée : “Tu dis la messe à l’Élysée, mais tu ne dis pas la messe au président de la République.” Je dis cela comme socialiste et mitterrandiste, et je sais que cela peut paraître paradoxal mais j’ai toujours porté un regard très respectueux sur cette dimension- là du personnage. » Ce que le père François de Gaulle, son neveu devant qui le général s’était agenouillé pour lui demander sa bénédiction en 1950, confirme d’ailleurs sans l’ombre d’une hésitation. « À plusieurs reprises, effectivement, mon oncle me l’a dit et répété avec force : tu n’es pas l’aumônier de l’Élysée. »

François Miterrand
« François Mitterrand priait-il ? Pour ceux des responsables politiques qui l’ont accompagné régulièrement et partageaient ses options politiques, la chose semble difficile à accepter. Il se recueillait, fermait parfois les yeux pour réfléchir, ou pour méditer. Si l’on peut prier sans religion et sans Dieu, alors oui, il priait disent les uns. Il pensait spirituellement, ne récitait pas le Notre Père assurent les autres qui considèrent au passage totalement irréelle la scène du film Le Promeneur du Champ-de-Mars1, où François Mitterrand, interprété par l’acteur Michel Bouquet, semble se recueillir dans une chapelle. Marie de Hennezel, psychologue, auteur de La Mort intime, préfacée par François Mitterrand, et qui fut pendant dix ans une proche du président, voire une confidente, ne porte pas le même jugement : « François Mitterrand n’était peut-être pas un croyant mais c’était un priant. Il avait une sorte d’élan du coeur vers l’audelà, vers l’invisible, il entrait spontanément dans une église et ce n’était pas seulement pour admirer les statues ou les vitraux. Il s’intériorisait. On voyait bien qu’il était en prière. Il entrait dans ce qu’il appelait sa crypte intérieure et il priait. Mais ne demandait rien. » Comme l’écrivain et poète Rainer Maria Rilke, dont il appréciait la lecture, François Mitterrand affirmait volontiers que nous sommes encadrés d’invisible. Et que la relation avec cet invisible ne pouvait être ni scientifique, ni rationnelle, ni intellectuelle. Elle ne pouvait être qu’une relation de l’intuition ».

