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Changements majeurs du côté de la consommation

Par Pascale Hébel, Directrice associée chez C-Ways

Après plus de 18 mois de forte hausse de l’inflation, de la mise en place de mesures de soutien, de recommandations de sobriété, d’une large diffusion de nouvelles normes écologiques et des conséquences de la crise Covid-19 les comportements de consommation sont en très forte mutation.

Depuis 18 mois, l’inflation atteint des records historiques depuis 4 décennies, elle a été de 5,2 % en 2022 et elle atteint 5,9 % en avril 2023. Elle touche de façon différenciée les catégories de population. Les différences les plus importantes concernent les différences d’âge et de lieu de résidence (1). Les foyers dont la personne de référence a plus de 65 ans connaissent un taux d’inflation supérieur de 0,6 points par rapport à la moyenne et ceux qui vivent en zone rurale un taux supérieur de 1 point. Les conséquences de cette inflation très ciblée sur les postes d’énergie et de l’alimentation conduisent à des modifications très significatives des modes de consommation.

Forte polarisation des consommateurs dans un contexte inflationniste

L’inflation n’a jamais aussi forte depuis plus de 40 ans. Excepté les plus âgés, personne n’a connu de tels bouleversements. Les consommateurs sont confrontés à de fortes pressions financières : 7 personnes sur 10 déclarent ainsi qu’elles s’imposent régulièrement des restrictions sur plusieurs postes de leur budget(2). Cette pression financière est d’autant plus forte que les revenus sont bas (80 % chez ceux qui gagnent moins de 1 000 euros par mois contre 38 % chez ceux qui gagnent plus de 5 000 euros par mois). Mais elle est aussi beaucoup plus importante chez les jeunes (80 % chez les 35-44 ans contre seulement 62 % chez les 65 ans et plus). La forte hausse de l’inflation, contraint fortement les ménages et atteint les classes moyennes supérieures : les familles, les jeunes et les plus âgés sont touchés par l’inflation alimentaire (+15 % en avril 2023). Cette pression financière est d’autant plus forte que le poids des dépenses contraintes n’en finit pas d’augmenter depuis les années 1960. L’insuffisance de construction de logement a conduit à un renchérissement des loyers. La hausse du poids du logement touche particulièrement les classes modestes et les jeunes générations. Du côté des plus modestes, le poids du logement a beaucoup plus augmenté que chez les plus aisés. Le poids du logement est de 10 points supérieur chez les 20 % les plus pauvres par rapport aux 20 % les plus riches, cet écart n’était que de 2 % en 1979. Au niveau européen, la France fait partie des pays qui a le poids du logement le plus important avec un poids qui atteint 27,6 % des dépenses de consommation, contre seulement 24,3 % en Espagne. Les populations qui ont le plus épargnés pendant la période Covid (175 milliards d’épargne supplémentaire par rapport à une année classique) sont beaucoup moins contraints et continuent de dépenser malgré la forte inflation (5,9 % en avril 2023). Les inégalités de pouvoir d’achat effectif (après avoir retiré les dépenses contraintes) augmentent. Les classes moyennes et les jeunes générations voient le rêve de l’ascenseur social s’éloigner, et elles nourrissent une rancœur particulière à l’égard d’un système social qui, à les entendre, ne les protège plus des chocs économiques, voire les accable d’impôts. Le sentiment de déclassement est important, 56 % des Français se considèrent en échelle sociale en dessous de la médiane. Ces catégories de populations sont contraintes de s’adapter et développent des stratégies de consommation plus sobres.

Stratégie de consommation tournée vers la sobriété et le lien social

Les premières modifications concernent les baisses de consommation d’énergie en 2022 sous l’effet des messages gouvernementaux de sobriété énergétiques et les obligations de ne pas chauffer à plus de 19°C. En 2022, selon RTE, la consommation d’électricité a ainsi diminué de 4 %. En raison de la forte inflation et du ralentissement du pouvoir d’achat, les achats de biens physiques ne font que diminuer (-4 % en 2022). Les plus fortes baisses sont observées sur les dépenses en équipement du foyer (-5,6 %) en raison du fort rebond en 2021 (+7,1 %). Par rapport à 2019, le marché en équipement du foyer est en hausse de 5 % en euros constants en 2022, mais il est en baisse depuis le début de l’année 2023 (-4,3 % au premier trimestre 2023). Le vieillissement de la population explique que les dépenses d’habillement ou de mobilier connaissent des croissances plus faibles depuis une vingtaine d’années. Les générations plus anciennes n’aiment pas jeter et cherchent des produits qui durent et dépensent plus en équipement de la maison que les générations plus jeunes, nées avec IKEA. Elles consacrent, en revanche, moins d’argent aux loisirs et à la communication, davantage considérés comme superflus. Or ces services sont fortement consommés par les plus jeunes.

