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“Nous devons prendre à bras-le-corps l’amélioration de la fin de vie de la majorité de nos concitoyens”

Tribune collective*

La convention citoyenne sur la fin de vie, organisée sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental, a remis il y a quelques semaines ses conclusions au président de la République : le cadre d’accompagnement des personnes dont les jours sont comptés dans notre pays ne répond pas à l’intégralité des situations, principalement en raison d’importantes carences dans l’offre thérapeutique, et spécialement en soins palliatifs.

Dans le même temps, deux tiers des soignants se sont réunis pour signifier dans un long document de réflexion que provoquer la mort ne pouvait pas être considéré comme un soin.

L’Assemblée nationale a plusieurs fois été placée au cœur de cette controverse vertigineuse. S’y expriment des convictions politiques, philosophiques, spirituelles et éthiques légitimes. Nous, parlementaires issus de traditions et de groupes politiques différents, souhaitons aujourd’hui partager trois convictions qui nous rassemblent et guideront notre réflexion.

Avant d’être une question idéologique, notre rapport à la souffrance et à la mort est avant tout déterminé par nos expériences humaines. Ainsi, parmi les partisans d’une légalisation d’une forme d’euthanasie, nombreux sont ceux qui ont eu à traverser les épreuves d’un accompagnement difficile et vu souffrir une personne aimée. Cette parole que nous devons écouter nous invite à en entendre une autre : parmi ceux qui s’inquiètent d’une potentielle évolution figurent la plupart de nos soignants. Leur regard est façonné par l’expérience du soin aux personnes les plus vulnérables et par les innombrables visages de ceux qu’ils ont accompagnés jusqu’au dernier souffle, mais aussi par les difficultés de leur métier, chaque jour plus perceptibles dans notre société. Ces soignants nous disent que la relation de soin est un bien commun pour toute notre société, ils nous disent que le soin doit être protégé car il est une alliance.

Une forme de fierté

Le soignant qui écoute la demande de mort, qui est un cri de souffrance, ne doit jamais disposer du droit de vie ou de mort sur celui qui se confie à lui. Chacun doit pouvoir continuer à partager avec celui qui le soigne ses peines et ses craintes les plus intimes sans que jamais le lieu où l’on soigne ne puisse être celui où l’on donne la mort.

Au cœur de ce sujet qui transcende largement le champ politique, la seconde conviction qui nous réunit est une forme de fierté. Fierté de vivre dans un pays qui n’a jamais éludé ces difficultés et qui a fait des choix courageux. Nos prédécesseurs au Parlement ont dessiné au cours des trois dernières décennies un chemin commun pour nos concitoyens en fin de vie. Cette voie française de l’accompagnement s’est construite sur une double ambition. Celle de la fraternité, d’abord, avec la volonté d’offrir à chacun un cadre médical digne et humain, à même de soulager les souffrances et d’offrir à tous une fin d’existence décente.

Ambition d’humilité, aussi, car nous savons que le soignant et le législateur ne peuvent pas et ne pourront jamais tout résoudre. Cet héritage que nous avons en partage, il nous appartient de l’accomplir. Deux tiers des personnes qui en auraient besoin n’ont toujours pas accès aux soins palliatifs qui pourraient les soulager, et, dans 21 départements, il n’existe aucun service adapté aux situations les plus complexes. C’est un point qui fait consensus, que ce soit dans l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé ou dans les conclusions de la convention citoyenne et de la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti. Ces inégalités devant la mort ne sont pas acceptables et sont contraires à l’esprit même de la République. Pour nous, le caractère universel des traitements palliatifs ne saurait être la vague promesse d’une mesure d’« équilibre ». La mise en œuvre effective de la loi de 1999 qui garantit à tous et partout l’accès aux soins palliatifs, et des lois qui ont suivi en 2002, 2005 et 2016, est, à notre sens, un préalable éthique à l’examen même de toute légalisation éventuelle d’une forme de mort médicalement provoquée.

Défaillances majeures

Enfin, nous accordons une attention plus particulière à toutes les personnes en situation de vulnérabilité. Nous savons qu’au milieu d’une crise structurelle de notre système de santé, nombreux sont ceux qui se sentent ignorés, oubliés, et éprouvent parfois un sentiment d’abandon. Loin des idéaux de liberté, c’est l’inégalité que révèlent les expériences d’autres pays qui nous montrent que les personnes les plus fragiles, les plus isolées ou les plus précaires sont celles qui craignent le plus de peser sur leurs proches et sont, de fait, les plus concernées par les demandes de mort anticipée.

Nous savons aussi que le monde soignant se sent désemparé et que, trop souvent, il n’est tout simplement pas en capacité de tenir l’engagement du législateur. Après les années de crise due au Covid-19, les défaillances majeures de notre système de santé et d’accompagnement de la dépendance sont apparues aux yeux de tous. Nous devons prendre à bras-le-corps l’amélioration de la fin de vie de la majorité de nos concitoyens dans tous les lieux médicaux où ils sont accueillis : en Ehpad, en gériatrie, en oncologie, en neurologie, en soins palliatifs, en pédiatrie… Là sont l’urgence et la fraternité : offrir à tous un droit effectif à être soigné et accompagné dignement. Car la fin de vie est encore la vie. 


*Jean-Louis Bourlanges, MoDem (Hauts-de-Seine) ; André Chassaigne, PCF (Puy-de-Dôme) ; Yannick Neuder, LR (Isère) ; Astrid Panosyan-Bouvet, Renaissance (Paris) ; Dominique Potier, PS (Meurthe-et-Moselle) ; Frédéric Valletoux, Horizons (Seine-et-Marne)