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L’adhésion thérapeutique, un coûteux fléau sanitaire à endiguer

Par Erwann Tison, Directeur des études de l’Institut Sapiens

La question de l’adhésion thérapeutique ne figure pas au premier plan de notre débat médical. Pourtant, à la lumière de ses implications et incidences, elle devrait paraitre en têtes des mesures d’amélioration pour notre système. Dans le langage médical contemporain, le terme d’adhésion « évalue le degré de concordance entre les recommandations du médecin et le comportement du patient ». D’un point de vue médical, un patient va être considéré comme non-adhérent s’il prend moins de 80 % de son traitement. Même s’il est difficile de la mesurer avec précision, les estimations en France font état que seuls 40 % des patients chroniques auraient une bonne adhésion à leur traitement (1).

La non-adhésion thérapeutique reflète à la fois les échecs de la pédagogie médicale et l’insuffisance de l’éducation thérapeutique des patients. Son important volume est d’autant plus étonnant dans un pays où le reste à charge est le plus bas de l’OCDE (7 % des dépenses de santé à la charge directe des ménages) et où la qualité des médicaments fait l’objet de contrôles très rigoureux.

En France, la non-adhésion serait responsable d’environ 12 000 décès évitables par an, pour un surcoût estimé à 9 milliards d’euros, quant au niveau européen ce phénomène provoquerait 200 000 décès précoces chaque année, pour une perte comprise entre 80 et 125 milliards d’euros (2).

La non-adhésion est le symptôme d’une nouvelle relation à la médecine, où le patient ne suit plus aveuglément son traitement de manière passive. Cette phase d’activité provoque une phase de réflexion active du patient qui remet en cause la pertinence même de son traitement, devenant son propre prescripteur, ajustant son observance au gré de son expérience personnelle. Dans ce contexte, les effets secondaires d’un médicament peuvent être un déclencheur important du manque d’adhésion. Un patient dont le traitement lui provoquerait plus de gênes quotidiennes que d’améliorations ressenties réaliserait ainsi un arbitrage en faveur de la suspension de la prise de cachets.

La non-adhésion peut aussi être motivée par un phénomène de précontemplation : le patient ne se sent pas malade donc il ne prend pas de médicament, en occultant le lien de causalité existant entre ces deux épisodes. Elle est donc également le symptôme du recul de la confiance dans la science, et de la remise en cause systématique de la parole médicale et du dénigrement chronique des experts.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la non-adhésion ne varie pas selon la gravité de la pathologie. Parmi les greffés rénaux, on observe ainsi 20 % de patients non observants. Si les patients souffrant d’asthme sont les moins rigoureux dans leur prise médicamenteuse (87 %), ceux souffrant d’insuffisance cardiaque le sont aussi (64 %), devant les diabétiques (63 %) et les hypertendus artériels (60 %)

Pour enrayer ce phénomène amené à prendre de l’ampleur avec le vieillissement de la population et l’augmentation mécanique du nombre de patients chroniques, il est essentiel d’adopter une nouvelle politique en la matière.

Premièrement, en améliorant la communication médicale. La discussion et le temps déchanges entre le patient et son médecin doivent s’intensifier, pour favoriser l’explication et la prise en compte des effets indésirables pouvant handicaper la vie quotidienne et le confort d’un patient. A l’ordre du jour de la première consultation liée à la détection de la pathologie chronique, ce thème doit s’accompagner d’un échange sur le rythme de vie du patient, ses envies et ses contraintes pour éviter tout conflit avec la nécessité du traitement, dans une logique de co-construction. Vouloir faire le bien du patient sans son assentiment relève d’une vision archaïque ne pouvant perdurer. Le patient étant de plus en plus informé, connecté et renseigné, il doit être vu comme un acteur à part entière de son chemin thérapeutique, et non comme un simple exécutant. Cette vision participative doit se coupler avec un renforcement de l’éducation thérapeutique dès le plus jeune âge, en sensibilisant à l’importance de la bonne gestion du capital santé, ainsi qu’au principe de la solution thérapeutique. Cette éducation thérapeutique doit reposer sur une chaîne de compétences intégrées, et pas uniquement sur la capacité du médecin à formuler des injonctions directives. Le temps médical étant très contraint, il est essentiel de le partager entre tous les acteurs de santé, notamment les paramédicaux, des infirmiers aux diététiciens, en passant par les kinés et les pharmaciens, qui ont chacun un rôle primordial à jouer dans l’explication et la prévention des bons comportements. Pour cette solution, la mise en place de consultations spécifiques, financées au forfait, permettrait d’améliorer la prévention et la matière et le temps médical dédié.

