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La grande évasion

La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté et le CESE s’accordent sur la nécessité d’en finir avec le « tout prison ». Les deux avis militent pour des peines de substitution et pour une régulation carcérale.

De façon non coordonnée mais concomitamment, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté et le conseil économique et social ont rendu mi-septembre deux avis sur les prisons, la surpopulation carcérale et les conditions indignes de détention.

Les chiffres suffisent d’eux-mêmes pour comprendre la situation intenable de nos prisons. Un état des lieux pourtant rabâché depuis des années sans voir particulièrement poindre des solutions. Selon les chiffres de l’administration pénitentiaire, on dénombre en France 73 699 pour 60 562 places opérationnelles (+ 3 % en un an). La moyenne du taux d’occupation des maisons d’arrêt approche 145 %, ce qui représente environ trois détenus pour deux places ; près de 27 000 détenus sont hébergés dans des établissements dont la densité d’occupation dépasse 150 % ; le nombre des matelas au sol est de 2 336, contre 1 885 au 1er juin 2022... « Au-delà du caractère impersonnel des statistiques, les constats effectués par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dès 2012 dans son avis sur la surpopulation carcérale et plus encore après la fin de la crise sanitaire, montrent que les conditions de détention se dégradent dans toutes leurs dimensions, en même temps que les conditions de travail du personnel pénitentiaire » écrit au garde des sceaux, la contrôleuse générale Dominique Simonnot (1). « La situation ne peut plus durer : les acteurs intervenant en prison (syndicats de magistrats, agents pénitentiaires, soignants, avocats, associations…) font le même constat d’une dégradation des conditions de détention, d’un épuisement du personnel, d’une détérioration générale de l’immobilier et d’une saturation de l’ensemble des services. L’incapacité du système pénitentiaire à remplir sa mission de réinsertion, à garantir le respect de la dignité des détenus et leur sécurité, ainsi que celle des surveillants chargés de les garder, est identifiée par tous » insiste avec fermeté l’ancienne journaliste du Canard enchaîné.

Même constat « défavorable » pour le conseil économique et social qui dans son avis (2) pointe « une surpopulation carcérale qui s’accroît chaque trimestre » tout en dénonçant « la non atteinte de l’objectif de renforcer la place donnée aux alternatives à la détention pourtant affiché dans deux lois récentes ». Les deux rapporteurs de la commission « affaires sociales et santé » du CESE, Alain Dru (ancien chef de service de la Protection judiciaire de la jeunesse) et Danièle Jourdain-Menninger (inspectrice des affaires sociales honoraire) reprochent aux pouvoirs publics que « la sanction reste centrée sur la prison sans tenir compte des conditions indignes de la détention ni de son caractère improductif et deshumanisant ». Ils les appellent alors fermement à « sortir de la surenchère pénale ». Ils plaident notamment pour une individualisation de la peine. Il faut selon eux, « donner à la justice les moyens de décider quelle est la peine la plus efficace pour lutter contre la récidive et permettre la réinsertion ». L’avis du CESE recommande entre autres « une limitation des recours à la détention provisoire, la création d’une peine de probation autonome (déconnectée de la prison) et l’organisation d’une régulation carcérale ». Plus précisément, les rapporteurs souhaitent que soit définie « une stratégie globale de réduction de la détention provisoire » (contraventionnalisation de certains délits ; limitation de sa durée, motivation plus poussée de son utilisation qui indiquerait en quoi d’autres solutions ne seraient pas plus efficaces). Quant à la régulation carcérale, elle passerait par une convention prévoyant, à partir d’un certain seuil d’occupation, l’identification de solutions de sortie associant les autorités judiciaires, pénitentiaires, d’insertion et de réinsertion. « Une telle régulation implique qu’au-delà d’un certain seuil d’occupation des établissements, toute nouvelle entrée en prison impose l’identification de solutions pour libérer une place en détention » avancent prudemment les rapporteurs. Pour Dominique Simonnot il faut aller plus loin avec « un dispositif législatif de régulation contraignant et ambitieux ». « L’inscription dans la loi d’un mécanisme contraignant de régulation carcérale, géré localement par tous les acteurs de la chaine pénale sous la responsabilité de l’autorité judiciaire, doit permettre, dans un délai fixé par la loi, de résorber la surpopulation des maisons d’arrêt et de respecter le droit à l’encellulement individuel » juge-t-elle.

Pour le ministre de justice « la première solution pour lutter contre la surpopulation carcérale est de construire de nouvelles places opérationnelles de prison ». Dans sa réponse au CGLPL, Eric Dupond-Moretti voit également comme autre solution des « aménagements » des courtes peines mais aussi « des peines de substitution à l’incarcération comme la détention à domicile sous surveillance électronique ou le travail d’intérêt général ».

Début juillet, la France a été condamnée une nouvelle fois par la Cour européenne des droits de l’homme pour les conditions indignes de détention réservées à ses détenus.

Pour terminer avec une petite note d’humour (grinçant) signalons que le jour de la publication de ces deux avis, deux détenus de Fleury-Mérogis souhaitant sans aucun doute participer au débat, ont profité d’une activité de randonnée pédestre en forêt de Fontainebleau pour… se faire la belle. 


(1) Avis relatif à la surpopulation et à la régulation carcérales – 14 septembre 2023

(2) Le sens de la peine – avis du 13 septembre 2023.


Au 1er juin 2023, la population carcérale est de 73 699 détenus pour 60 562 places opérationnelles.

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