Jacques Chirac
« La réalité de Jacques Chirac, les Français apprendront à la connaître, puis à la reconnaître au fil des années. De la mairie de Paris à l’Elysée. Philippe Bas, catholique pratiquant, qui fut son secrétaire général à la Présidence de la République en 2002, livre quelques pistes qui permettent déjà de cerner le personnage : « Grand républicain partageant avec la gauche les valeurs fondatrices de l’humanisme français, catholique modéré, constant dans ses convictions, épris de tolérance, très libre vis-à-vis de l’épiscopat, gallican plutôt qu’ultramontain, attaché à la laïcité, curieux et respectueux des autres religions1. » Les lignes de force du personnage se retrouvent à l’évidence dans cette épure, annonçant instantanément le portrait d’un homme divers et libre des contraintes d’une culture, indépendant de préceptes qui lui sont extérieurs. Ses amis parleront de richesse et de profonde humanité, ses adversaires ne verront à l’inverse qu’irrésolution, absence de convictions et opportunisme. Sur le plan religieux, le qualificatif de modéré ne paraît pas si mal choisi. En ce sens qu’il signifie l’absence d’excès de Dieu, ce qui est à l’évidence un des marqueurs chiraquiens, à moins qu’il ne s’agisse d’un magnifique euphémisme. Florilège : « Chirac est profondément indifférent à l’Occident, affirme François Bayrou. Il est naturellement de ce monde, de cette société, de son temps mais il n’y a pas chez lui la moindre trace d’émotion religieuse. Je crois qu’il y est indifférent et qu’il considère que tout cela fait partie du caractère enfantin, puéril de l’homme occidental, qu’il ne s’agit là au fond que de croyances passagères. Ce qui n’est pas superstition à ses yeux, ce sont les arts premiers, le bouddhisme, le shintoïsme, tout ce qui est de l’autre côté. Et dans lequel il n’y a pas de Dieu, mais des sagesses. » « Dieu, c’est un peu trop loin pour lui, un peu trop vaste. C’est un humanitaire, Chirac, atteste François Léotard. Il a un côté saint-bernard… » « Ce n’est pas un homme sans Dieu, enchaîne l’ami Denis Tillinac, mais ce n’est pas un homme porté par le monothéisme stricto sensu. Je ne l’ai jamais senti très intéressé par la spiritualité juive, chrétienne ou musulmane. Cela ne veut pas dire cependant qu’il y est indifférent… » « Je n’ai pas souvenir, témoigne encore François Baroin, en vingt ans de vie politique à ses côtés, d’une conversation ayant porté sur la religion. » « Quand il venait à une messe officielle, se souvient enfin le père Matthieu Rougé, ancien aumônier des parlementaires, il participait vraiment. Et il ne se sentait pas prisonnier du dogme qui imposerait à un président de ne jamais communier. Je me souviens d’une messe à Notre-Dame, où l’aide de camp était venu me voir et m’avait dit : “Le président communiera.” Il fait son signe de croix, il participe à la messe. Mais je sais également qu’il peut lui arriver de tenir des propos d’un anticléricalisme très fort. »
Tout Chirac, ou presque, semble résumé dans ces quelques phrases, jugements et témoignages. Jacques Chirac est tous ces personnages réunis en un seul. Un caméléon de la politique qui sait s’adapter à son environnement, un catholique tempéré qu’un Dieu unique ne semble guère passionner mais qu’il respecte et avec qui il lui arrive même de communier, peut-être plus pour les autres que pour lui-même ».[…]

Nicolas Sarkozy
[…] « Pour ses amis catholiques, il fait partie des leurs, et ce malgré son rapport à Dieu qui peut prendre des formes parfois surprenantes. « Il est baptisé, il a fait sa première communion, observe Denis Tillinac. Il a même dû servir une ou deux fois la messe, comme tout le monde. Et pour lui c’est resté présent, on sent que c’est resté très présent. Plus qu’aucun autre. À cet égard, il est certainement plus proche de Mitterrand, voire de Georges Pompidou que de Chirac. Ou de Hollande. Maintenant, précise l’écrivain, comme il a le tempérament qu’on lui connaît, il peut implorer le Seigneur mais on peut parfaitement imaginer qu’il peut aussi lui arriver de l’engueuler ! Il n’en reste pas moins, je pense, ajoute-t-il, qu’il y a des moments dans sa vie intime où il cherche un rapport avec l’invisible. » Le père dominicain Philippe Verdin, ami de Nicolas Sarkozy, confirme : « C’est un croyant, un catholique qui a une relation personnelle, réelle, quotidienne avec Dieu. C’est un homme qui prie. Pas beaucoup, je ne vais évidemment pas vous faire le portrait d’un mystique, il n’est ni Jean-Paul II, ni saint François d’Assise. Mais c’est un homme qui prie, sait notamment rendre grâces à Dieu dans les moments de joie, notamment de joie familiale, et qui mesure également la présence de Dieu dans les moments d’épreuve. »

François Hollande
[…]Jamais sans doute la France n’aura eu à sa tête un président aussi peu concerné officiellement par le salut de son âme. Être spirituel, c’est avant tout pour lui faire preuve d’esprit, et il n’en manque d’ailleurs pas. Mais d’intérêt pour ce qui touche à Dieu, François Hollande n’en a pas, n’en a plus, depuis maintenant longtemps. Comme s’il s’était donné le temps de la réflexion avant de décider de la rupture, à moins qu’il n’ait choisi cette façon de s’émanciper de son milieu familial. Peutêtre encore, ayant choisi son chemin, a-t

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