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Une année inédite pour l’Assemblée nationale

Entretien avec Mélody Mock-Gruet, Docteure en droit public*

Quel bilan peut-on faire de cette première année de la XVIème législature ?

Avec l’absence de majorité absolue, et le renforcement des droits de l’opposition par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, cette première année de législature a été particulièrement inédite.

Inédite dans son équilibre politique. L’Assemblée semble coupée en trois blocs : les NUPES, la majorité et l’extrême droite. Loin de la bipolarisation provoquée par le fait majoritaire, les rapports de force ont changé et il y a désormais du suspense à chaque vote. Les amendements de l’opposition peuvent être adoptés grâce des alliances de circonstance. En revanche, ce qui peut paraitre contre-intuitif, il y a un peu moins d’amendements adoptés en 2022 (6185) qu’en 2017 (6404).

Inédite dans sa pratique procédurale. Par exemple, l’augmentation significative d’amendements déposés cette première année (89 324) a un impact direct sur le débat législatif. 2 mois seulement (octobre et février) cumulent 37 354 amendements, autant que tous les amendements déposés lors la première année de la XVème législature (source Follaw.sv). Pour la réforme des retraites, le Gouvernement a utilisé un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale (article 47-1 de la Constitution) qui encadre strictement les conditions d’étude du texte, et qui n’avait été utilisé que deux fois auparavant dans des conditions très différentes. Avec ce dispositif limitant le temps du débat et le dépôt de 20 000 amendements par l’opposition faisant obstruction, l’Assemblée n’a pu ni débattre sereinement, ni voter sur une réforme majeure.

Inédite dans le fonctionnement global. 17 motions de censure, un record, ont ponctué le temps parlementaire, mettant parfois en difficulté le Gouvernement. De surcroit, même si l’histoire de la Vème République a connu de vives passes d’armes dans l’Hémicycle, on peut voir une montée des sanctions disciplinaires, 90 en quelques mois, contre 15 entre 2017 et 2022. Certains fonctionnaires de l’Assemblée se sont même exprimés publiquement, mais anonymement, pour expliquer les tensions entre des députés alors qu’ils sont tenus par un devoir de réserve.

Pour la première fois depuis longtemps, le Gouvernement n’a qu’une majorité relative. Quel impact cela-a-t-il ?

La majorité relative met clairement en difficulté le Gouvernement. On l’a vu après le Commission Mixte Paritaire sur les retraites, avec l’engagement de sa responsabilité (article 49 al.3) pour ne pas courir le risque que le texte ne soit pas adopté. De même, le ratio d’amendements de l’exécutif adoptés a chuté : sur 730 déposés, seuls 323 ont été adoptés, alors que presque l’intégralité l’avait été en 2017-2018.

On remarque également une plus grande maitrise de son ordre du jour par l’Assemblée, avec la multiplication des inscriptions et des adoptions de propositions de loi. A noter également la recherche de consensus, notamment avec des propositions transpartisanes, comme la résolution sur le Mercorsur de 9 députés, tous de différents groupes, ou encore l’instauration par la Présidente de l’Assemblée de niches transpartisanes à portée surtout symbolique.

Les droits des députés sont-ils bafoués et l’Assemblée bloquée comme certains le disent à cause de l’utilisation de tous les ressorts de la Constitution pour faire voter des textes ?

L’Assemblée est peut-être un peu grippée mais des lois sont votées. Guy Carcassonne disait : « ce qui manque au Parlement, ce ne sont pas des pouvoirs mais plutôt des parlementaires pour les exercer ». Cette première année montre que malgré les vives tensions et les batailles de procédures, les députés se retrouvent au centre du jeu, bien loin de la simple chambre d’enregistrement. Ils se réapproprient leurs pouvoirs, dont celui de l’initiative parlementaire.

Même si le parlementarisme rationalisé de la Vème République a permis une grande stabilité, ce nouveau rapport de force rappelle que nous sommes dans un régime parlementaire pouvant faire tomber le Gouvernement avec une motion de censure. Reste donc à savoir si le fragile équilibre qui s’est créé cette année n’est pas trop précaire et tiendra encore quatre ans. 


*Auteure du petit guide de l’amendement (Éditions Pepper-L’Harmattan, 2022)

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