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Bras de fer sur le nickel

A Matignon, en septembre dernier, l’avenir de la filière nickel calédonienne était au cœur des discussions.

“L’enjeu est de faire du nickel calédonien une filière d’avenir (...). Les choix des prochaines semaines détermineront le sort des trois usines du territoire” a déclaré la première ministre lors de ses échanges avec les élus de Nouvelle-Calédonie venus à Paris début septembre débattre de l’avenir du « Caillou ». Mais l’enjeu est surtout d’éviter la faillite de toute une filière qui ne représente pas moins de 13 000 personnes directs et indirects sur le territoire. Depuis de très nombreuses années et en dépit d’un soutien public et privé aux entreprises locales, la filière fait face à une « situation alarmante » déplore l’entourage de la première ministre qui, pour affirmer cela, s’appuie sur un rapport de juillet de l’IGF (1). « Sans nouvelle intervention des acteurs privés et des pouvoirs publics, et malgré des soutiens récents et massifs, la fermeture de certains sites parait à ce jour inévitable » estiment même les auteurs du rapport (2).

En Nouvelle-Calédonie, la filière du nickel se divise entre les entreprises dont l’activité consiste à exploiter du minerai pour l’exporter (appelés « petits mineurs », sans activité métallurgique) et les entreprises dont les activités minières et métallurgiques sont intégrées (La Société le nickel - SLN ; Koniambo Nickel SAS – KNS ; Prony Resources Nouvelle-Calédonie - PRNC). Or, si les « petits mineurs » sont des entreprises « rentables », à l’inverse « les métallurgistes n’ont connu, dans la période récente, que des exercices déficitaires » constatent amèrement les rapporteurs listant les nombreuses aides perçues pourtant ces dernières années. En déplacement sur le caillou en mars dernier, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin avait rappelé qu’en six ans l’Etat avait subventionné le secteur à hauteur de 2 milliards d’euros avant d’annoncer qu’il « ne donnera[it] plus d’argent aux usines de Nouvelle-Calédonie tant qu’il n’y aura[it] pas de projet industriel pensé et réfléchi ».

Les difficultés de la filière sont connues : volatilité des prix du nickel, « l’incapacité » des métallurgistes à atteindre leur production nominale « en raison de difficultés techniques récurrentes et de l’abaissement des teneurs en nickel du minerai fondu », un climat social délétère, des aléas climatique mais aussi et surtout « des coûts énergétiques et de main d’œuvre structurellement élevés ». « L’énergie représente le premier poste de dépense des usines pyrométallurgiques » et peut peser jusqu’à 50 % des charges des usines qui fonctionnent à l’hydrocarbure avec des installations anciennes insiste le rapport qui pointe également un coût de main d’oeuvre « très supérieur à celui pratiqué dans certains pays concurrents (Indonésie, Philippines, Chine) ».

Pour autant, la filière du nickel pourrait trouver une issue en se tournant résolument vers l’Europe et la France pour sécuriser leurs approvisionnement et en choisissant le nickel de « classe batterie » dont on va avoir de plus en plus besoin (3). « Les capacités de Nouvelle-Calédonie pourraient théoriquement représenter à terme jusqu’à 85 % des besoins des gigafactories françaises en 2030 ou 14 % des besoins UE en 2035 » estime l’IGF. Mais ce n’est pas encore pour demain. D’abord, parce qu’il va falloir changer de braquet énergétique (GNL, photovoltaïque…) mais cela ne pourra se faire sans l’aide d’un financeur public ; ensuite parce que deux des trois métallurgistes produisent du nickel de classe II, essentiellement destiné au marché asiatique de l’acier inoxydable. Enfin, parce qu’« aucun de ces trois opérateurs n’est aujourd’hui en mesure de servir le marché européen dans des conditions économiquement viables », en raison de coûts de production notablement plus élevés que ceux de la concurrence internationale.

Le nickel a toujours été au coeur des enjeux économiques du territoire mais aussi politiques. Ainsi pour Elisabeth Borne, il n’est pas question que l’Etat « signe des chèques en blanc ». Et la première ministre de se faire plus précise : « Il est inenvisageable, surtout au vu de notre contexte de finances publiques, que le contribuable finance des usines si elles sont structurellement déficitaires, a fortiori si elles ne produisent qu’un nickel qui n’est pas centré sur nos besoins stratégiques ». « Des changements radicaux sont nécessaires » a-t-elle averti. 


1. Avenir de la filière du nickel en Nouvelle-Calédonie – Inspection des finances publiques - Juillet 2023

2. Dans un scénario extrême de défaillance simultanée des trois usines, le chômage sur le territoire augmenterait d’environ 50 % pour s’établir à environ 16 %. L’impact pour les finances publiques du territoire serait de l’ordre de 325 Me la première année, soit 4 points de son PIB.

3. La Commission européenne estime que les besoins en nickel de classe batterie de l’UE pourraient atteindre 378 kt en 2030, 541 kt en 2035 et 645 kt en 2040.

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