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La Marseillaise de la Libération

Il y a 80 ans, en mai 1943, le Chant des partisans voit le jour. Symbole de la Résistance son histoire est pourtant peu connue.

“Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ? Ohé ! Partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme ! Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes…” La seule lecture de ces quelques lignes est une invitation à fredonner « le Chant des partisans » dont on célèbre cette année les 80 ans. Depuis ce 30 mai 1943, à la suite de Germaine Sablon et d’Anna Marly, à l’origine de la musique sur des paroles de Joseph Kessel (1898-1979) et de Maurice Druon (1918-2009), de nombreux chanteurs ont interprété ce quasi hymne national avec plus ou moins de réussite et de profondeur, de Joséphine Baker, à Benjamin Biolay en passant par Yves Montand, Johnny Hallyday ou Zebda.

Parfois appelé « la Marseillaise de la Libération », le Chant des partisans est né d’une rencontre entre Anna Marly (1917-2006), une artiste, musicienne et chanteuse émigrée russe engagée dans les Forces françaises libres (FFL) comme cantinière, l’écrivain Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon. Sous la direction du résistant Emmanuel d’Astier de la Vigerie, le trio va marquer l’histoire avec cet hymne qui deviendra au fil du temps un symbole de la Résistance.

A Londres, André Gillois, animateur quotidien d’« Honneur et patrie », émission radiophonique de la France libre diffusée par la BBC entre 1940 et 1944 cherche un nouvel indicatif pour son émission. Au cours d’une soirée, il entend Anna Marly interpréter « Partiansky », « la Marche des partisans » qui évoque alors la résistance de partisans soviétiques. « Et comme elle ne se souvient pas de tous les couplets, elle chantonne la musique, puis se contente de siffler les notes. Et ce sifflement c’est exactement ce que Gillois attendait. Il a trouvé son indicatif ! » raconte Dominique Bona dans Les Partisans – Kessel et Druon, une histoire de famille (éditions Gallimard).

L’air entraînant convainc également Kessel et Druon d’écrire des paroles en français sous les encouragements d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie qui pense qu’« on ne gagne une guerre qu’avec des chansons », éléments fédérateurs pour des combattants. Très vite les paroles sont trouvées, « en moins de deux heures ». « À quatre heures tout était terminé. La fille du patron, Nenette, nous a servi le thé et j’ai chanté pour la première fois Le Chant des partisans devant elle [… ] je suis allée au studio d’Ealing le lundi 31 mai où l’enregistrement a eu lieu à onze heures et demie » se souvenait Germaine Sablon, compagne de Joseph Kessel. Les paroles seront ensuite distribuées clandestinement en France sans mention des auteurs pour permettre à chacun de se l’approprier. La chanson appartient « à tous ceux qui l’ont chantée » a d’ailleurs toujours expliqué Maurice Druon. Mais en France occupée, le chant n’est pas immédiatement repris. Il faudra attendre la Libération pour que le Chant des partisans s’impose peu à peu comme l’hymne de la Résistance, rare chant toujours joué lors des commémorations aujourd’hui. « Ce chant de guerre est une invocation révolutionnaire, un appel à l’union lancé aux peuples en esclavage. (...) Il exprime une valeur morale menacée par les diversions politiques du moment : la fraternité des hommes » souligne Dominique Bona dans son livre. Il a également été souvent repris lors de révolutions, combats et autres révoltes à travers le monde.

Mais laissons les derniers morts à André Malraux qui le jour de la panthéonisation de Jean Moulin, le 19 décembre 1964, de sa voix tremblotante rappela ce qu’évoquait ce chant : « [… ] L’hommage d’aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s’élever maintenant, ce Chant des partisans que j’ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d’Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors, quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Rundstedt lancés de nouveau contre Strasbourg. Ecoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. [… ] ».

Devenu propriété de l’Etat, le manuscrit original du Chant des partisans est conservé au musée de la Légion d’honneur. Il est classé monument historique au titre « objets » par un arrêté du ministère de la Culture du 8 décembre 2006. 

Les Partisans. Kessel et Druon, une histoire de famille. Dominique Bona - Collection Blanche, Gallimard.

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