Deuxièmement, en augmentant le recours à la technologie. Le télésuivi et la télésurveillance, favorisés par des outils connectés, peuvent dans certains cas améliorer de 15 à 20 % la prise de médicaments. Si les outils connectés peuvent être des solutions ponctuelles intéressantes, il faut cependant les adapter au profil du patient et ne pas viser une solution uniforme. Pour les patients souffrant d’une maladie chronique, ainsi que pour les enfants, la gamification apparaît comme une solution intéressante à creuser. Il a été ainsi démontré (3) que le recours à des jeux-vidéos peut améliorer drastiquement la prise de médicaments, à faible coût. En rendant quasi ludique la prise de médicaments, ces procédés parviennent à dédramatiser la situation et favoriser l’engagement et l’apprentissage des patients, quel que soit leur âge.

Troisièmement, en encourageant l’innovation médicamenteuse. Du fait de l’existence d’une corrélation directe entre le nombre de comprimés à prendre chaque jour et la non-adhésion, tous les dispositifs allant dans le sens de leur réduction sont à encourager. Les Single Pill Combinations (SPC) visent à combiner plusieurs pilules en une, sans altérer les caractéristiques des médicaments. Elles répondent à la demande d’allègement de la charge mentale des patients et diminuent l’impression d’être malade. La combinaison est alors réalisée à partir de molécules testées cliniquement et présentant un véritable intérêt médical. En plus d’augmenter les indices de bonne santé des patients concernés grâce à l’augmentation de l’adhésion thérapeutique (4), cette innovation entraîne une réduction importante des coûts de santé.

L’efficience n’a jamais été la caractéristique la plus flagrante de notre système de santé. Ce n’est donc pas étonnant que la non-adhésion soit passée si longtemps sous les radars. A l’instar de la prévention, ce sujet a longtemps été réservé aux experts. Pourtant, il y a derrière le sujet de l’adhésion thérapeutique d’immenses gisements d’économies et d’améliorations du bien-être des patients.

Notre époque, caractérisée par la remise en cause de la parole des experts et la volonté des patients d’être des acteurs à part entière de leur traitement, provoquent le recul de l’adhésion thérapeutique, concept autrefois naturel découlant de l’autorité du médecin. Les ressorts psychologiques amputant cette adhésion seront résolus par des mécanismes similaires. L’écoute, l’empathie, la communication, la co-construction et l’éducation thérapeutique sont autant de solutions utiles. Les innovations réduisant le sentiment de mal être et le rappel incessant à la maladie seront-elles aussi essentielles. A condition que les autorités compétentes autorisent enfin leur déploiement pour enrayer ce fléau sanitaire. 


1. Etude IMS réalisée pour le cercle de réflexion de l’industrie pharmaceutique.

2. Idem

3. Barbacetto, « les solutions utilisant des techniques de gamification permettent-elles d’augmenter l’adhésion thérapeutique ? » thèse de doctorat soutenue à la faculté de pharmacie de Marseille, 2017.

4. Iellamo, Werdan et al. « Practical Applications for Single Pill Combinations in the Cardiovascular Continuum ». Card Fail Rev. 2017.

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