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Programmer la réduction de la surpopulation carcérale, une responsabilité politique

Par Caroline Abadie, Députée (RE, Isère), Vice-Présidente du groupe d’études « Prisons et conditions carcérales »*

La surpopulation carcérale chronique est ancienne : 116 % de taux d’occupation en 1992, 114 % en 2022. Politiques, professionnels, observateurs, tous s’accordent à dire que cela ne peut plus durer.

La surpopulation ne nous permet pas de détenir dignement, particulièrement les prévenus et condamnés à des peines inférieures à 2 ans. Le taux d’occupation en maison d’arrêt est de 146 %, avec des situations extrêmes qui sont allées jusqu’à 240 % à Gradignan au printemps, amenant à une décision radicale : refuser des détenus, plutôt que de risquer une mutinerie ! Les présumés innocents et délinquants du bas de spectre subissent donc le pire traitement.

Concrètement, la surpopulation carcérale, c’est l’oisiveté et l’indignité, là où on a besoin de formation, de travail et surtout d’apprendre le respect.

A ce diagnostic unanime, les réponses varient. Certains pensent que seule la création de nouvelles places suffirait. A ceux-là, Dominique Simonnot, la Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté, répond que plus on crée de prisons, plus on les remplie. Pourtant, le plan 15 000 places est une des clefs, même si elles ne sortent pas de terre à la vitesse qu’exige la situation et que permettrait pourtant les moyens investis. Car encore faut-il trouver des terrains !

Mais incontestablement les plans successifs de construction de prisons (33 000 places nettes créées en 30 ans) n’ont pas permis d’endiguer la surpopulation carcérale.

La mission d’information que j’ai menée avec ma collègue Elsa Faucillon s’est penchée sur les peines alternatives à la détention. Au-delà de baisser la pression carcérale, elles permettent un suivi plus adapté et favorisent la réinsertion. Depuis la création du TIG en 1983 par Robert Badinter, ces sanctions se sont beaucoup développées : bracelet électronique, contrôle judiciaire, placement extérieur, etc. Loin de diminuer l’incarcération, ni en volume (101 431 peines d’emprisonnement fermes prononcées en 2018, contre 76 786 en 2000), ni en durée moyenne de détention (10,7 mois en 2019, contre 5,8 en 1982), les peines probatoires en proportion, ont tendance à s’ajouter à la détention. Elles n’ont rien d’« alternatif » !

Cela fait donc 30 ans qu’on construit des prisons et qu’on développe des alternatives à la détention et rien ne change. A qui d’agir ?

Dans une tribune commune, loin des tourmentes idéologiques, mais avec pragmatisme, Jean-René Lecerf, ancien sénateur UMP et rapporteur de la loi pénitentiaire de 2009 et Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste, en appellent à un mécanisme de régulation carcérale. Comme le CESE, la CGLPL et l’ensemble des professionnels, ils donnent l’alerte et pointent la responsabilité politique. C’est aux responsables politiques de programmer la réduction de la surpopulation carcérale.

Le mécanisme de régulation carcérale proposé dans notre rapport, programme la réduction de la surpopulation progressivement pour atteindre 100 % en 2027. Il s’appuie sur tous les moyens existants dont le plan 15 000 places qui s’achèvera fin 2027.

Pour sauvegarder au juge sa libre décision, nous proposons d’abord de développer les ententes locales (comme celle de Grenoble) entre juridiction et administration pénitentiaire pour qu’il y ait toujours des places disponibles, en accélérant les transferts vers les établissements pour peines et en favorisant les alternatives. En effet, quand une grande partie de la peine a été exécutée et qu’on a trouvé un logement pour la sortie, les dernières semaines ne sont pas indispensables, surtout si le suivi adéquat est mis en œuvre dehors.

En cas de lacune locale, la libération sous contrainte pourrait être prolongée jusqu’à 6 mois de reliquat de peine (contre 3 mois dans le droit commun), toujours pour des peines inférieures à 2 ans. On réduirait ainsi les sorties sèches pourvoyeuses de récidive.

Programmer la réduction de surpopulation carcérale ce n’est donc pas de l’idéologie, c’est juste prendre ses responsabilités. 


*Rapporteure de la mission d’information sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale. Rapport d’information n°1539 déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale (Mme Caroline Abadie et Mme Elsa Faucillon)

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