La préoccupation environnementale est au plus haut en mars 2023. Sur 28 pays du Monde, c’est en France que la proportion de consommateurs se préoccupant du changement climatique est la plus élevée en mars 2023, devant les Allemands, les Autrichiens et les Néerlandais. La sobriété est devenue la norme, en mars 2023, 86 % des consommateurs sont d’accord ou complètement d’accord avec l’opinion suivante : « j’essaie d’utiliser les articles que j’ai achetés le plus longtemps possible » contre 86 % en octobre 2022 (3). Les secteurs de la réparation et de la seconde main sont en très forte hausse. Durant la crise de 2008, les catégories les plus touchées par la crise (jeunes et classes modeste) ont été obligées de mettre en place des stratégies de contournement pour continuer à consommer. Sur les objets comme les achats de vêtements pour enfants, les livres ou la voiture, les secondes vies se sont fortement développées dans les catégories les plus contraintes. Ils sont plus nombreux à avoir déjà pratiqué le covoiturage en tant que passager. Ces pratiques ont été ensuite adoptées par les haut capital culturels qui ont mis en place ces stratégies par effet de distinction. La montée de la consommation collaborative se fait jour dans les classes plus aisées. Alors que la cohésion sociale est menacée, que les institutions traditionnelles peinent à fédérer, des modes de consommation nouveaux – d’abord dans certaines catégories, mais plus largement aussi – se mettent en place pour combler le manque de lien social et pour répondre à des attentes écologiques de plus en plus fortes chez les jeunes générations. En mars 2023, 54 % des Français ont vendu un produit d’occasion sur internet et 52 % en ont fait l’achat. Du côté de la location entre particuliers (location de meuble, logement, covoiturage…), certains sites récents connaissent une progression remarquable depuis leur création (BlablaCar, Airbnb, Leboncoin…). La France se distingue ici de ses voisins : la mise en place de la consommation collaborative y est plus développée. Ainsi, 63 % des Français ont déjà acheté des produits d’occasion contre 59 % en moyenne pour 12 pays européens. Ces nouvelles pratiques sont à la fois le signe d’un désir de convivialité et de partage et la marque de l’ère numérique. Pour les classes moyennes supérieures et notamment les hommes, c’est un moyen de gagner encore plus d’argent en louant son appartement, revendant des objets. Naturellement, de tels comportements se développent d’abord au sein des jeunes générations. Dans cette ère d’éphémère et de nomadisme, plus besoin, pour nombre d’entre eux, de posséder des objets rutilants pour exister. L’ostentatoire par la possession, caractéristique des opulentes années 1970, n’est plus de mise. La dimension politique n’est pas absente de cette évolution, quand le consommateur est de plus en plus conscient de posséder un « pouvoir par ses achats » de nature à provoquer des changements à l’échelle de la société. Il a l’impression de pouvoir maîtriser quelque chose dans un système d’échanges économiques, sur lequel il semblait n’avoir jusque-là aucune prise. À travers ses différentes manifestations et possibilités d’action, la consommation éthique et solidaire espère ainsi exercer une influence sur le fonctionnement du marché.

Si la cohésion sociale commence à se fragiliser, d’autres tendances, notamment de nouvelles formes de consommation, se développent et tendent à combler en partie le manque de lien social. Notamment, le partage de repas pour se retrouver est en forte progression.

Ces stratégies font diminuer les dépenses de consommation tout en réduisant l’impact écologique.

Conclusion

La recherche de sens dans la consommation est de plus en plus présente. Elle s’accompagne d’une baisse des achats d’objets et d’une hausse du poids des services notamment dans le logement. Cette recherche de sens est sans doute l’un des changements majeurs des dernières années dans les comportements des consommateurs dont les enchaînements des crises permettent d’éprouver la profondeur. 


1. Madec P., Plane M. et Sampognaro R. : un pouvoir d’achat entamé par l’inflation – La revue parlementaire, Enjeux et débats, Janvier 2023.

2. C-Ways, enquête « Trendshaker », Mars 2023

3. Enquêtes Trendshaker de C-Ways, octobre 2022 et mars 2023, réalisée auprès de 2000 individus représentatifs des 18 ans et plus, selon les quotas d’âge, de sexe, de diplôme (en 5 catégories), de CSP, de TUU et de région.