L’enjeu industriel, au cœur de mes missions, est majeur. Si le secteur des industries de santé reste l’un des premiers secteurs exportateurs, nous avons assisté, au cours des vingt dernières années, à une montée en puissance de l’Asie dans la production de nos produits de santé, qu’il s’agisse, pour les médicaments, de molécules chimiques ou biologiques, de principes actifs comme de produits finis.
Quelques chiffres pour l’illustrer. On estime qu’au moins 60 % des fabricants des principes actifs de nos médicaments se trouvent aujourd’hui en Asie, principalement en Inde et en Chine. Cela s’explique principalement par des coûts de production plus faibles, notamment liés au moindre coût du travail et à réglementation sociale et environnementale moins exigeante. Sur ce dernier point, l’écart de couts généré peut même s’élever à 40 % ! Entre 2015 et 2021, les capacités de bioproduction ont cru en Asie de 17 %, là où l’Europe a cru de 8 % et de 5 % en Amérique du Nord de 5 %. La production en valeur de l’industrie pharmaceutique française a connu la plus faible progression parmi les principaux pays européens depuis le début des années 2000.
Face à ces constats, nous mettons en œuvre depuis 2017 une politique ambitieuse et déterminée de réindustrialisation et de relocalisation.
En matière de santé, cette politique s’est considérablement accélérée à la suite de la crise de la covid 19 et de la prise de conscience que celle-ci a engendrée. Comme l’a rappelé le Président de la République, dans un monde qui se fragmente, déléguer à d’autres le soin de produire nos produits de santé essentiels, est une impasse, singulièrement en temps de crise sanitaire.
Nous avons donc pris des mesures fortes pour inverser la dynamique de désindustrialisation. Avec le programme « France Relance », qui a généré 1,7 milliard d’euros d’investissements productifs dans le secteur de la santé, nous avons soutenu plus de 100 projets portant sur des médicaments et des vaccins. Ils ont permis notamment la relocalisation de la production de principes actifs, comme celui du paracétamol par l’entreprise Seqens, dont l’usine de Roussillon sera opérationnelle à partir de 2025-2026.
Afin d’accélérer les relocalisations tout en priorisant nos efforts, nous avons identifié les médicaments essentiels sur lesquels nous sommes les plus dépendants des importations extra-européennes. Parmi ces médicaments : le paracétamol, des antibiotiques comme l’amoxicilline, des anticancéreux, des médicaments utilisés pour la réanimation et l’urgence ou bien des médicaments nécessaires à la prise en charge des affections chroniques, comme l’insuline rapide. Cet important travail d’identification des vulnérabilités industrielles nous a permis de lancer cet été un guichet dédié au soutien des industriels s’engageant à relocaliser ces produits. C’est l’un des dispositifs de la nouvelle feuille de route de lutte contre les pénuries de produits de santé, à laquelle nous travaillons avec le ministère de la Santé et de la Prévention. J’appelle d’ailleurs l’ensemble des industriels à se saisir de ce dispositif, à participer à la dynamique de relocalisation et aux efforts collectifs de lutte contre les tensions d’approvisionnement
Nous travaillons également à d’autres chantiers. Je pense à la commande publique hospitalière, levier essentiel pour assurer des débouchés à ces projets industriels. Je pense aussi aux enjeux de formation et de compétence qui constituent une priorité pour améliorer la compétitivité de nos entreprises et accompagner la croissance de notre écosystème.
Au-delà des produits de santé essentiels et souvent anciens, nous devons aussi renforcer nos efforts pour favoriser les innovations et leur industrialisation sur le territoire.
Je pense notamment aux biotechnologies mais aussi aux apports de l’intelligence artificielle et du numérique, par exemple dans les dispositifs médicaux. Avec le « Plan Innovation santé 2030 » annoncé par le Président de la République et doté de 7,5 Mde, l’objectif est clair : faire de la France la première nation innovante en santé en Europe.
Nous avons créé l’Agence Innovation Santé, qui a pour mission d’animer l’écosystème de l’innovation et d’accompagner prioritairement des projets innovants considérés comme stratégiques pour la France. Cette Agence est encore jeune mais elle fait ses preuves : elle a déjà réussi à structurer un processus d’accompagnement personnalisé pour les entreprises et a lancé un certain nombre de chantiers, dont celui de l’accélération des essais cliniques.
En matière d’innovation, il nous faut arriver à casser les silos qui existent aujourd’hui trop souvent entre la recherche académique, le monde de l’hôpital et celui de l’industrie. C’est ce à quoi nous œuvrons collectivement, avec Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Aurélien Rousseau, ministre de la Santé et de la Prévention. Ainsi, par exemple, l’Etat soutient financièrement cinq bioclusters à vocation mondiale, lesquels sont des pôles d’excellence regroupant les entreprises, le soin, la recherche et l’innovation de rupture. Nous œuvrons pour consolider la dynamique des start-ups de la biotech et la medtech qui se développent et construisent également de nouvelles usines, au moyen des « stratégies d’accélération » mise en œuvre par France 2030.
Il nous faut stimuler l’innovation mais aussi faciliter son financement, ce qui, notamment en santé, est un enjeu de taille. Les start-ups ont encore trop souvent des difficultés à lever des fonds pour réaliser leurs essais cliniques et pour industrialiser le produit de leurs recherches. La phase 2 de l’initiative Tibi, annoncée cet été, nous permettra d’accroitre la capacité de financement des entreprises technologiques en mobilisant l’épargne des investisseurs institutionnels.
Bien sûr, ces enjeux dépassent nos seules frontières. Nos efforts de relocalisation et de réindustrialisation doivent être coordonnés au niveau européen. La France est et doit continuer à être l’un des pays moteurs sur ce sujet.
Les conclusions adoptées lors du Conseil européen des 29 et 30 juin 2023 invitent la Commission Européenne à proposer des mesures permettant d’assurer une production et une disponibilité suffisantes des médicaments les plus critiques en Europe, ainsi que de diversifier les chaînes d’approvisionnement. Nous travaillons, avec d’autres pays européens dont la Belgique, à proposer des mesures ambitieuses à la Commission européenne.
L’asymétrie entre les réglementations environnementales européennes et asiatiques est un vrai sujet. Elle est responsable de l’essentiel du différentiel de compétitivité entre nos industries pharmaceutiques. Nous devons collectivement réfléchir à l’opportunité d’appliquer aux produits de santé importés des contraintes environnementales plus exigeantes.
La France est très mobilisée à l’échelon européen puisqu’elle porte aussi un Projet Important d’Intérêt Européen Commun (PIIEC) en santé. Ce projet, auquel participent 16 Etats membres, soutient à hauteur de plusieurs milliards des projets industriels particulièrement innovants qui n’auraient sinon pas vu le jour, parce que les conditions de marché n’incitent pas naturellement les entreprises à investir.
Au-delà des enjeux d’industrialisation se posent les questions relatives au financement des produits de santé.
Ces questions seront longuement débattues dans le cadre de l’examen, au Parlement, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Le constat semble partagé par l’ensemble des acteurs : le système de régulation actuel est arrivé à bout de souffle et doit être réformé. La mission récemment confiée par la Première Ministre à six personnalités qualifiées sur la régulation des produits de santé ouvre plusieurs perspectives pour concilier soutenabilité des finances publiques, accès des patients aux produits essentiels et innovants, et souveraineté. Un certain nombre de propositions doivent être encore être creusées sur le plan technique mais le Gouvernement travaille très activement à leur mise en œuvre. ■