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“En matière de lutte contre les déserts médicaux, les politiques n’ont pas crevé les abcès qui minent notre système de soins depuis trop longtemps”

Par le Docteur Yannick Neuder, Député de l’Isère, Membre de la Commission des Affaires Sociales

La réalité va rattraper le nouveau ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau, qui devra, dès cet automne, faire face à de nombreux défis face à un monde médical en perte de confiance, de moyens et de soutien : une tension extrême de l’hôpital face à des crises dont l’ampleur grandit d’année en année (2022 aura marqué les esprits avec la crise des bronchiolites et la situation des services de pédiatrie) ; un dialogue rompu avec le monde médical, notamment les médecins libéraux ; un secteur de la psychiatrie, grand oublié des politiques de santé ; mais surtout, l’immense chantier de la lutte contre les déserts médicaux, bombe à retardement sanitaire.

Afin de passer l’été et combler le vide du bilan des fameux « 100 jours », Agnès Firmin le Bodo, ministre de l’organisation territoriale de soins, a annoncé il y a quelques semaines un plan de lutte contre les déserts médicaux à renforts de dossier et de conférence de presse.

Derrière cette séquence bruyante se cache en réalité une simple redite des intentions d’Emmanuel Macron déclarées en janvier dernier, celles-là même critiquées par les professionnels pour leur manque d’ambition (4 000 postes d’assistants médicaux, nouvelles maisons de santé …). En retirant des annonces les mesures déjà annoncées en janvier dernier, il reste bien trop peu dans ce qui est qualifié de « plan ».

Il ne s’agit pas là de balayer d’un revers de main les quelques propositions du gouvernement mais de pointer un manque cruel d’ambition, de détermination et de courage politique face aux alertes d’un monde médical à bout. Il faut aller plus vite et plus loin.

En matière de lutte contre les déserts médicaux, les politiques n’ont pas crevé les abcès qui minent notre système de soins depuis trop longtemps.

Le premier d’entre eux est le fameux numerus clausus qui fait depuis bien longtemps couler de l’encre. Si celui-ci a été réformé dans sa forme en numerus apertus, le système limite encore trop le nombre de futurs médecins. S’il y a bien une augmentation du nombre d’étudiants en médecine, de l’ordre de 10 % à 15 % en fonction des facultés, les étudiants n’ont plus le droit de redoubler. C’est une porte ouverte vers l’étranger pour des étudiants qui partent obtenir leur diplôme en Roumanie, en Espagne où ils peuvent bénéficier de cours en français. Je me félicite d’ailleurs, de l’adoption de mon amendement visant à prendre en compte prioritairement les besoins du territoire dans la détermination de ce numerus apertus, un premier pas dans l’ouverture totale de celui-ci.

Il nous faut donc intensifier rapidement la formation du nombre de médecins, supprimer ce numerus apertus et au-delà du nombre de places en médecine avec en parallèle, un véritable plan pour nos universités : 20 000 maitres de stages supplémentaires, des moyens financiers, de nouveaux lieux de stages supplémentaires dans nos territoires, hors de CHU sans les dépeupler …

Pour combler le manque de réformes ambitieuses, les membres de la majorité et le gouvernement superposent de la loi au mieux bavarde au pire contreproductive : du texte de Mme Rist à celui de M. Valletoux, il est soit question de proposer plus d’administration administrante soit de désigner des boucs émissaires à commencer par les médecins.

Les mesures coercitives comme l’adhésion automatique à une CPTS portées par la majorité sont une porte ouverte aux déconventionnements et la première pierre d’un système d’accès aux soins à deux vitesses. La levée de boucliers du monde soignant ne s’est d’ailleurs pas faite attendre, en vain.

Cette voie, c’est celle qui initiera de véritables chantiers de refonte, qui rompra avec des décennies de procrastination et qui embarquera tous les acteurs pour :

Refondre l’accès aux études de santé ;

• Maximiser la création de centre de soins non programmés sans rendez-vous pour désengorger l’hôpital ;

• Libérer du temps médical au médecin d’abord en débureaucratisant la profession et en créant un statut de médecin-employeur pour l’embauche plus souple de personnel d’appui pour la gestion des cabinets ;

• Réduire et assouplir le cadre et les procédures de création de centre d’imagerie médicale pour créer des clusters territoriaux : soins de premiers recours, biologie, imagerie ;

• Un plan « santé partout » qui développe l’accès à la biologie délocalisée et la télémédecine ;

• Un plan massif d’investissements dans les facultés et la revalorisation des MSU (Maître de Stage des Universités) ;

• Créer des passerelles pour les paramédicaux qui peuvent en une poignée d’années devenir des médecins.

Au-delà de ces priorités nous devons consentir à un choc d’attractivité des métiers avec un plan Marshall du soin fléché sur les revalorisations financières des médicaux et paramédicaux. Un médecin libéral Français est payé 20 à 30 % de moins qu’un libéral Français, les infirmiers libéraux ont obtenu cet été une revalorisation ridiculement basse avec une indemnité forfaitaire de déplacement qui passe de 2,50 à 2,75 e, le prix d’un Malabar !

Pour ce faire, le retour à la modération budgétaire doit redevenir une boussole du gouvernement. Ce plan de revalorisation du soin doit être financé par des économies là où il y en a cruellement besoin et non pas sur le dos de la santé des Français comme la CNAM l’a récemment annoncé en baissant la prise en charge des soins dentaires.

Il faut plutôt cibler la fraude aux prestations sociales, entreprendre un meilleur contrôle de la sur-prescription et de la sur-consommation du médicament, revoir l’efficience et pertinence des soins, optimiser la prise en charge du transport sanitaire.

Enfin, dans cette même perspective, nous devons accélérer le développement de la prévention et de l’allègement des parcours de soins. Il est nécessaire de mettre en place des formations en autosoins à chaque stade de la scolarité. La réalité, c’est aussi qu’il faut responsabiliser ceux qui entretiennent une forme de consumérisme médical reposant sur la générosité de notre système. C’est l’objet d’une partie du contre budget que Les Républicains annonceront dans les prochains jours.

En parallèle, nous devons mailler le territoire afin de « désurgentiser » les réflexes de nos concitoyens et les rapprocher du soin : à ce titre, développons la création de centres de consultation (maisons médicales, centres de soin) et de laboratoire de biologie, de centre de radiologie qui constituent des unités de soins primaires évitant le recours systématique aux urgences.

L’exécutif a perdu trop de temps avec des effets d’annonces, des arbitrages politiques et des rustines au détriment d’une véritable ambition de long terme pour l’accès aux soins. La santé des Français mérite mieux ! 

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