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La Suède revient sur le tout écran à l’école

Après un abandon d’une quinzaine d’années au profit des tablettes et ordinateurs, les manuels scolaires vont faire leur retour dans les écoles suédoises.

En Suède, c’est une petite révolution scolaire qui vient d’avoir eu lieu. Le 15 mai dernier, la ministre des écoles, Lotta Edholm a choisi de mettre fin à la stratégie de l’agence nationale de l’enseignement scolaire (Skolverket) prônant le renforcement de l’utilisation du numérique à l’école. Dès sa présentation en décembre 2022, la ministre avait exprimé son désaccord dans une tribune rappelant que le numérique à l’école n’était qu’une « expérimentation ». A l’époque, Lotta Edholm dénonçait « l’attitude dépourvue d’esprit critique qui considérait, avec désinvolture, la numérisation comme bonne, quelque soit son contenu » conduisant « à la mise à l’écart » du manuel scolaire.

Après une quinzaine d’années d’expérimentation, une étude internationale « Progress in international reding literacy » réalisée dans cent cinquante-sept pays et publiée mi-mai est venue mettre à bas les bienfaits supposés de l’apprentissage via le numérique, montrant que le niveau moyen des jeunes suédois aurait chuté en lecture et en compréhension écrite ces dernières années. Années au cours desquelles, progressivement les apprentissages par tablettes et ordinateurs ont supplanté l’utilisation des manuels scolaires, sans que l’on sache pour autant réellement le temps passé par les élèves sur internet. A partir d’ordinateurs ou tablettes en général fournis par l’établissement scolaire, les élèves devaient être capables de se connecter et effectuer des recherches ou faire leurs devoirs en ligne. Pour l’application, il n’existait pas de consignes particulières, tout était laissé à l’appréciation des professeurs et de leur appétence pour l’outil et de la formation reçue. « Que tous les enfants et élèves durant leur scolarité aient la possibilité de développer des compétences numériques est une question de démocratie et d’égalité, car c’est une condition préalable pour pouvoir participer à la vie sociale, aux études et à la vie professionnelle future » justifiait le directeur de l’agence nationale de l’enseignement scolaire pour accélérer l’utilisation du numérique dans les écoles, Peter Larsson qui milite pour des objectifs « communs et globaux ». Reste que selon une enquête menée auprès de 2 000 professeurs par leur syndicat en décembre 2022, près d’un enseignant sur cinq en moyenne jugeait que ses élèves écrivaient rarement ou jamais à la main (35,3 % au collège et 56,8 % au lycée).

« On avait l’ambition d’être moderne. On a donné un ordinateur aux élèves, sans réfléchir à ce qu’on faisait et pour quelles raisons. La numérisation est devenue un objectif en soi, sans aucune vision d’ensemble » se désole le professeur de neurosciences cognitives à l’institut Karolinska de Stockholm, Torkel Klingberg, pas opposé par principe à la numérisation mais opposé à la stratégie de l’agence. Le professeur rappelle notamment que de nombreuses études ont montré que « les conséquences n’étaient pas toujours positives » comme le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) qui a mis en évidence le « lien entre l’utilisation du numérique pour faire ses devoirs par exemple et de moins bons résultats en mathématique ou en compréhension de la lecture ». Il n’est pas le seul à s’inquiéter. Les pédiatres s’interrogent sur l’exposition aux écrans des plus petits dès la maternelle, « sans qu’aucun test n’ait été mené qui démontre que cela contribue à un meilleur apprentissage ».

Forte de ces résultats et des différentes remontées, la ministre des écoles a donc mis fin à cette stratégie jugée néfaste à l’intérêt des enfants en débloquant un budget de 685 millions de couronnes (60 millions d’euros) en 2023 et 500 millions (44 millions d’euros) en 2024 et 2025 pour faciliter le retour des manuels dans les classes avec un objectif d’un livre par matière et par élève.

En France, dans une étude de l’Education nationale neuf enseignants sur dix parlent de bénéfices pédagogiques dans le premier degré avec le numérique qui tend à prendre de plus en plus de place. Mais tous les échos sont loin d’être les mêmes, certains établissements préférant renoncer aux tablettes et ordinateurs. « L’erreur de la Suède, c’est d’avoir voulu faire du tout numérique » estime Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (LOPEN) prônant la cohabitation entre manuel et numérique

En Suède, le niveau moyen des élèves est plus élevé que celui de ses voisins européens, et parmi les 15 meilleurs du monde. 

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