Print this page

La guerre entre Israël et le Hamas : la dimension cyber

Par Guy-Philippe Goldstein, Enseignant à l’Ecole de Guerre Economique (EGE)

La guerre que le Hamas a déclenché contre l’Etat d’Israël et ses populations comporte également un volet cyber et informationnel. L’objectif est d’amplifier par les moyens numériques la stupeur, la terreur et le discrédit envers les institutions de l’Etat.

Un front du « cyber sabotage » limité

Dès le démarrage du conflit, Israël a été confronté à plusieurs cyber-attaques mais de faible ampleur de type « déni de service » : on inonde de flots d’informations certains serveurs de façon à stopper l’accès au site web. C’est ce qu’a subi le Jerusalem Post, un quotidien ; ou encore United Hatzalah, un important service d’urgences médicales. Une soixantaine d’autres sites de petites municipalités ou d’entreprises privées auraient été également victimes de manière passagère. On note d’ailleurs la contribution de deux groupes, KillNet et Anonymous Sudan qui sont tous deux en réalité des acteurs localisés en Russie. Il s’agit peut-être de détourner le regard du conflit en Ukraine ; ou d’envoyer un message de soutien à peu de frais à des acteurs proches de l’Iran – un fournisseur clé de drones pour la Russie. Mais de manière générale, comme noté par l’agence civile pour la cybersécurité d’Israël, l’INCDi, et la NSA, il n’y a pas eu de larges « cyber-sabotage » contre des infrastructures critiques (ex : télécommunications, énergie, hôpitaux…). La dissuasion « cyber » de l’Etat hébreu semble bien maintenu.

Le front informationnel

C’est cependant sur le front des réseaux sociaux que les alertes ont été lancées. L’objectif par le Hamas et ses alliés est double. D’une part, il s’agit de frapper de démoralisation la population d’Israël, en commençant par les familles des victimes qui sont parfois directement appelés par les terroristes depuis les téléphones des victimes. D’autre part, il y a la volonté d’alimenter un sentiment de revanche barbare à travers le monde arabe et au-delà afin de créer une caisse de résonnance violente et antisémite, dans une forme de concurrence à l’horreur avec Daesh. Cette vague de haine antisémite doit rendre impossible le rapprochement d’Israël et des pays arabes et peut-être aussi fragiliser intérieurement les pays occidentaux. De la même façon que sur les aspects strictement cyber, on voit d’ailleurs certains comptes liés à la Russie et à la désinformation anti-Ukrainienne se mêler de désinformation autour des crimes barbares qui ont eu lieu le 7 octobre. Les enjeux, portés par le Digital Service Act, de régulation des grandes plateformes se retrouvent au cœur de ce conflit. Il s’agit là aussi d’un test pour l’Union Européenne et pour ses pays.

Les fronts à venir

Au-delà, si jamais une grande puissance régionale a participé activement aux opérations du Hamas, il est possible qu’elle s’expose à de nombreuses représailles de type guerre hybride/opérations spéciales, y compris dans le cyber. On peut d’ailleurs observer qu’entre 2020 et 2022, l’Iran a subi des attaques cyber d’une très haute sophistication, que certains analystes ont mis sur le compte d’Israël contre différentes cibles. En mai 2020, c’est par exemple le terminal de Shahid Rajee dans le port de Bandar Abbas, où passe 90 % de tout le trafic container de l’Iran, qui a été totalement paralysée avec l’impossibilité aux navires de pouvoir décharger. En octobre 2021, plus de 4300 stations essence ont été mis hors d’usage, rendant impossible aux automobilistes de pouvoir faire le plein. En juin 2022, trois aciéries ont vu leur fourneau exploser de l’intérieur, avec un cas même où on avait pris le contrôle à distance du système de surveillance vidéo afin de capturer l’image de l’explosion. Ces démonstrations d’une très haute sophistication montre que pour des états cyber avancés, il pourrait exister de nouvelles manières de riposter d’une façon stupéfiante et inédite.

Même si certaines leçons préliminaires et obligations pour l’Union Européenne peuvent déjà être tirées du conflit, beaucoup reste encore à venir.